"Vous pourriez dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul". En octobre 1971, un an et demi après la séparation des Beatles, John Lennon publie la chanson "Imagine", qui deviendra le plus grand succès de sa carrière en solo mais aussi l’un des titres les plus emblématiques du répertoire de la pop, jusqu’à être qualifiée de "morceau du siècle" par certains classements.
L’hymne pour la paix le plus célèbre de l’histoire, que l’on entonne toujours lors des manifestations et au lendemain des drames, ne raconte pas seulement les ambivalences d’un artiste tiraillé entre idéalisme et activisme : il marque aussi les derniers feux de l’ère hippie et des utopies des années 1960, avant l’entrée de plain-pied dans une décennie marquée par le désenchantement.
Ce ne sera pas la dernière fois qu’en quelques notes et une poignée de mots un tube incarnera son époque et en dévoilera les soubresauts comme les ambiguïtés. Revendications sociales, tensions diplomatiques, alternances et changements de majorité... De nombreux événements peuvent se lire à l’aune d’une chanson qui en dit souvent bien plus qu’un long discours. En 1977, "God Save the Queen" des Sex Pistols éclipsera le jubilé de la reine, et marquera l’entrée dans une nouvelle ère, celle du punk et du "No Future", comme "We Are the World" (1985), coécrite par Michael Jackson et Lionel Richie, symbolisera la naissance de l’industrie de l’humanitaire et du charity-business.
Publiée neuf mois avant la mort de Freddie Mercury, "Innuendo" (1991) de Queen deviendra à la fois l’épitaphe du groupe et le symbole des années SIDA. Hit emblématique de la britpop et de la "Cool Britannia", "Wonderwall" du groupe Oasis contribuera à réinstaller les travaillistes au pouvoir en Angleterre en 1997, mettant fin à presque deux décennies de thatchérisme. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, "The Rising" de Bruce Springsteen aidera à panser les plaies d’une Amérique meurtrie.
Quelle belle idée de la part des éditions Perrin que d’éditer ce genre d’ouvrages qui mêlent histoire et culture. Ici, on peut aller picorer l’histoire de titres dans l’ordre que l’on veut, en fonction de nos goûts musicaux ou de notre curiosité. Connaissant bien l’histoire d’Oasis, après avoir lu récemment un superbe essai les concernant aux éditions Playlist Society, je ne me suis pas porté principalement sur le chapitre les concernant. Cela tombait bien car d’autres chapitres se sont avérés pour moi être vraiment passionnants, notamment celui concernant le groupe Scorpion et le titre "Wind of change", autour de la fin du rideau de fer. J’ai beaucoup aimé celui sur "Zombie" des Cranberries, superbe titre au passage, qui marque la fin du conflit nord irlandais. Un autre sur un titre de Paul Simon concernant l’apartheid est aussi très intéressant.
De ABBA à Gainsbourg, de Scorpions aux Cranberries, des protest songs les plus virulentes aux hymnes pop (en apparence) anecdotiques : en douze titres incontournables qui forment autant de chapitres, cet ouvrage écrit avec maestria fait se percuter la grande histoire avec celle du rock, et raconte à sa manière certains des bouleversements politiques et sociaux majeurs des soixante dernières années. |