Amor Doloroso marque le retour à la plume et au studio de Jacques Higelin après Paradis Païen, sorti en 1998, même si ce ne fût pas 8 ans de silence mais de tournées avec ce 23ème album puis un spectacle "Higelin enchante Trénet".
Jacques Higelin a bien fait d’attendre l’avant dernier mois pour nous délivrer cet opus fantastique qui clôt l’année musicale en beauté et surtout l’un des plus beaux albums français de l'année 2006.
Jacques Higelin, comédien, auteur, compositeur, musicien, chanteur, tour à tour baladin, hippie, punk, rocker, a écrit et composé un album "source de joies, de doutes, d’enchantements et d’épreuves partagés" comme indiqué dans les remerciements, un album flamboyant, sensuel et brûlant qui, à l’exception du petit coup de gueule contre le caïman à lunettes ("Crocodaïl"), décline une thématique unique, l’amour. Un amour léger, joyeux ou profond mais surtout vrai, celui qui ne se reconnaît que quand il est perdu.
L’amour toujours l’amour certes. Mais l’amour dans tous ses états car Higelin a l’âge où l’on connaît les amours perdues, l’âge où l’amour ne se mesure pas à l'aune de la plume de paon et où les vertus de la maturité font la part belle à l’érotisme. Et singulier hasard, simultanément, Brigitte Fontaine sort Libido.
Les amours légères mais toujours à double sens avec "L’hiver au lit à Liverpool" ("Au soleil de minuit imbibé d’aquavit/Tout nu sur la banquise/Entre deux inuites exquises/La chair enduite de graisse de… phoque") et "Se revoir et s’émouvoir" sur des mélodies inspirées du swing à la Trénet.
Les amours fausement désabusées aux allitérations gainsbouriennes ("Ice dream", "J't'aime telle").
Les amours et ténébreuses et oniriques des amants légendaires qui osent s’aimer dans l’au-delà d’"Halloween", dont l’atmosphère baroque et gothique rappelle "Champagne", et des "amants en cavale évadés de l’enfer et du ciel hors la loi du bien et du mal" qui dépasse les contingences terrestres ("J’aime").
Les jeux de l'amour pour une "Prise de bec"qui entraîne dans les dédales du désir des sens ("Prise de tête/coup de bec et de plumes trempés dans l’encre noire du désir/l’encre rouge sang des plaisirs infligés par le fouet ou l’épée du désir").
Et puis "Amor doloroso" chanson éponyme, sans aucun doute possible une des plus belles chansons d’amour de tous les temps. Flamenco torride et terrible sur l’amour enfui quand on est celui qui regarde le train partir ("Combien de jours de nuits encore/à délirer sans toi la fièvre au corps/la mort dans l’âme/bien plus de mille et une fois/ je me suis senti mourir dans tes bras/ jusqu’au jour où lassée peut être/tu m’as quitté sans dire un mot sans un regard").
Belle à pleurer.
La musique chatoyante comme les plumes de paon et ondulante comme la queue de serpent de "Queue de paon" magnifique morceau d’introduction pour des compositions aux influences musicales variées, du blues ("Prise de bec") au jazz ("Ici, c’est l’enfer") en passant par le swing, est conçue comme un écrin pour les textes qui ne sont pas que des exercices de style dès lors que les émotions et le ressenti restent intacts et présents.
Jacques Higelin, vrai romantique, homme pudique, utilise tous les éléments rythmiques et prosodiques de la versification pour porter l'émotion dans des textes à tiroir dans lesquels les mots, dont il maîtrise la musicalité, paraissent si évidents.
Un album rare, d'une grande exigence et d'une belle cohérence. |