C’est à l’abri, un après-midi pluvieux, voire orageux, que j’ai eu le plaisir de rencontrer Paul, chanteur des Fatals Picards et Laurent, guitariste pour échanger avant leur concert prévu le soir même dans le cadre du Chalma'Fest (on en reparle dans quelques minutes).
Je tenais à les remercier pour leur accueil et l’heure passée avec eux (il était prévu 30 minutes mais en interview comme dans la vie, ils sont généreux) ainsi que Chloé qui a rendu cela possible. Je vous laisse avec Paul et Laurent !
Paul et Laurent en choeur : Bonjour, interview des Fatals Picards, Chalma'Fest à Chalmazel, le 15 juillet 2023.
Laurent : Bonjour je suis Laurent, guitariste des Fatals Picards !
Paul : Bonjour, je suis Paul, le chanteur des Fatals Picards !
Tout le monde, ou presque, connaît les Fatals Picards, pourtant vous mentez depuis des années : aucun de vous n’est picard ! Vous n’avez pas honte ?
Laurent : On n’arrête pas de dire qu’on n’est pas picards.
Paul : On n’a jamais dit qu’on était picards, on s’appelle les Fatals Picards. Les mecs qui s'appellent Indochine, ne viennent pas tous de Saïgon.
Laurent : Georges Bush ne vient pas du Bush australien. En fait, c’est parti d’une blague, il y a une chanson qui s’appelle "I live in Picardie" (ndlr : sur l’album Navet Maria) et le premier chanteur Yvan avait fait ses études là-bas, c’était l’époque où les VRP / Nonnes Troppo avaient sorti les Vacances en Picardie. C’était une région qu’on pouvait facilement utiliser comme référent un peu lose.
Paul : C’est toujours un peu le cas.
Laurent : Tu choisis un nom de groupe et puis après tu n’en changes pas !
Paul : Comme un poids et en même temps, j’ai perdu l’idée. Au départ, quand j’en ai entendu parlé, je me suis dit : "quel nom de merde !". Quand j’ai commencé à jouer dans le groupe, j’en avais un peu honte et maintenant j’ai aucun…
Laurent : Quand tu reçois la SACEM, tu es content.
Paul : Oui voilà (rires)
Laurent : Je comprends ce que veut dire Paul, le nom ne nous connecte plus à une image un peu ringarde. Les Beatles, tu ne penses pas que c’est scarabée par exemple, ou les Arctic Monkeys, les singes de l'Arctique, ce qui n’est pas fou, mais qui passent mieux en anglais. Maintenant les gens disent les Fatals et je suis assez fier que les gens aiment le fond de ce que l’on fait alors que la forme peut être vraiment perturbante.
Paul : Et c’est rebutant. On sait qu’il y a des festoches qui ne nous connaissent pas et qui ne veulent pas voir les Fatals Picards écrit sur leur affiche, les Eurockéennes, Rock en Seine, les Franco ou les Vieilles Charrues. Ils ne veulent pas notre nom sur l’affiche. Alors qu’on connaît les autres groupes qui y jouent, on fait d’autres festoches. On aurait le droit d’y jouer, comme les Tagada Jones, les Wampas ou les No One.
Laurent : Là ça commence à changer un peu : on va faire la grande scène de l’Huma, alors qu’avant on faisait les scènes du nord. Les lignes bougent un peu.
Paul : Ça fait plus de vingt piges, la crédibilité est là, parce qu’on existe toujours et que notre modèle financier est complètement viable et qu’il y a de plus en plus de gens à nos concerts. On ne devient pas une référence, ça fait prétentieux, mais ça fait tellement longtemps qu'on est dans le paysage.
Le fait de remplir les salles, c’est un cercle vertueux ?
Laurent : Oui, tout à fait.
Paul : On ne fait pas les gros festoches, on n’est diffusé nulle part, on n’est dans aucun magazine spécialisé (du style il en reste encore). Notre seule possibilité d’action reste dans le bouche à oreille et dans les réseaux et encore, avec les algorithmes et malgré les pubs payantes, c’est compliqué. On a 150.000 abonnés sur Facebook et il n’y en a pas 150.000 qui voient notre post.
Laurent : En streaming ce n’est pas mal, on s’en sort de mieux en mieux.
Paul : Ce qui est véridique par exemple sur YouTube, des chansons de nous qui dépassent allègrement le million, il y en a plusieurs, pas 15 mais bien 5 ou 6. Et c’est Billy qui intervenait dans les écoles et les collèges où on le prenait pour un farfelu et quand les gamins voyaient le nombre de vues ils étaient sidérés.
Laurent : On a aussi le cul bordé de nouilles, parce que des festoches remplissent avec des têtes d’affiche qu’on a vu passer et 23 ans après nous on est encore là ! Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. On a la chance d’avoir cette pérennité. C’est dans notre ADN. La maturité nous fait du bien en terme de carrière.
Comment expliquez-vous aujourd’hui qu’il n’y ait pas plus de rock à la télé ou à la radio alors que les festivals rock cartonnent ?
Paul : C’est un phénomène de mode. Je suis né en 77 et quand j’étais ado, tout ce qui était hard-rock, heavy metal ça marchait à donf et à côté il y avait tout ce qui était Eurodance, comme Corona, etc. Il y avait deux écoles. Il y avait de grandes radio comme NRJ, qui passaient du Guns and Roses et qui continuent à en passer en fait. C’est vrai que le rap et les musiques actuelles, ça a tout embarqué.
Laurent : C’est curieux parce que nous qui sommes dans le milieu de la musique live, on s’aperçoit que les gros gros évènements comme le Hellfest etc. sont liés au rock.
Paul : Le marché est pluriel. Il y a celui de la télé. Il y a clairement moins de gamins qui font des groupes de rock dans les lycées. Tout est cyclique, après ça peut revenir. Quand c’était underground et que tu t’y connaissais ça allait, du moment où c’est devenu grand guignol, ça a perdu en crédibilité !
Laurent : C’est marrant aussi de se demander ce qu’est le rock et ce que cela appelle en terme d’énergie, ce que cela signifiait socialement et voir si cela n’existe pas encore, voire plus qu’avant mais ça s’est déplacé : les gamins qui écoutent Zaho de Sagazan ou du Orelsan, si ça se trouve pour eux, le cahier des charges de ces musiques là, ça correspond, j’ai envie de dire organiquement, à ce que le rock était avant.
Paul : L’air du temps qui change.
Laurent : Oui et le schéma basse, batterie et guitare ça fait un peu plan plan. Ils le voient comme quelque chose d’has been et dépassé, quoique en ce qui concerne les Fatals, on voit beaucoup de gamins sur les concerts.
Paul : Il y a moins de rock dans les médias, parce que les places sont trustées par les copains de Michel ou les potes de Jean-Claude. Si on demandait aux gamins qu’on croise dans les concerts ce qu’ils aimeraient à la radio, je suis sûr qu’ils vont citer des trucs qu’on connaît mais qui ne passent jamais. Les Wampas qui vont passer parce qu’ils ont fait un truc à la con, qui ne représentent pas du tout ce qu’ils font d’habitude. Tu n’as plus accès aux médias. Les programmateurs font la pluie et le beau temps. Par exemple, un des programmateurs de France Inter ne peut pas nous blairer et du coup, on ne passe jamais. Alors que légitimement on chante en français, on a des textes qui ne sont pas trop débiles, on a des trucs à proposer qui pourrait coller.
Laurent : Et souvent les radios cherchent un son qui permette de passer de quelque chose à quelque chose d'autre. Quand tu es en soirée, les Fatals Picards ce n’est pas une musique que tu vas écouter, ça sera plus des titres jazzy par exemple. Les Fatals, c’est quelque chose que tu vis sur scène. En général, quand tu es sur la route, si on te balance un titre des Fatals ou des Trois Cafés Gourmands, ce dernier te permet de continuer à conduire. Ce n'est pas un procès contre les Trois Cafés Gourmands. Peut-être que le rock est plus exigeant pour les oreilles. C’est pluri factoriel. On a peut-être épuisé des choses aussi comme les riffs dans le rock.
Paul : Les succès des festoches, c’est aussi parce qu’ils ont un public et ce n’est pas présent dans les médias. Ce public n’écoute pas la radio, ils ont des playlists ou écoutent des radio sur le net ou des radios spécialisées. J’habite sur Rennes, il y a une radio qui s’appelle Syllabe et qui passe beaucoup de rock et de trucs un peu farfelus. Ce ne sont pas de grandes radios. Quand on pense aux médias c'est-à-dire quatre chaînes de télé et huit radio…
Laurent : Sans être complotiste, les musiques qui marchent, véhiculent des codes qui correspondent visuellement à la société de consommation. Tu prends un clip de Pantera ou de Metallica, bon à part les gamins qui aiment ça, le placement produit n'est pas évident.
Paul : On a aussi des chansons, comme "Coming Out", pour nous on enfonçait des portes ouvertes et pourtant quand on a sorti ce truc-là, on était encore chez Warner, les mecs des services presse nous avaient dit : "c’est chaud" ! Et là tu as l’impression d’être un Che Guevara du texte alors que c’était juste "Coming Out"quoi ! Il n’y a pas un seul gros mot, pas un truc de cul, l’histoire est gentillette.
Laurent : "On va devoir attendre qu’ils soient un peu moins cons pour leur parler de l’adoption”.
Paul : Ils ne veulent pas se mouiller !
Vous aviez évoqué la mort de Johnny et avez été censuré !
Paul : C’est parce qu’on était chez Warner, qu’il venait de signer chez Warner, qu’il était déjà malade mais que personne ne le savait. Ça commençait à faire un peu beaucoup. Malheureusement, c’était contractuel, ils avaient un droit de regard, qu’ils ont exercé.
Laurent : Il venait de récupérer Johnny qui venait d’Universal, ils n'en avaient juste rien à foutre de nous et ne voulaient pas d’emmerdes.
Paul : On l’a quand même mise sur internet alors qu'on n'avait pas le droit, ça a été tout un chambardement. On pensait faire un score honorable et c’est parti en vrille. Le jour où on l’a mis, tu gagnais 100.000 vues toutes les dix minutes, c’est énorme. Je voyais le compteur monter et plus il montait et plus je me disais on est dans la merde. Ça n'a pas manqué, le lendemain on avait une lettre d’huissier de justice. Parce qu'on n'avait pas respecté les termes du contrat.
Laurent : En fait, c’est quelqu’un de chez Warner qui nous avait dit de le faire.
Paul : Il nous avait dit : "faites le, ça va faire un petit buzz". Quand on s’est retrouvé à se faire engueuler le mec était assis là, à attendre qu’on le balance, en regardant ses chaussures et on se disait bon à quel moment on le balance. Et on n'a rien dit.
Racontez-nous comment vous avez eu Bernard Lavilliers dans votre clip et comment il a réagi à votre titre.
Paul : Il faut remettre dans le contexte. On écrit la chanson, qui arrive aux oreilles de ses musiciens, qui sont des mecs adorables et qui nous disent : votre chanson est merveilleuse, vous le connaissez super bien, comment c’est possible. Son manager de l’époque (je ne sais pas si c’est toujours le même) l’avait écouté aussi et ça l’a fait marrer aussi et certainement qu’il lui a fait écouter en lui précisant qu’on n'était pas des petits cons qui avaient écrit ça pour se foutre de sa gueule. Coup de bol, Yvan qui chantait avec moi à l’époque, le croise un soir dans un bar de Paname. Bernard était flatté et il lui a dit : "si vous faites un clip, je viens" ! Et le lendemain on a dit : "on fait un clip" ! (rires) C’était pas prévu !
Laurent : Il nous a bu deux bouteilles de vin rouge hyper cher en deux minutes (rires). Il a dit je me casse à la fin, je vais libérer Ingrid Betancourt et elle était libérée genre deux semaines après (rires). C’est un mec respectable, il va avoir 75 ans et c’est une bête de scène.
Paul : Bon en fait, c’est un coup de bol et beaucoup de choses qui nous sont arrivées, ce sont des coups de bol ! On a aucun contact, on a rien !
Laurent : Concernant Bernard Lavilliers, il y avait l’autre soir une émission, En aparté…
Paul : Il a parlé de nous et ils ont diffusé le clip. Il sait qu’on l’aime, c’est de la moquerie de collège mais il aurait pu mal le prendre en même temps !
Imaginons que vous remettiez la main sur l’épée de cristal du mage de la forêt des Vosges et qu’il vous propose, pour vous remercier, de jouer avec l’artiste de votre choix : qui choisirez-vous (mort ou vivant) ?
Paul : Les Ramones ! Ou Janis Joplin.
Laurent : Rammstein, parce que j’aimerais savoir ce que ça fait d’être dans un show à la Rammstein. Je sais que c’est clivant en ce moment. Voir le lance-flammes en action…
Paul : Alors que moins je serais plus dans un club un peu miteux qui pue la bière à la fin des années 70 à New-York : le CBGB ou le Marquee.
Laurent : Ou les Beatles… Il y en a trop !
D’ailleurs quels artistes vous ont influencés ?
Paul : Il y a les Ludvig, sans être un super fan, j’ai beaucoup écouté et j’écoute toujours. Quand j’ai commencé la musique, avec mes potes au lycée, je me disais : on peut faire des chansons débiles, mais tout en étant crédible premier degré et sans être pris pour des charlots. Le rock, le deuxième troisième degré : les Nonnes Troppo, les VRP, tout ça !
Laurent : Je me suis rendu compte, il n’y a pas longtemps, que tous les trucs qui m’avaient donné envie de faire de la musique c’était les concerts en fait ! Aller en studio était intéressant, mais ce n'était pas la finalité en fait ! La finalité, c’est être sur scène…
Paul : Boire des bières, se droguer (rires) Je voulais être Axl Rose ! J’étais pile dans la bonne époque, il n’y avait pas beaucoup d’images. J’étais fou. Je voulais faire ça.
Laurent : Je me rappelle, j’avais la cassette de Renaud à l’Olympia et un truc m’avait marqué c’est quand il dit dans "Où est-ce que j’ai mis mon flingue" : "j’aime pas le travail, la justice et l’armée" et on entend la foule qui hurle ! Je me suis dit je suis d’accord avec lui et en plus tout le monde gueule en choeur !
Paul : En live, tu fais "ouais” et il y a des milliers de meufs et de mecs qui font "ouais" en même que toi, ça te file la chaire de poule ! C’est le côté fédérateur.
Laurent : Il y a ce côté fédérateur, on est les Fatals, on n’est pas dupes, on sait ce qu’on peut faire avec une chanson, une foule, en terme de manipulation et prenons un peu de recul là-dessus ! Jouons la carte de ce n’est pas du premier degré.
Paul : Aujourd’hui, je serais incapable de faire un show premier degré comme les Guns que j’écoutais ado. Ça me mettrait hyper mal à l’aise !
J’ai noté depuis l’avant-dernier album des titres plus posés, plus graves, comme "Morflé", "Mon arbre" (ma préférée), "Ton portable". Comment expliquez-vous cela ?
Paul : "Mon arbre" je ne peux pas l’écouter, c’est le pire truc que Laurent ait écrit, je la trouve dégueulassement triste (rires). Le processus d’écriture change en fonction de ton âge et des choses que tu as envie de dire.
Laurent : On n’aurait pas pu écrire ça avant. Sa fille a 17 ans, j’en ai une de bientôt 16, donc voilà…
Paul : Les Ludvig, ils écrivaient, ils avaient la vingtaine. Ils reviennent, ils ne sont pas dans le même délire, leurs textes ont changé ! Les gens nous disent mais pourquoi vous ne refaites pas une chanson comme "Punk à chien" ? Mais parce que "Punk à chien" on l’a déjà fait ! Si on refait, les gens vont nous critiquer !
Laurent : "Mon arbre", ce qui m'intéressait, c’est le monde paysan. C’est parti d’un fait divers hyper glauque : un agriculteur qui allait partir à la retraite, qui avait un enfant handicapé et du coup, il savait que son enfant allait se retrouver seul. Il a tué son enfant qui avait une trentaine d’années et il s’est pendu. Je me suis dit, en fait, on vit dans une société où les gens les plus indispensables sont les moins reconnus et les moins payés. Les agriculteurs en sont un parfait exemple. La symbolique de l’arbre m’a été inspirée d’un bouquin de Giono : Un roi sans divertissement, et il y a une figure d’arbre en permanence…
Paul : (rires) L’intello. Tu fais chier tout le monde ce que les gens veulent, c’est des chansons de cul (rires).
Laurent : J’aimais bien cette idée d’arbre. Le premier titre triste des Fatals c’est grâce à Yves que voici (ndlr : il vient d’arriver), c’est "Canal Saint-Martin", que je ne,voulais pas mettre sur l’album et il a insisté. J’ai écrit "Morflé" pour Paul et Lisa et il a été obligé de l’accepter !
Paul : La première fois qu’il l’a jouée, c’était dans mon ancien appartement, il l’a jouée comme ça l’air de rien, je l’ai fini. Parce qu’on était parti de ces meufs qui regardent tes photos sur Facebook et qui disent t’as morflé, t’as pris cher et tu vas sur la page de la meuf, tu vois l’engin (rires) et tu fais bon… Je ne peux rien dire. "Morflé" venait de là et on n’y arrivait pas. On n’avançait pas et un matin il me dit : j’ai fini. Comment ça ? Il la joue et j’ai pleuré.
Laurent : Et moi c’est Lambert Wilson qui m’a inspiré. On fait les batteries de "Sucer des cailloux" en studio, je me barre faire un tour et je tombe sur Lambert Wilson sur un tournage, super beau, hyper bien habillé. Je me suis dit il porte beau, il a pas morflé et de là en marchant, en vingt minutes j’avais écrit le titre.
A l’inverse, vous traitez de sujets graves ("Les Playmobils complotistes", "99 Milliards", "Béton armé", "Turlututu", etc.) sur un ton humoristique.
Laurent : Pour les Playmobils, on l’a écrit à deux et ce qui a été malin de notre part, c’est de prendre un jouet, un truc super ludique, de lui attribuer des qualités qu’il n’aura jamais, et en plus sur cette histoire de Noël.
Paul : Il y a sur internet des gens qui font d’astucieux montages de boîtes de Légo ou de Playmobils du style Playmobils chaise électrique (rires). C’est un peu ça qui nous a inspiré.
Laurent : Au début, on voulait faire les Playmobils Jihadistes et après le Bataclan on a renoncé.
Paul : Il y a des choses sur lesquelles on n'avance pas et on abandonne, ça arrive.
Laurent : "Turlututu" par exemple, elle n’est pas vraiment de nous, parce que le sujet des suprémacistes avec humour a déjà été traité par Quentin Tarantino, par Spike Lee...
Paul : Par Mel Brooks aussi…
Laurent : Oui aussi, ils ont souvent été traités avec dérision et donc "Turlututu" a été "facile" à écrire en se demandant ce qu’on pouvait trouver de drôles.
Paul : Le plus dur a été de choisir dans la liste ! Tu gardes ce qui te fait marrer et il faut que ça tienne avec la mélodie. Il y a des blagues qui sont bonnes et que tu ne gardes pas parce que c’est trop dur à caser.
Laurent : La réalité du truc, c’est que ces gens qui défendent ces idéologies, avec des parcours de vie qu’on peut analyser pour les comprendre, pas les accepter, en fait la seule chose que tu peux opposer à ça c’est le rire, c’est anachronique, c’est pathétique !
Paul : Tu regardes le gars en rigolant et il ne peut rien faire. C’est l’arme absolue et moi je m’en suis…
Laurent : … avec la Winchester quand même (rires).
Paul : (rires) Le rire et le décalage quand tu es dans une embrouille, tu regardes en rigolant et tu te dis : et qu’est-ce que tu vas faire, en fait ?
Laurent : Si je faisais un peu de philosophie, je dirais que le rire, c’est ce qu’on exprime quand on est conscient que la nature que l’on voit en action ne correspond plus du tout au cap qu’il faudrait qu’elle ait en fait !
Ndlr : s’engage une discussion sur le fait que péter aussi fait rire, mais je la garde pour moi !
Y a-t-il des sujets que vous vous interdisez de traiter ?
Paul : Oui je ne veux pas rentrer dans le meme-dropping politique ! Pas de Zemmour et de Marine Le Pen, il y a beaucoup trop de crédits et de lumière qui sont faits sur ces chiens, qui sont des dangers…
Laurent : Ils ne méritent pas l’esthétisation.
Paul : Ils ne méritent pas qu’on s’intéresse et qu’on en parle. Et puis c’est un peu ce concept à la Sinsemilla et compagnie : le racisme c’est mal, il ne faut pas tuer les dauphins. Il y a des choses au sujet desquelles on ne parlera pas comme les meurtres d’enfants, mais il n’y en a pas douze mille, c’est vraiment la politique et de la traiter de manière frontale qui réduirait le discours à "ce n’est pas bien le Front National".
Laurent : Tout dans nos chansons, on pense à la France du petit Nicolas, te permet de voir ce que l’on pense en termes de politique, on n’a pas besoin de dire que Zemmour ne nous va pas en fait. Ou alors il faudrait que l’on ait un angle d’approche hyper décalé.
Paul : Tout est là. Si on estime que l’on est pas trop dans le pathos, qu’on estime qu’elle fait avancer un peu les choses, elle fait réfléchir, sans faire chier les gens en leur imposant notre vision et qu’on arrive à biaiser le truc par un truc comique : ouais on le fait !
Laurent : Il ne faut pas que ce soit dogmatique. On a toujours eu un problème avec l’artiste de gauche qui dit Israël c’est bien et la Palestine c’est mal ou l’inverse, les situations sont bien trop complexes pour en tirer des conclusions. A part dans certains contextes comme quand on a imaginé le fils de Poutine, on a imaginé des choses très très décalées mais qui traduisent la réalité de ce que c’est l’origine de Poutine. C’est le côté grand enfant : quand tu lui fais de la peine il envahit l’Ukraine, si tu traites de naze il te coupe le gaz. C’est-à-dire qu’un dictateur est un grand enfant capricieux, à qui on n’a jamais su dire non et qui a gardé ce logiciel jusqu’à l’arrivée au pouvoir !
Paul : Putain la chance ! (rires)
Vous avez organisé une série de concerts avec les Marcel et son orchestre : comment avez-vous mis ces concerts en place ?
Paul : D’une manière très collégiale.
Laurent : Si tu te souviens on était en concert en Touraine, on a beaucoup fait de co-plateaux avec les Marcel depuis des années, et on nous a proposé le Zénith à Lille et on s’est dit on ne va pas refaire un co-plateau, que ça serait bien que ça se mélange, que chacun vienne pendant le set de l’autre.
Paul : Que les gens ne viennent pas voir et eux et nous, mais qu’ils viennent voir les deux ensemble !
Laurent : Ce n’est pas facile à mettre en place.
Paul : Le spectacle nous correspond moins qu’ils leur correspondent parce que l’esthétique, mais ce sont des mecs cool, gentils, adorables…
Laurent : On s’entend très bien avec eux, on n’a pas la même approche de la musique et chacun son délire et ce sont des gens qu’on a écouté quand on était plus jeunes. On refera quelques dates encore.
Vous avez diffusé une vidéo, à la suite, concernant des comportements d’agressions sexuelles. Vous pensez en faire une chanson un jour ?
Laurent : Oui, il y a eu des comportements totalement déplacés. On a fait "Gros con" sur les femmes battues.
Paul : Le pelotage en concert, c’est tristement malheureux, mais tu as au même endroit un microcosme où tu as un pourcentage de trous du cul là-dedans, l’alcool "aidant", voilà.
Laurent : Personnellement, plus le temps passe et plus j’ai du mal à "voler" aux victimes leurs expériences pour en faire des chansons. En l'occurrence, ce sont des femmes….
Paul : Oui ça ferait un peu démago.
Laurent : Et illégitime. Ce qui est bien, c’est quand on voit des flyers et des associations qui tentent d’empêcher ce genre de comportement, on les soutient à 100%. On a tous des filles. Et qui vivent cela au quotidien.
Déjà j’avais fait "Canal Saint-Martin" sur des SDF et je me "faisais" du blé avec et c’est ma limite conceptuelle. Je le fais sincèrement parce que ça me rend extrêmement triste de savoir que la pauvreté existe encore en France et ailleurs, mais la légitimité de l’artiste qui va gagner des milliers d’euros et qu’au final, ça n’aide pas ces gens-là, parce que c’est la réalité et on essaie d’avoir dans nos chansons des choses qui nous concernent directement ("Ton Portable", "Les Playmobils complotistes") en tant que citoyens ou parents.
Après avoir évoqué Johnny (titre censuré), Goldorak, Derrick, Lavilliers et d’autres, vous avez des pistes pour les prochains titres ?
Laurent : J’ai commencé à bosser sur un truc, Paul en a parlé. L’autre fois on est allé à Pornic et on s’est aperçu que Lénine y avait séjourné avant la révolution pour se reposer et moi je bosse là-dessus : Lénine à Pornic, rien que le titre (rires). On se dit qu’il aurait peut-être dû y rester, pêcher la crevette plutôt que le goulag ce n’est pas plus mal. Il y a des gens qui vont dire que Lénine ce n’est pas la même chose que Staline, enfin bon : si un mec tape la balle et que l’autre marque un but…
Paul : On a le même maillot !
Laurent : Et toi, tu as quelque chose avec du name-dropping ?
Paul : Non, je n'en ai pas trop. J’ai une dizaine de textes pourtant.
Laurent : On n’a rien fait sur les époux Balkany, on avait essayé de faire un truc qui nous faisait bien marrer, mais que des trucs pas drôles.
Paul : J’ai retrouvé mon texte il y a peu, deux pages A4, il n'y a rien de bien…
Laurent : En plus à l’époque, on faisait les "Playmobils complotistes" et les "Tilleuls de Barcelone"…
Paul : J’avais commencé à bien me rencarder, chercher des casseroles et ce n'est pas la bonne technique. Il aurait fallu vanner, cache, avec une musique des balkans quoi ! Les chansons comme ça qui sont là depuis trois albums, en attente, elles ne sortiront jamais. Les mecs vont dire qu’on fait les fond de tiroirs (rires). Quand on retrouve un vieux single d’un artiste, c’est de la merde bien souvent.
Vous pouvez nous parlez de la BD que vous avez sortie ?
Paul : Cz nest pas nous. Ce sont des fans qui travaillent sur de grosses publications et qui sont chez Bamboo Editions. Ils voulaient faire une BD sur nous, traitée à la Scoubidou. On a dit OK, ils ont potassé les scénars qu’ils nous ont envoyé pour qu’on valide.
Laurent : Ce que l’on a validé, c’est que cela ne soit pas une énième fois les chansons d’untel en bande dessinée. Ils ont vu comment on était en termes de personnalité, ils ont grossi le trait, ils l’ont décalé.
Paul : Ils nous ont mis dans des situations farfelues.
Laurent : Ça n’a aucune prétention, ce n’est pas avant-gardiste et c’est entre Joe Bar Team et du Frankin. C’est une BD familiale et on est fiers d’être dans un truc comme ça !
Il va y avoir une suite ?
Paul : Ça va dépendre des ventes déjà.
Laurent : Aux dernières nouvelles, ce n’est pas mal.
Paul : Pour un projet sans pub et qui parle d’un groupe pas hyper connu, c’est bien. Ça nous permet d’avoir de la visibilité dans des endroits comme la Fnac ou les grandes surfaces.
Avant de conclure : finalement, vous avez eu votre magnet du Jura ?
Paul : J’en ai au moins 150 (rires)
Laurent : Moi je suis plus sur l’Amérique Latine en ce moment.
Paul : On a eu des officiels et des fabrications maisons…
Génial ça !
Paul : Ça dépend (rires)
Laurent : On a rendu sa fierté au Jura.
Imaginons que votre meilleur ami s’en aille et vous lui offrez un disque, un livre par exemple pour évoquer votre amitié. Quel serait-il ?
Paul : Il faudrait que cela soit quelque chose qui revienne. Un livre de recettes ! J’écrirai moi-même dans un livre tous les trucs que j’aime faire à manger et boire. En faisant la recette, il pensera à ouam et en dégustant le truc, il appelera en disant : "j’ai dû foirer un truc”. L’idée serait d’avoir un objet ou quelque chose sur lequel tu reviendrais sans l’avoir tout le temps en visu.
Laurent : Je lui offrirais la meilleure bouteille de pinard du monde mais sur l’étiquette, il y aura une photo dégueulasse de moi ! (rires)
Quelle a été votre réaction au projet de Jean-Marc et son hommage à Michel Berger ?
Paul : Jean-Marc est la personne sur terre que je connais et qui est la plus gentille. Il fait ça avec son cœur.
Laurent : Il ne gagne pas d’argent avec.
Paul : Il en perd même. Moi je déteste Michel Berger et chanté par Jean-Marc, ce n’est pas mon truc.
Laurent : On a chacun son projet. Et je trouve génial que dans un groupe on puisse faire ce que l’on veut à côté avec ce que nous rapporte le groupe !
Paul : On s’aime tellement qu'on ne va pas brider quelqu’un qui veut faire son truc, sauf si on pense qu’il va au-delà d’une galère ou qu’il y a un danger.
C’est ainsi que se termine cette interview. Une fois encore, j’ai eu le plaisir de rencontrer un groupe humain, qui sait passer du rire aux sujets plus graves en une fraction de seconde et qui fait preuve de beaucoup d’humanité. Si tu ne connais pas encore, c’est bien dommage mais il n’est jamais trop tard pour bien faire ! |