Dans "Rue Katalin", Magda Szabo partait à la recherche du temps perdu qui tisse le lien, jamais rompu, entre les morts et les vivants. "La ballade d’Iza" se termine sur ces mots : "Mère ! criait-elle pour la première fois. Mère ! Papa ! Derrière elle, le vent faisait battre la porte fenêtre demeurée ouverte. La cafetière lumineuse versa un flot de café rouge, rouge sang. Personne ne lui répondit. Les morts se taisent."
Et cette fin marque un commencement. Parce que là commence le travail de deuil pour Iza et sans doute une nouvelle perception de l’altérité. Le deuil de ses parents, la mort son père Vince dont elle se sentait très proche, emporté par la maladie, suivi de la mort de sa mère. Une mère dont elle n’a jamais été affectivement proche mais que par respect rigoureux de ses devoirs elle recueille chez elle occasionnant un déracinement fatal.
Iza, figure perçue comme admirable et en même temps comme détestable parce qu’elle a su, d’une certaine manière, se préserver au détriment des autres pour s’accomplir. Les autres qui, fort égoistement, attendent d’elle des marques d’affection, d’amour, de sollicitudes autre que matérielles et raisonnables.
Mais Iza n’est pas démonstrative au sens où on l’entend dans les pays latins. Elle possède cette réserve slave, même si les hongrois ne sont pas d’origine slave, propre aux peuples des pays de l’Est.
C’est par cercles concentriques que la plume de Magda Szabo, d’une limpidité et d’une profondeur extrêmes, sonde les coeurs et les âmes pour cerner le bouleversant personnage central qu’est Iza. Et c’est par la vie de ceux qui l’entourent, ou l’ont entouré, et leur regard qu’elle prend toute substance.
Ce roman suscite de nombreux points de réflexion dès que l’on dépasse l’approche compassionnelle. Réflexion sur le sens du devoir, sur la vraie générosité, sur la pitié dangereuse, sur le sens de l’amour, sur l’enfermement et la solitude qui prennent différents masques selon les tempéraments mais qui sont fondamentalement les mêmes sur l’altérité et la communication impossible.
Iza est aussi l’image de la nouvelle Hongrie, celle qui va de l’avant, une marche en avant qui ne peut s’accomplir sans déchirements, qui se détache du passé, d’un temps qui ne peut être immuable.
Et le lapin sur la page de couverture ? C’est Kapitany. Iza évita de se pencher pour le caresser. |