"Aujourd’hui, Kurt Cobain est mort.
Je suis encore dans mon lit, le radio-réveil vient de se déclencher. Le soleil perce à travers les rideaux. Ce matin j’ai maths, français et arts plastiques, cet après-midi histoire-géo et sport.
Des odeurs de café me parviennent depuis la cuisine. J’entends ma mère qui se prépare dans la salle de bains.
Hier soir, je me suis endormi en écoutant une Black Session sur France Inter, le cœur battant, puis j’ai sombré dans une nuit électrique dans laquelle j’étais une rockstar, Jack Daniel’s dans la main gauche, micro dans la droite, fans déchaînés hurlant mon nom, groupies m’attendant en loge et mes potes jouant leur vie sur quatre accords.
C’est un mardi ordinaire.
Sauf que Kurt Cobain est mort."
C’est par ces phrases que débute le superbe roman que nous propose Joseph d’Anvers en ce début d’avril, avec Un garçon ordinaire, publié aux éditions Rivages, sorti le 5 avril dernier, le 5 avril étant aussi le jour de la mort de Kurt Cobain, qui marqua profondément de nombreux adolescents en 1994.
Nul doute que ces quelques phrases citées aiguiseront la curiosité de ceux qui, comme moi, étaient au lycée au début des années 90. Ceux-ci, mais aussi les autres, prendront plaisir à suivre six jeunes adolescents rebelles et insouciants dont Joseph d’Anvers nous raconte des instants de vie. Il y a le narrateur, le "je" du roman, dont on connaîtra le prénom bien plus tard dans le livre mais aussi Tom, Karim, Youri, Alice et Sakina.
Idéalistes et sans concession, ils traversent leur adolescence avec des rêves trop grands pour eux. Dans trois mois, ils passent le bac mais pour le moment leur préoccupation tourne au tour de la mort de Kurt Cobain.
Si vous cherchez un roman intelligent sur l’adolescent, écrit avec justesse et sensibilité qui éveillera en vous sûrement des sentiments de nostalgie, vous devez absolument acheter cet ouvrage qui est mon coup de cœur de ce début d’année.
Joseph d’Anvers nous embarque donc dans une ville de province, autour du narrateur, ce garçon ordinaire, mais tellement universel aussi, et sa bande de copains dans la génération années 90, les ultimes représentants de la génération X, dans un monde en plein bouleversement. On les voit se questionner sur leur avenir, se préparer au passage à l’âge adulte alors que la société leur réserve un avenir dont ils ne veulent pas.
Autour de ces personnages, ces jeunes futurs adultes se dévoilent en trame de fond, subtilement soulignée, une société qui se dessine, faite d’inégalités sociales et de montée insidieuse du racisme. Un lycée situé en périphérie, témoin de l’urbanisation galopante, des lotissements qui poussent pour abriter les classes moyennes dont est issu le narrateur, la bourgeoisie qui reste autour des personnages d’Alice et de Tom et la cité aussi avec Karim, témoin des difficultés rencontrées par les enfants d’immigrés.
Alors même si ce fond social, sociétal et géographique n’est pas le sujet central du livre de Joseph d’Anvers, il n’en reste pas moins qu’il vient donner du sens à son écrit, à la vie et aux réactions de ses personnages, que l’on imagine très bien physiquement au fil des pages.
Pour moi, la grande réussite de cet ouvrage sans prétention tient dans le fait que l’auteur arrive parfaitement à nous immerger dans la vie de ses jeunes adolescents, réveillant en nous plein de souvenirs. On se retrouve en eux, on y retrouve des copains, des situations, on se remémore des évènements subtilement insérés dans le livre que l’on avait un peu perdus de vue.
Et puis, il y a la musique aussi, très présente dans le livre, Joseph d’Anvers est aussi musicien dans la vie. Une musique grunge et rock qui imprègne la vie de ces jeunes et leurs relations affectives. Elle est dans le foyer, dans les soirées enfumées et arrosées, dans le bar qui leur sert de lieu de rassemblement et chez les disquaires (qui, aujourd’hui, disparaissent petit à petit).
Tout est beau dans ce livre, que l’on peut facilement lire d’une traite, tant il nous embarque avec grâce dans le cheminement vers l’âge adulte de ses gamins si attachants, de cette période cruciale dans la vie d’un être, que l’on aimerait parfois retrouver lorsque l’on voit le temps qui passe et nos enfants grandir.
Joseph d’Anvers nous propose donc un ouvrage magnifique, écrit avec simplicité mais tellement touchant que l’écriture en devient sublime, sublime de justesse et de finesse lorsqu’il s’agit de parler des tourments et des interrogations de l’adolescence. Les émotions sont fortes à la lecture du livre car l’auteur ne cherche jamais l’exagération des sentiments des personnages, c’est en ça que ces adolescents sont ordinaires. Ils sont comme nous l’étions à leur âge mais aussi comme le sont les adolescents d’aujourd’hui. Ils portent en eux des interrogations sur l’avenir, ils cherchent des modèles comme avant. Les adolescents d’aujourd’hui se retrouveront aussi en eux et prendront aussi beaucoup de plaisir à lire ce livre. Ils ne sont en rien différents de Tom, Sakina et Karim. C’est juste le monde autour d’eux qui a changé. C’est aussi ce que l’on retient de la lecture de cet ouvrage. Il y a de la nostalgie et de la mélancolie dans cet ouvrage mais pas seulement.
C’est surtout la fragilité de ces jeunes qui nous touche dans cet ouvrage qui nous permet d’avoir un regard plein de tendresse pour les années 90. La fin de l’ouvrage est magnifique, tellement émouvante que l’on en ressort presque avec les yeux un peu humides. Salutaire et bouleversant. Merci Joseph !
Allez, je vous laisse, je m’en vais écouter ce bon vieux Kurt !
# 01 octobre 2023 : Un été indien vaut mieux que deux automnes tu auras
Encore quelques jours de beau temps pour profiter des terrasses. Que cela ne vous empêche d'y emporter vos livres, votre musique ou de gambader sous le soleil jusqu'au théâtre, au cinéma ou au musée...