Spectacle écrit et mis en scène par Ismael Saidi et interprété par Ismaël Saidi,
Inès Weill-Rochant (en alternance avec Fiona Levy).
L'idée de départ est simple.
Un homme, Shahid, est assis seul au milieu de son salon, dans sa maison.
Mais plus que pour quelques minutes, car le tribunal vient de le condamner à rendre les clés de la maison à sa propriétaire officielle, Delphine, qui arrive de Montréal.
La femme est Juive, l'homme Palestinien et cette maison se trouve à Jérusalem.
Pourtant, Shahid a toujours vécu dans cette maison, située dans le quartier de Sheikh Jarrah, comme avant lui son père et son grand-père.
Alors lorsque Delphine arrive et réclame les clés de SA maison, Shahid est en colère et dans l'incompréhension totale de cette décision de justice.
L'intrigue paraît banale, hélas, on a déjà entendu ce genre de faits divers.
On imagine que ces deux personnages ne sont pas faits pour s'entendre et l'on devine que l'auteur nous mène au pied d'une métaphore de la situation actuelle au Proche-Orient, un point précis montré du doigt qui révèle un état des lieux infiniment plus vaste mais qui en détient néanmoins tous les éléments déterminants.
Un objet fractal de la guerre.
La pièce se déroule sur une journée, pendant laquelle une éclipse solaire va convoquer la grand-mère de Delphine, Ruth, et le grand-père de Shahid qui vont s'incarner dans les corps de leurs petits-enfants.
Shahid et Delphine vont traverser le temps et les vies de leurs ancêtres, qui vont leur permettre de comprendre leurs parcours de vies jusqu'à Jérusalem.
Comme le dit si justement Ismaël Saidi, dans le contexte tendu de l'histoire de cette région du monde, si l'on ne décide pas de comprendre la douleur de l'autre, son cheminement, son histoire et sa colère, aucun chemin vers la paix n'est possible.
Les deux comédiens Ismaël Saidi et Inès Weill-Rochant incarnent tour à tour Dephine et Shahid et leurs ancêtres, et cette double interprétation est magistrale.
Et là où l'on aurait pu s'attendre à une histoire plutôt convenue, la grand-mère rescapée des camps et le grand-père trimbalé à droite et à gauche de la Palestine et témoin de la mort des siens, apportent avec eux leurs souvenirs dramatiques, mais aussi et surtout l'humanité qui semblait manquer aux deux personnages contemporains.
L'histoire nous fait voyager dans le temps et l'espace, du ghetto de Varsovie, en Pologne, à la guerre actuelle, comme aux guerres qui se sont succédées au Proche-Orient, en passant par le camp d'extermination de Treblinka et les révoltes arabes.
Les décors sont dépouillés mais l'illustration sonore nous emmène instantanément à Jérusalem.
Sans cette connaissance du vécu de leurs familles respectives, Delphine et Shahid sont dans l'incapacité de dépasser leur propre méfiance et leur rancœur.
Ces ancêtres vont déposer les fragments de leur histoire au cours de cette éclipse, pour les recoller à la grande histoire, et permettre ainsi à leur descendance de construire ensemble un avenir à leur échelle, et en projection, à plus grande échelle.
Les ellipses entre le monde des morts et celui des vivants permettent au gré des mots que les personnages formulent enfin, de retrouver le chemin vers la vie et l'espoir.
Les situations sont aussi drôles qu'émouvantes, les dialogues entre ces quatre personnages sont tout à la fois acerbes et tendres, drôles et terrifiants.
On est ému aux larmes devant les témoignages de ces deux aïeux, qui furent témoins de ce que l'Homme peut faire de pire, mais qui malgré cela, restent encore capables d'éprouver l'amour.
On rit aux répliques bien senties du grand-père envers son petit-fils un peu dépassé par les évènements.
Les deux comédiens épatent par leur facilité à glisser d'un personnage à l'autre, sans jamais nous perdre et surtout par la manière de garder cette histoire abracadabrante cohérente jusqu'au bout.
Il faut savoir que cette pièce fut écrite par Ismaël Saidi bien avant la nouvelle escalade de violence qui sévit au Proche-Orient. Elle prend aujourd'hui une résonance particulière.
Il est toujours utile de se rappeler qu'à une époque, avant de devenir deux communautés qui peuvent sembler irréconciliables, ceux qu'on appelle aujourd'hui Juifs et Arabes n'étaient qu'un seul peuple aux pratiques religieuses différentes, certes, mais des religions qui ne remettaient pas en cause le lien qui les unissait.
Le comédien/auteur/metteur en scène Ismaël Saidi délivre un message de paix et d'humanisme à ce monde amoché et à notre humanité dont, hélas le bonheur semble être depuis longtemps la dernière des préoccupations.
Le conte échappe avec intelligence au manichéisme des débats actuels, et l'on sort de cette pièce avec l'espoir d'un possible apaisement...
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