A ce stade, les solutions ne sont pas multiples. Ecouter le Johnny Cash période Rick Rubin, c'est un peu le tiers-monde des solutions. La sécheresse de l'initiative, la voix si forte, le chant si faible….
Même après sa mort, le choix s'impose de lui même. A hundred higwhays, cinquième album posthume du plus grand chanteur américain en compagnie du producteur, confirme que Cash n'est pas un musicien. Plutôt prêtre Johnny, confesseur d'âmes à la dérive.
A hundred highways emprunte le chemin initié quelques années auparavant avec les American Recordings, cette longue série d'albums fait de reprises country, blues et rock ("Personal Jesus" par Cash restant une apogée) ayant ce double effet de dépoussiérer ces vieux titres autant que de se replonger une dernière fois dans l'art de Cash, peut être jamais si fort que dans la détresse.
Comme ce "Help me" de Larry Gatlin, appel au secours face à la maladie qui fait déjà toc toc, serein comme un vivant ayant vu l'après, Dieu en bandoulière. A genoux, seul depuis la mort de June, on imagine Cash aminci, blême, déjà plus, déjà loin, et puisant malgré tout la force de chanter. Chanter comme Johnny Cash.
Un courant d'air chaud venu du gulfstream . Et puis tout s'enchaîne. Logique. On s'attend naïvement à des reprises country et l'on se prend "God's Gonna Cut You Down" dans la tête d'enceinte. Guitare bluegrass, phrasé terriblement sexy, simultanément lads et cow-boy et l'électrique qui tricote dans le coin. God's Gonna Cut You Down , un monolithe de plus, réussit le crossover en gospel et R&B, ni plus ni moins.
Ses battements de mains en guise de batterie, comme un banc d'esclaves ramant encore et encore dans la galère. On pense à Jeff Buckley et sa reprise de "Be your husband" de Nina Simone. Autre mythe, autre art de la reprise, pour un gospel sans fautes. Même frisson à la voix qui s'amorce et monte, monte, monte…
La légende voudrait que "Like the 309" soit la dernière chanson composée par Johnny Cash. Like the 309 est l'annonce de départ. "It should be a while before I see doctor Death So, it would sure be nice if I could get my breath" chante le vieux bluesmen, et c'est tout le bluegrass qui reprend des couleurs. Cash affronte ses démons pour la dernière fois, attendant de prendre son dernier vol, et puise l'énergie nécessaire pour faire vibrer la corde sensible une fois encore.
Plus que American IV, A hundred highways est lumineux, comme conscient de l'inévitable, dénué de toute fioriture. Une guitare sèche et un piano venu en ami habille "If I could read my mind" comme une jouvencelle pleine d'espoir. La reprise de Gordon Lightfoot, inconnu par la plupart, éclate au visage comme une parenthèse sévèrement joyeuse, quand "Further on up the road" de Springsteen sonne un au revoir sans regrets. Ecoute au casque obligatoire, pour palper le phrasé de l'homme en noir, la force des mots malaxés dans sa bouche. Prends la route Johnny, et ne reviens jamais .
Outre les reprises quelques fois dispensables, "The Evening Train" d'Hank Williams, "A legend in my time" de Don Gibson, A hundred highways marquera l'auditeur comme ses aînés, avec le goût amer des bonheurs qui ont une fin.
Sublime conclusion d'un disque ou d'une vie c'est idem, "I'm Free from the Chain Gang Now" clôt l'album avec son orgue de mariage et d'enterrement. La fin d'un temps, me direz-vous.
Que reste-il à faire ? Re-visionner encore et encore le clip de "Hurt", en attendant les larmes. |