Il y a des soirs où nous aussi on se retrouve entre trou du cul à pseudo. Une grande virée de vieux rockeurs boiteux, usés dans la force de l'âge, Little Tom et moi même en goguette à la Maroquinerie pour le concert le plus passionnant de l'année... certainement.
Enfin voila le trio du soir : Shearwater, Luke Temple et John Vanderslice, qui n'est pas un échappé du troisième Reich comme le laisse entendre son nom. La soirée intello rock a un peu battu de l'aile, K.O par le Rock & Roll Fridays. On peut bien l’imaginer. Quoi que non, aucun de ses nouveaux Mods et Teddy Bear ne serait aller voir ses groupes tout droit sortis d'article de webzines spécialisés dans la pop.
Mais cet article est cosigné, alors je vais tout de suite m'occuper de la partie qui est la mienne. Il faut bien comprendre, Little Tom s'est tellement fait chier devant Luke Temple qui m'a délicatement laissé la tâche d'écrire sur lui. La vrai raison est qu'il s'est lamentablement endormi, s'allongeant sur le sol de la fosse, une clope au bec, et l'oeil divagant...
Luke Temple, le petzouille qui gratouille sa guitare. Un petit marrant en fait, aussi rigolo qu'une sortie entre fana de l'auto scarification. Non, c'est de la pure connerie de le balancer comme cela, en fait le garçon est touchant.
C'est un vrai front man, seul avec une guitare pourrie, désolée mesdames mais il faut des couilles pour cela. Luke Temple sait jouer, et d'une belle manière. Il crée en fait toute les ambiances qu'il veut, seul avec ses six cordes. On l'envie pour son doigté en arpége, le vieux finger picking qui joue la basse et la mélodie en même temps.
Puis il y a le côté percussif de la guitare, quand il va s’arracher un peu de corne des ongles sur les grosses cordes en ferraille. Les plus grands guitaristes sont des guitaristes percussifs, il faudrait que tous les fans de Satriani se mettent enfin ça dans leur crâne dégénéré à force de bouffer trop de notes à la seconde.
Neil Young est percussif (la B.O de "Dead Man" comme premier témoin), Dylan était percussif, surtout sur son premier album, les frères Davis, Kevin Coyne (un tueur a la guitare messieurs dame, et le premier qui pouffe peut se taper "Fat Girl" et son arpége ultra rapide). Puis c'est en regardent ce Luke Temple que l'on comprend le trip du LSD/hippie sur les chansons Folk et Psychédélique. Toutes les mélodies ressortent comme des couleurs... des ambiances ambivalentes qui font planer... Le côté thérapeutique de la musique, l'apaisement qu’elle apporte. Mais je suis bien le seul à avoir pensé ça de ce pauvre Luke. Tom a, lui, préféré le groupe suivant qui était pourtant bien merdique...
La Maroquinerie semble être une île déserte à la dérive dans le continuum des concerts parisiens du vendredi soir, et chacun des spectateurs l’un des rescapés/naufragés (rayez la mention inutile) des Rock & Roll Fridays de la bande à Manœuvre, qui inaugure ce vendredi ses dégringolades musicales avec groupes en resucée maintes et maintes fois revus et pas corrigés, des groupes au look pas possible prêts à enflammer (le verbe à la mode) une audience pas regardante sur les accords.
La VRAIE soirée est ici, Maroquinerie. Et John Vanderslice (John qui ?) investit la salle pour prolonger la soirée, encore un peu, avant l’entrée de Shearwater. Une illustre bande d’inconnus connus des puristes semble entrer en action, et ces ricains de souche font directement mal, crochet du droit sur la guitare, uppercut du clavier sur la droite, knock-out sur le chant de John….
Les influences se mélangent comme du Nutella fraîchement trempé dans le café du matin, c’est tout un pan de mur de préjugés ("Des américains inconnus qui viennent nous empoisonner le tympan") qui tombe, en même temps que les guiboles, sous le charme. Venue réciter les œuvres du dernier opus, Pixel revolt, la bande de John Vanderslice impressionne, en mixant dans la joie la bidouille de Radiohead et les sixtieries de the Youngbloods ou Creedence.
Voix parfaite, moment parfait. Il se dégage du groupe la même impression qu’à la découverte d’un Kinder surprise. Chaque chanson semble déceler un mystère, une surprise, et la ligne mélodique du clavier semble inépuisable, conductrice d’un message, un espoir, une création.
Le groupe entame "Up above the sea et mute" en groupe rock electro country, genre improbable. John entonne une dédicace à son claviériste rouquin, "Nous avons rencontré ce mec voila quatre ans lors d’un show en Angleterre, il était tellement fan qu’il s’est foutu à poil pendant tout notre live, moi aussi je me suis mis à poil du coup, juste pour une chanson…" et le live reprend son cours avec un énorme "Pale horse" joué foutraque comme de bon aloi, entre americana Sparklehorse et rythmes anglais sur la batterie très Radiohead.
Un rock martial à redécouvrir sur le réseau de Rupert Murdoch, Myspace, puis devenir leur ami, pour prolonger le doux rêve. "They won’t let me run" débute, encore cette putain d’impression que rien ne nous préparait à cela, un océan de tonnerre pop nous tombe dessus. Il ne reste plus qu’à cracher sa bile aux toilettes. Tout simplement… Et entendre le groupe marteler "White plains" avec cette batterie si similaire au "There there" de Radiohead. Le chant de John Vanderslice est sublime, sa pop arrogante, le groupe génial, la remontée de bile reprend de plus belle, on aimerait lécher les carreaux des wc pour prolonger le moment.
Secondes suspendues, le meilleur groupe du monde (Ce n’est qu’une réflexion objectivement subjective..) entre en scène pour faire sa balance, comme des roadies humble" et méticuleux. Il faut dire que le meilleur groupe du monde n’est pas connu, le meilleur groupe du monde a sorti l’album de l’année dans la plus grande indifférence, je-m’en-foutisme du milieu musical.
Le plus grand groupe du monde ne suce pas des pénis dans les toilettes de L.A., ne fait pas les couvertures des magazines pour abus de substances opiacées, ne baise pas Kate Moss entre deux shoots, n’est pas sexy. Le plus grand groupe du monde est simplement le plus grand groupe du monde. Shearwater semble doté d’une force invisible, si le génie est un état d’esprit, Palo Santo, le dernier album est un monolithe qu’on pensait impossible à transposer sur scène.
Et comme tous les meilleurs groupes du monde, la bande à Jonathan Meiburg débute par… une pépite au banjo, "Red sea black sea", issue de Palo Santo, les mots courent dans la tête, les synapses se connectent, les images s’empilent, 24 par seconde, pour reconstituer l’émotion que procure la voix de Jonathan, tragique, forte, simple, minaudante, faible, incroyable, pathétique, synthèse organique de Mark Hollis de Talk talk, Neil Hannon, John Cale, Devendra….
On en pleurerait tellement c’est beau. Qu’on se le dise, le concert de Shearwater est impressionnant, uniquement destiné à jouer toutes les chansons de Palo Santo, sorte de promo divine pour le meilleur album de Shearwater, dixit Jonathan.
Comme tous les meilleurs groupes du monde, celui de Shearwater est incongru ; à votre gauche Jonathan, parfaite icône étudiante en archi’, sorte de Dorian Gray texan, jamais vieux jamais mort avec un coffre fort à place des poumons (impressionnant sur "Seventy four seventy five" tout en clavier velvetien), en retrait Will Sheff l’asiatique tout droit sorti d’un groupe du Krautrock, littéralement possédé, multi-instrumentiste (guitare, clavier, tablas), prêt à donner la fessée aux congas à l’occasion, véritable fou furieux adepte d’un Shining musical où la hâche serait remplacée par la strato, un peu plus loin Kim Burke joue de la contrebasse, gravure texane qu’on imagine servir des pintes sur la route 66, Bo Didley en fond sonore dans le bar, et puis…ce batteur incroyable, Thor Harris, look de viking ayant écouté Debussy un peu trop fort, look terrassant de Burt Bacharach sous exsta’, cognant ses fûts avec la forte douceur des musiciens passionnés, donnant le rythme sur "Sing little birdie", meilleur titre de ce live, qui voit Jonathan caresser son clavier et le tordre, s’arracher la voix, s’époumoner, gueuler, pleurer pour défendre son americana du nouveau siècle.
Grand moment, Shearwater débute "La dame et la licorne" en acoustique, arpège de guitare silencieux, public en adoration, Jonathan débute son chant monacal, et lentement, monte, monte, monte, gravit la montagne, les accords s’effondrent sur le piano, et soudain. Soudain le choc, la voix de Jonathan qui remplit la salle, calme tout le monde, fige l’instant. Le gimmick s’égrène sur le piano et l’orgasme arrive. Comme une libération. Un bonheur forcément éphémère, quatre minutes tout au plus.
Hilare et jovial, en dépit du spleen de la musique de Shearwater, Jonathan confie : "Nous enregistrions un live pour l’une de vos radios nationale hier, et nous avons appris que Sting traînait dans les parages, je ne sais pas pourquoi, il a entendu notre enregistrement, et s’est pointé pour écouter…Et la seule chose que nous nous disions intérieurement c’était Barre toi Sting, fous le camp….".
Public sous charme, audience complice. Jusqu’au bout du troisième rappel qui les verra reprendre Brian Eno et son "Baby’s on fire" avec grande classe, Shearwater aura été parfait.
Shearwater devrait envahir le monde comme un raz de marée pacifiste, recouvrir d’un regard les plaines dévastées par tant de sombres échecs musicaux. Peut être le meilleur concert vu en 2006. Tout simplement.
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