Texte de Virginie Despentes adapté par Valérie de Dietrich et Vanessa Larré et mis en scène par Vanessa Larré avec Anne Azoulay, Valérie de Dietrich et Marie Denarnaud.

"J’écris de chez les moches, pour les moches, les veilles, les camionneuses, les frigides, les mal-baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf".

C’est ainsi que démarre King Kong Théorie, l’essai de Virginie Despentes, écrit en 2006. Elle y raconte son cheminement intellectuel, organique, viscéral, vers le féminisme.

Après avoir subi un viol lorsqu’elle avait 17 ans, Virginie Despentes cherche dans la littérature des œuvres qui pourraient faire écho à ce qu’elle a vécu. Elle cherche le dicible, le champs des possibles, pour une femme qui a vécu l’inénarrable. En lisant les écrits de Camille Paglia, écrivaine américaine féministe, elle trouve des propositions de "vivre avec" et comment trouver la capacité de s’en remettre, plutôt que d’incarner le statut de victime.

Son texte est cru et audacieux, il questionne et déconstruit le féminin et le masculin, et la violence instaurée socialement dans la relation femmes-hommes. Il interroge la catégorisation binaire des sexes et y dépeint la figure d’une femme en inadéquation avec les normes de genre.

Le viol, que Virginie Despentes décrit comme évènement fondateur de sa vie de femme, est pensé comme l’organisation politique par laquelle un sexe déclare la guerre à l’autre. Le récit est construit comme un pamphlet libérateur, un élan créateur, qui vise à trouver sa propre incarnation, hors de la place et du rôle habituellement assignés aux Femmes par la société des Hommes.

Vanessa Larré reprend son adaptation théâtrale du manifeste de Virginie Despentes et met en scène les trois comédiennes Anne Azoulay, Valérie de Dietrich, Marie Denarnaud, qui se donnent la réplique et font vivre ce texte percutant. Elles sont toutes trois magistrales, et incarnent le combat et la résurrection d’une femme parmi les vivants. Parmi les vivantes libres. Elles habitent magnifiquement ce récit qui, pourtant, n’était initialement pas destiné au théâtre.

Le monologue est transposé dans une dynamique à trois personnages, les trois comédiennes déambulent sur la scène au décor sobre et lumineux, dans un jeu de miroir aux multiples reflets. Elles prennent la parole avec ou sans micro et mettent en perspective leur récit par le biais de la vidéo, dans un jeu de mise en abîme.

Les projections sur le grand voile à l’arrière de la salle, invitent le spectateur à transposer le récit de l’âpre combat de l’intime à l’universel. Le musicien Stan Bruno Valette les accompagne sur scène à la guitare électrique, transposant en mélopée rock ses accords lancinants.

À l’époque où la parole semble se libérer à propos des violences sexuelles et sexistes, force est de constatée que le texte de Virginie Despentes était précurseur et subversif.
Cette pièce est d’une puissance fébrile, on en sort aussi sonné et ébouriffé qu’après la lecture du livre.