Klive et Nigel Humberstone ont accepté de répondre par mail à
une (longue) interview, dont nous tenons à les remercier très
chaleureusement, suscitée bien évidemment tant par notre intérêt
pour leur groupe "In The Nursery" - qui est en pleine actualité
avec la sortie de leur dernier album "Praxis"
et un concert
donné à la Locomotive à Paris le 20 mai dernier -
que par la longévité de leur carrière, l'ampleur de leurs
réalisations et leur conception tout à fait singulière
de la musique et de leur oeuvre.
Comment vous êtes-vous impliqués dans la musique ?
KH :Nous avons toujours été intéressés
par la musique. Notre frère aîné était DJ et il jouait
une musique très variée. Nous avons commencé à aller
voir des concerts vers 14 ans, et l’émergence de la musique punk
démontrait que n'importe qui pouvait faire de la musique.
Je me souviens que nous avons commencé à faire de la
musique avec une idée assez vague de ce qui allait en ressortir. Le déclic
qui nous a incité a former un groupe et créer notre propre musique
provient de l'écoute de groupes comme Joy Division et nous nous sentions
presque contraints d'essayer de faire quelque chose par nous-mêmes.
Dès que nous avons eu quelques morceaux à notre répertoire,
l'idée de jouer en live et partager nos émotions s’est imposée.
Ensuite il nous a encore fallu 2 ans pour enregistrer le mini-LP "When
Cherished dreams come true" en 1983.
Quelle formation musicale avez vous ?
KH :Aucun de nous n'a reçu de formation musicale et d'ailleurs
nous ne pouvons pas lire la musique. Nous avons joué des tas d'instruments
à l'école (enregistreur, trombone, accordéon) mais quand
nous avons reçu une guitare électrique pour notre 16ème
anniversaire, nous avons commencer l’apprentissage avec enthousiasme.
Puis Nigel a acheté une basse et alors nous avons progressé
Vous avez indiqué que le nom de votre groupe avait été
choisi, en 1981, à partir de vos réflexions sur votre enfance.
Pourquoi ce choix ?
KH :En effet, nous avons choisi "In The Nursery" en 1981
lors de notre premier concert. Ce choix concrétisait notre intérêt
pour les divers thèmes de l'enfance, comme l'innocence ou le phénomène
de l’autisme.
En outre les aspects psychologiques ont été explorés
dans les images et les paroles que nous faisions à cette époque.
Le temps a passé et nos influences ont changé, ce nom n'a plus
autant de pertinence que par le passé, aussi l’avons nous abrégé
en ITN et nous préférons le voir juste comme un logo abstrait.
Pourquoi n’avez-vous jamais quitté Sheffield ? Pourriez vous
imaginer faire de la musique ailleurs ?
KH :Nous sommes venus tous les deux à Sheffield pour faire nos
études. C'était l'époque où naissait la musique
industrielle et chaque soir vous pouviez sortir dans un pub ou un club pour
voir des groupes comme Cabaret Voltaire, Human League, Clock DVA, I'm so Hollow,
Throbbing Gristle, etc... C'est pendant cette période que In The Nursery
a vu le jour.
Plus qu'une ville, Sheffield s’apparente à un village,
tout est proche. Après le lycée, il ne nous a jamais semblé
nécessaire d'aller vivre à Londres ou ailleurs. Tout ce dont nous
avons besoin pour faire notre musique se trouve à Sheffield, et en plus
la campagne (pour la relaxation et l'inspiration) se trouve à 10 minutes
en voiture.
La gémellité constitue-t-elle un avantage en raison de la
symbiose naturelle des jumeaux ? Ne s’agit-il pas d’un autisme à
deux ?
KH :Nous ne sommes pas conscient de notre dépendance mutuelle.
Simplement, nous travaillons parfaitement ensemble. Les décisions sont
toujours facile à prendre.
Votre discographie s’étend sur 20 ans et exprime un désir
constant de progression et d'expérimentation. Où puisez-vous cette
énergie et cette créativité ? Comment travaillez vous pour
être aussi prolifique ?
KH : Il est très difficile d’avoir un point de vue objectif.
Je crois que les autres, comme les journalistes ou les fans, pourraient plus
aisément apprécier l'évolution de ITN. Mais cette question
me fait penser à nos débuts en 1981, à ce moment où
nous n'avions même pas imaginé produire notre musique. Ce n'était
pas la raison pour laquelle nous jouions ensemble, nous désirions juste
jouer pour nous mêmes et réaliser un disque relevait du vague rêve.
D’où le titre de notre premier disque "When Cherished dreams
come true'
Depuis ce jour, nous continuons de formuler nos envies musicales avec
le désir de faire une musique qui correspond entièrement à
nos préoccupations.
NH : Je voudrais résumer cela par une de nos citations favorites
et devises "Onwards and Upwards - The movement of spirit" (D’avant
en arrière - Le mouvement de l'esprit) car j'aime penser que chaque nouvelle
tache que l'on entreprend est bâtie sur la précédente en
nourrissant notre progression et notre développement.
Avez vous chacun un rôle précis dans le groupe, notamment
en ce qui concerne la composition des morceaux, ou s’agit-il d’une
collaboration totale ?
KH : En studio prédomine une collaboration symbiotique. Les
idées de bases et les atmosphères en revanche sont souvent enregistrées
séparément et nous les travaillons ensuite ensemble. En live,
les rôles sont plus répartis. Nigel est chargé de jouer
la plupart des parties de claviers et s'occupe de la mise en place technique
tandis que moi je me concentre sur les percussions, les cymbales et les tambours.
Qu'elle est votre motivation première pour faire de la musique ?
KH : C'est avant tout pour nous..
Utilisez vous des instruments particuliers pour votre musique ?
KH : Oui, des ordinateurs.
Pourquoi chantez vous si peu ?
KH : Tout simplement parce que nous n'en avons eu ni le besoin ni l'envie
depuis nos débuts. Mais tout change puisque sur le nouvel album "Praxis"
où nous chantons sur 2 morceaux.
Nous avons souvent enviisagé améliorer notre chant. Nigel
chante sur "Love will tear us apart" le morceau de Joy Division que
nous avons repris sur "Cause+Effect" et j'ai réenregistré
les paroles de "To the Faithful" pour la version remixée. Nous
chantons aussi un peu en live tous les deux, notamment sur "Mystery"
ou "Compulsion".
Ecrivez-vous de la musique en imaginant que ce serait parfait pour un film
ou un autre media artistique ?
KH : Oui, en permanence. L'album "Stormhorse" a été
enregistré en 1985 comme une bande son d'un film imaginaire. Beaucoup
de chansons ont été créées avec des atmosphères
cinématographiques par nature ; nous avons également étudié
des idées de collaborations avec d'autres artistes dans des domaines
comme les galeries d'art, les expositions, les ballets.
Sur disque, la musique d’ITN est à forte prédominance
électronique. En revanche, en concert, pourquoi utilisez-vous des d'instruments
classiques ?
NH : Le concert live se présente de manière tout à
fait différente de la conception des albums. D'abord, nous jouons les
morceaux qui sont les mieux adaptés à la scène, des chansons
plus puissantes et plus physiques qui nous permettent d'utiliser les percussions
et les tambours dont le visuel constitue notre "marque de fabrique".
Pour nous, l'attrait principal est de proposer un mélange unique
de technologie et de musique orchestrale qui n’est pas chose commune.
Pourquoi, à la Loco à Paris, partagez-vous souvent la scène
avec un autre groupe ?
KH : Ce n'est pas toujours le cas. Beaucoup de nos tournées
comportait uniquement ITN . Mais quand on joue dans des festivals ou dans des
salles, les organisateurs choisissent un groupe pour la première partie
que l'on espère être en adéquation avec le style de ITN.
Les deux dernières fois à la Loco nous étions seuls mais
cette fois il y a une première partie qui donnera, nous l'espérons,
un aspect plus varié et intéressant à la soirée.
Comment ressentez vous les réactions du public ? Aimez-vous jouer
en live ? Les réactions du public sont-elles essentielles ?
KH : Oui, rien ne vaut la sensation de jouer devant un public qui apprécie
et prend du plaisir à nous écouter. Ce retour instantané
de l'émotion du public contraste totalement avec les heures passées
en studio. Les deux activités nous procurent des satisfactions, bien
sûr différentes, mais jouer en live réaffirme notre passion
de faire de la musique, comme à nos débuts, il y a 20 ans !
Comment élaborez vous la playlist?
NH : Au fil du temps, nous avons essayé beaucoup de chansons
et certaines se sont dégagées naturellement comme étant
celles qui marchent le mieux, autant pour le public que pour nous. Il y a des
incontournables comme "Compulsion" ou "Bombed" que tout
le monde veut entendre mais nous aimons aussi jouer des nouvelles chansons.
Peut on dire que l’album compilation "Composite" est une
bonne introduction à la musique de ITN ?
KH : Composite contient une large sélection des morceaux vraiment
représentatifs de ITN tout comme "Scatter" ou "Exhibit".
Pour les néophytes, je recommanderais une de ces trois compilations.
Pourquoi avoir créé votre propre label et vos studios ? Avez-vous
des collaborateurs et si non, comment trouvez vous le temps de tout faire ?
NH : A la suite de la fermeture de Sweatbox Records nous avions commencé
à ressortir nos premiers disques, donc quand Roadrunner et Thirdmind
on décidé de se séparer de nous, nous étions déjà
prêts pour monter notre propre label, ce que nous avons immédiatement
fait.
L’intérêt essentiel réside dans la totale
liberté de création et nous gardons le contrôle artistique
de ce que nous faisons. Bien évidemment, cela constitue une énorme
charge de travail qui pourrait avoir des répercussions sur la créativité
mais nous avons toujours été très impliqués dans
tout ce qui est connexe à notre musique aussi est-ce une partie intégrante
du processus de création de notre musique.
Pensez vous étendre champ d’action de ITN Corporation à
la production d’autres groupes ?
KH : Pas pour le moment, car nous estimons que les nombreux projets
de ITN monopolisent suffisamment le label. Cela peut évoluer dans le
futur.
Quel genre de collaboration avez vous avec Dolores la chanteuse et le percussionniste
Q ?
KH : Nous avons connu Dolorès à l'époque de l’enregistrement
de l’album Trinity. Elle arrivait d'Edimbourgh et nous voulions des paroles
en français sur "Elegy", on lui a donc demander de passer au
studio et cela a marqué le début de notre collaboration... Quant
à Q j'ai fait mes études d'art avec lui et nous l'avons recruté
quelques mois avant Dolorès.
Pourquoi appréciez vous tant les films muets expressionnistes allemands
?
NH : Parce que ils ont un impact visuel très singulier. Des
films comme "Le cabinet du docteur Caligari" vous restent jusqu'à
la fin de vos jours. Cela devient une partie intégrante de votre mémoire
qui influence indéniablement la façon dont on appréhende
l'art.
Avez vous d'autres projets de bande son de films ? Sur quel films voudriez-vous
travailler ? Est ce que des metteurs en scène vous ont sollicités
?
NH : Le prochain disque de la série des bandes sons de films,
sur laquelle nous commençons d'ailleurs à travailler, sera celle
d'un film japonais d'avant garde de 1927 "A page of Madness". C'est
un film vraiment impressionnant sur lequel nous travaillons avec beaucoup d'enthousiasme.
Cette partition sera basée sur des instruments traditionnels japonais,
comme la flûte Shakuhachi ainsi que sur des percussions.
KH : Nous travaillons donc sur notre 5ème projet et nous en
avons d'autres en attente. Nous sommes notamment en contact un auteur-réalisateur
qui nous a envoyé plusieurs scénarios et qui souhaiterait beaucoup
nous utiliser dans une prochaine production.
La musique d’ITN est de plus en plus associée à des
jeux videos, des series TV etc.. Qu'en pensez vous ?
KH : Par nature, la musique peut toucher toute sorte de gens. C'est
d'ailleurs une des raisons pour laquelle j'ai choisi ce media pour exprimer
mes idées. C'est un fabuleux moyen de communication.
Pourquoi avoir sorti "Cause+Effect" qui est une compilation de
remixes commandés à d'autres artistes ? Pourquoi aimez vous les
remixes ?
KH : En fait je ne suis pas un grand fan des albums de remixes, mais
je dois dire que ce fut un vrai plaisir d'écouter toutes les versions
que nous avons reçu pour cette album (y compris celles arrivées
par internet).
Cela paraît même étonnat que nous n'ayons pas pensé
à monter un tel projet plus tôt mais l'idée a germé
à partir d'un remix réalisé pour "Assemblage 23"
et cette idée a fait boule de neige ensuite.
Si vous ne deviez garder qu'un seul album de ITN, quel serait il ?
NH : "Anatomy of a Poet", surtout en raison des contributions
poétiques de Colin Wilson.
Vous êtes jumeaux et vous avez crée 2 groupes. Comment votre projet
"Les Jumeaux" a vu le jour ?
KH : Ce n'est pas parce que nous sommes jumeaux, mais plutôt
en raison de notre envie d'explorer d'autres horizons musicaux. Le nom est un
assez bon choix et curieusement nous a été suggéré
par Marcus Featherby, qui avait produit notre tout premier mini LP sur Paragon
Records.
Pourquoi avoir choisi ce nom ?
NH : Nous passons énormément de temps dans notre propre
studio, à écrire et enregistrer et parfois nous nous surprenons
à créer des choses qui ne sont pas vraiment dans le "style
ITN" (si toutefois il y en a un). Et comme faire de la musique est avant
tout une passion nous avons décidé de canaliser ces créations
"hybrides" dans un projet parallèle qui s’est appelé
Les Jumeaux. Ce projet nous a donné l’opportunité d’explorer
de nouvelles techniques, d'expérimenter librement les possibilités
offertes par notre matériel d'enregistrement et puis d'introduire dans
notre processus de création des nouveaux sons, de nouveaux horizons sonores.
Qu'est ce qui est différents dans le son et le rythme chez Les Jumeaux
? Les Jumeaux jouent ils en live ?
NH : Nous jouons des morceaux des Jumeaux pendant les live de ITN qui
s’int-gre parfaitement aux autres morceaux. Les Jumeaux sont comme un
double de ITN mais en variante dance et plus expérimental.
Vous avez dit que n'importe qui pouvait devenir un artiste. Pensez vraiment
cela et pourquoi ?
KH : Je crois que chacun a en soi le désir latent de s'exprimer,
de créer et par là même d'être un artiste .Le mot
artiste ne doit pas être réservé à une élite.
Joseph Beuys, un grand créateur, qui ne se fixait pas de limite,
disait que "l’art est un moyen pour l'homme d'effectuer des changements
révolutionnaires dans le but de transformer un monde malade en un monde
bien portant".
Que pensez vous des MP3 comme nouveau moyen de distribuer la musique ?
KH : A mon avis, cela ne remplace pas le plaisir d'écouter la
musique à partir d'un objet concret qui vous appartient, que ce soit
un vinyl, une cassette, un mini disc ou un cd.
Quel genre de musique écoutez vous pendant votre temps libre ?
NH : Nous en écoutons très peu et pas assez ! Après
avoir passé toute la journée en studio à écouter
de la musique, s’asseoir et écouter un disque est la dernière
chose dont vous avez envie.
Mais à d’autres moments, cela peut être très
relaxant et aider à la réflexion, même si j'ai trop tendance
à analyser la musique plutôt que de la laisser m'envahir. Récemment
j'ai été très impressionné par des artistes comme
Richard Hawley (qui est aussi de Sheffield).
Vous avez vraiment une approche unique de la musique et vous avez beaucoup
évolué. Pensez vous que votre musique va encore progresser à
l'avenir ?
NH : Je suis ouvert au changement mais je ne voudrais pas prédire
le futur et ce que cela va impliquer. Nous verrons bien ce qu'il se passera
!
Quel est votre futur immédiat ?
KH : Terminer le cinquième disque de la série "Optical
Music" avec la bande son de "A page of Madness" et puis continuer
la tournée qui devrait nous amener à la fin de l’année
2003.
J'aime penser qu’ensuite nous pourrons commencer brasser les
premières idées pour un troisième album des Jumeaux. C'est
quelque chose d'assez "libérateur" de pouvoir travailler sur
un projet parallèle à ITN. Vous pouvez focaliser sur d'autres
sujets, essayer de nouvelles idées et espérer en ressortir avec
quelques chose de nouveau et d'excitant et d’enrichissant. Avec le prochain
album des Jumeaux, j'aimerais collaborer avec plus de musiciens, de chanteurs...
Etes vous des artistes comblés ?
KH : Si nous étions parfaitement comblés, sans doute
aurions nous arrêtés depuis des années. C'est le désir
de créer quelque chose de nouveau et d'inspiré qui est notre carburant.
Si vous deviez résumer votre musique en 3 mots, lesquels seraient
ils ?
NH : Et bien, 3 mots associés à notre nouvel album Praxis
me viennent a l'esprit : ACTION, EXPLORATION et REFLEXION.
Voulez vous parlez d'un sujet que nous n'avons pas abordé ici ?
KH : Je pense que nous venons de faire un joli tour d’horizon…..
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