Pendant que Jasmine Vegas était partie à la conquête du public stéphanois en ouverture du concert de Arthur H, un petit évènement se déroulait à Paris dans la jolie salle de l'Espace Jemmapes, où il restait encore quelques places disponibles, qui accueillait pour la première semaine de la 1ère édition de son Festival Mai Paris Mai,
consacré aux différentes formes d'expressions parlées ou signées trop discrètement annoncé, une formation éphémère composée de 4 musiciens époustouflants : Fantazio, Bertrand Belin, Stephen Harisson et Denis Charolles.
Quel rapport me direz vous ? Et je vous répondrais : aucun ! Si ce n'est que les trois premiers ont joué dans ce qui s'appelait le Jasmine Bande dont la chanteuse était, vous l'avez déjà deviné, Jasmine Vegas.
Et dommage pour ceux qui auraient pu venir car ils auraient entendu et peut être découvert non pas de la musique exécutée, au deux sens du terme, mais de la musique vivante et innovante.
Mais il est bon de revenir sur le pedigree des messieurs avant de vous relater un concert difficilement racontable tant il fût singulier, échappant à toute tentative d'étiquetage.
Denis Charolles tout d'abord, le seul à ne pas avoir joué avec Jasmine, sévit aux percussions et autres bruitages (arrosoir, clairon, trombone à coulisse, tasses et couteaux, entre autres choses …) ainsi qu'au chant. Remarquable au premier coup d'oeil dans sa chemise à la Elvis, col et rabats de poches strassés, Denis Charolles, polyinsturmentiste, c'est surtout un batteur qui sévit au sein de La Campagnie des Musiques à OuÏr, d'un des groupes les plus inventifs de la jeune scène jazz européenne, et du trio Mélosolex.
Stephen Harrisson, acharné de la contrebasse,
chanteur, joueur de banjo (et quel banjo ! je suis sûr que celui-ci a participé à la conquête de l'Ouest) est membre du groupe freeBidou. freeBidou est composé de vieux briscards du son qui pratiquent un world
trash musette hystérico-décapant selon leur propre aveu.
Le troisième larron qui assure les parties de guitares, et également le chant, c'est Bertrand Belin (et oui, pour les sceptiques, il fut en son temps un des Jasmine Bande, avec un e à la fin, elle y tient).
Instrumentiste hors pair, compositeur et arrangeur, il vient de sortir un premier album tout en élégance languide et poétique.
Et puis Fantazio. Fantazio, l'homme qui contrebarrit, qui défonce autant ses doigts que l'instrument en tapant sur sa contrebasse qui a autant bourlingué que lui, un peu défoncée, un peu rafistolée mais toujours fidèle.
Après 10 ans de nomadisme tant musical que géographique,
il a enfin sorti son premier album The Sweet Little Mother Fucking Show . Les compères se sont déjà frottés musicalement dans des formations aléatoires et improvisée et comme toujours, ils avouent n'avoir répéter ensemble que la veille pour caler "quelques" trucs. Le reste est affaire d'oreille, de cœur et d'inventivité.
Plus d'une heure durant, c'est entre jazz et pop, entre compositions originales et improvisations contrôlées, entre inventions sonores et délires subervsifs que le quatuor nous a baladé. Les musiciens semblent s'entendre parfaitement … et s'écouter, rattrapant le moindre faux pas, enchaînant, après un bref coup d'œil ou plutôt d'oreille, sur un chemin musical intié par l'un ou par l'autre.
Denis Charolles bouscule ses caisses remplies d'un fourbi poussiéreux (sont ce des gravats ?), souffle et frappe un arrosoir métallique, klaxonne, joue du couteau, chante la "véritable histoire" du Manneken-Piss.
Fantazio est fidèle à lui-même et livre un show avec sa contrebasse et son ukulélé manchot (seules 2 cordes sont encore en place). De sa voix tantôt grave et imposante, et parfois douce et aigue, il sait tout faire, charmer, intriguer, inquiéter, hypnotiser pendant que Bertrand Belin, plus discret, est dans un registre bien loin de celui qu'on lui connaît sur ses projets solo. Ici sa guitare est mise à l'épreuve et ce guitariste de talent s'en donne à cœur joie. Ca grince, ça grogne, qu'il joue debout ou assis, la guitare à plat sur ses genoux, il en impose et sa voix grave lorsqu'il chante se marie parfaitement à l'ambiance de la soirée.
Stephen Harrisson n'est pas de reste en martelant sa contrebasse et poussant lui aussi la chansonnette. Le quatuor invente dans l'instant un univers singulier au gré des improvisations, des humeurs, inventant des sonorités ou des dissonances, se jouant des règles, irréductibles et libres. Libres de nous faire partager leurs émotions et leurs univers pour un moment unique, un concert à usage unique, impossible à reproduire.
Et puisque c'est un festival de textes déclamés, Fantazio et Belin s'adonnent à un petit jeu de canon (souvenez quand vous étiez petits …) sur un texte bien pessimiste quant à l'avenir de la musique populaire.
Loin d'un concert de musiciens pour musicologues, ils ont su captiver le public en faisant partager leur plaisir d'être là et de jouer. Une expérience heureuse que l'on souhaiterait voir renouveler tellement plus souvent… |