"D’un regard l’Autre" est la première grande exposition temporaire d’envergure internationale du nouveau Musée du Quai Branly, conçu par Jean Nouvel et inauguré en juin 2006.
Cette exposition, sous titrée "Histoire des regards européens sur l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie", conçue par Yves Le Fur, propose une mise perspective de la multiplicité des regards que l’Europe a porté sur les cultures des continents découverts par voie de mer de la Renaissance à nos jours.
Elle s’inscrit dans la volonté de mettre en perspective une réflexion originale sur l’altérité, problématique considérée comme un des fondamentaux du Musée du Quai Branly, et est présentée comme un prélude à la visite de la Galerie du Musée mais aussi aux expositions futures.
Germain Viatte, conservateur général du patrimoine et ancien directeur de la muséographie au sein du musée, a ainsi résumé cette approche : "Nous essayons de montrer la beauté des œuvres exposées, car l’émotion esthétique peut être une porte d’entrée pour les appréhender, pour aller plus loin dans leur compréhension. Nous ne prétendons pas répondre à toutes les questions, le musée n’est ni une encyclopédie, ni une école, ni un livre d’images, il est un lieu d’interrogations."
Exposition anachronique car extrêmement érudite pour appréhender chacun des objets présentés mais également très accessible en ce qu’elle s’articule autour d’une réflexion à la portée de tous. L’autre est perçu tantôt comme un bon sauvage, un être originel, pur et innocent tantôt comme un cannibale aux instincts sanguinaires à défaut d’avoir bénéficié de l’enseignement bienfaiteur de la civilisation occidentale.
A exposition atypique, une scénographie très moderne, singulière et originale confiée aux architectes Stéphane Maupin et Nicolas Hugon qui ont élaboré des espaces aussi judicieux qu’esthétisants mettant en valeur la diversité des œuvres présentées par l'utilisation de transparences.
Le visiteur est accueilli dans une superbe salle symbolique aux mille reflets, tapissée de miroirs pour un jeu de regards, où sont présentés la nef automate de Charles Quint datant du 15ème siècle et l’un des premiers globes terrestres, qui nous immerge à la fois dans le bleu de la mer et l’immensité de l’espace.
On la retrouve d'ailleurs en fin de visite dans un couloir de visite virtuelle dans des musées ethnographiques qui présente des diaporamas dans lesquels l'image des visiteurs est incrustée en temps réel.
Une altérité contingente
D’une époque à l’autre, le regard sur l’autre change en fonction de l’évolution de celui qui regarde et de la société dans laquelle ce dernier vit.
Ainsi les représentations imaginaires de la Renaissance, peignant l’autre comme un monstre ou un cannibale, au mieux un sauvage sylvestre, se trouvent confrontées à la réalité des portraits rapportés des premières expéditions.
Tels ceux d’Albert Eckhout qui montrent l’autre comme un être humain ce qui ne va pas sans suciter une certaine curiosité..
Ensuite, émerge l’image du "bon sauvage" résultant de la fascination pour l’imagerie exotique des artistes embarqués dans les expéditions dans le Pacifique.
Un bon sauvage qui va susciter l’intérêt des encyclopédistes qui en font des représentations entre réalisme documentaire et cliché exotique.
Au 19ème siècle colonialiste, l’émergence de sciences nouvelles, comme l’anthropologie et l’ethnologie, apporte un regard neuf sur les sociétés primitives qui se traduit notamment par l'élaboration d'un important fonds documentaire à partir de photographies et de bustes anthropométriques.
Mais l'Autre n'est pas encore reconnu en tant que tel. Parallèlement aux expositions universelles, se tiendront des "expositions coloniales" destinées à célébrer la fraternité des peuples et qui ont été qualifiés de zoos humains.
De la collection à la valorisation de l'art primitif
La fascination de l’exotisme des arts des contrées lointaines conduit à rapporter en Europe de nombreux objets primitifs pour le réunir dans des Chambre des merveilles puis dans des collections privées ou publiques.
Les européens découvrent également des matériaux nouveaux, comme l'ivoire, qu'ils vont intégrer dans leur artisanat.
Ultérieurement, ils serviront d'inspiration pour pour les artistes et artisans qui créeront des "bibelots aristocratiques" perpétuant la tradition des cabinets de curiosités.
Une superbe salle en tronc de cône, la salle des trophées, présente une disposition en couronnes très étonnante d'un très grand nombre d'armes qui sont collectées par les expéditions de manière ambigue puisque le seul alibi culturel se double d'un certain impérialisme.
La grande mutation "esthétique" intervient au début du 20ème siècle qui voit la valorisation des sociétés primitives et de leur art.
Les peintres comme Matisse, Picasso, Derain et de Vlaminck, à la recherche de nouvelles formes, découvrent "l'Art Nègre" à travers les objets, notamment les masques, rapportés par les explorateurs et colons, qui devint à la mode alors que simultanément intervenait un génocide culturel des sociétés colonisées.
L'exposition présente un très bel éventail des collections des "amateurs distingués" dont celle d'André Breton.
L'iconographie exotique inspire toujours les artistes de Gauguin à PIcasso en passant par le Douanier Rousseau.
Il faudra attendre l'après Seconde Guerre Mondiale, et la notion de "musée imaginaire" d’André Malraux, pour que les arts primitifs accèdent au statut d'oeuvre d'art et fassent l'objet d'expositions majeures. |