Weepers Circus et LéOparleur proposent pour ce mois de février une tournée en scène partagée. Comprenez que ces deux groupes phares de la scène strasbourgeoise vont se mélanger gaiement pendant leurs sets respectifs, pour un concert sans temps mort ni changement de scène qui fleure bon l’amitié et la joie de jouer.
Il est déjà merveilleux d’assister à un concert sans avoir à souffrir l’aussi traditionnel que forcément trop long changement de plateau. Mais il y a plus encore dans ce programme ; quelque chose de l’ordre d’un événement, d’une étape un peu unique dans le parcours scénique des deux formations, qui vont faire se côtoyer le temps du concert leurs univers si différents.
Entrent en scène, grandes silhouettes enchapeautées et encostumées de noir et de blanc, bavardes, comme en visite, les très théâtraux Weepers Circus.
Mis en contre-jour par les projecteurs du fond de scène, ils prennent le temps de captiver le public, installant une ambiance typique de ce rock-théâtre qui fait leur succès.
Sur scène, les cinq musiciens proposent un joyeux cirque - celui des gens qui pleurent. Avec leurs allures impossibles, crânes rasés, boucs et uniformes en queue de pie, ils semblent sortis d’un cabaret désuet. Comme une version noire, blanche et muette du lonely heart’s club band - la mélodie pianistique entêtante en guise de doublage. Pourtant, ils respirent la vie, gigotent et grimacent, jouent, comédiens autant que musiciens, entre eux et avec un public immanquablement conquis.
Quant à leurs compositions, elles tiennent autant du rock que de la chanson française (ir)réaliste. Comme si Led Zeppelin s’était un jour mis en tête de jouer du Piaf ou du Ferré. Si les textes ni les ambiances ne sont plus aussi ouvertement médiévistes qu’à l’époque des premiers enregistrement, ils gardent volontiers quelque chose d’impeccablement classique, qui va à merveille à la voix chaude d’Alexandre George, tantôt douce et tantôt déclamante, comédienne toujours.
La prestation des Weepers Circus, qui tourne principalement sur des titres des deux derniers opus du groupe (La monstrueuse parade, 2005 ; Faîtes entrer, 2003), démontre tout leur talent, la richesse et la finesse de leur univers, non sans un certain humour, aussi bien dans le jeu de scène que dans les compositions elles-mêmes, verbe et note maniés avec intelligence.
"Seul" et "Quelqu’un", qu’hante une slide guitar électrisée du meilleur effet, donnent à l’ouverture du concert beaucoup de pèche. "La renarde", normalement chantée en duo avec Olivia Ruiz, offre l’occasion à Alexandre George, resté seul en scène, de s’acquitter, d’une voix très douce, d’une version assez émouvante.
Après un inédit, qui augure très bien du nouvel album (à paraître en automne ?), le groupe se fend d’une version réjouissante de "La fille et le loup", variation boogie impertinente sur les fabliottes petites-chaperonnesques.
La formation, étoffée tout au long de son set par le quintet de LéOparleur, lui cèdera finalement la place à l’occasion du titre "Le premier pas", transformé en marathonesque passage de relais instrumental. C’est fini, ainsi commence le set de LéOparleur.
Comme les tenues des musiciens, colorées, bigarrées, disparates, outrancières, la musique diffère : endiablée, effrénée, sautillante. Débordante. Débordante de fougue et d’humour, tout d’abord. LéOparleur, ça sent les bretelles et le béret, la chemise hawaïenne, la jupe à froufrous et les bas résilles. Pas nécessairement du meilleur goût, mais du meilleur effet - dans une veine musicale plus orientée musette et java, où l’accordéon tutoie le saxophone. LéOparleur suit avec bonheur l’air d’un temps qui a, c’est heureux, su ressusciter d’entre les morts un rock simplement festif.
Le groupe prend d’ailleurs un plaisir non dissimulé à jouer avec le public, s’amuse à l’amuser. Témoin cette bouteille de pastis (régionalisme oblige ?) servie, à l’occasion de "L’apéro". Et pendant que l’on s’escrime dans la salle à servir gobelet en plastique sur gobelet en plastique à une assistance aussi hilare qu’assoiffée de liquide anisé, sur scène le contrebassiste poursuit la saxophoniste des assiduités de son instrument. Tout cela, bien entendu, sans cesser un instant de jouer.
Mélangeant les titres de ses deux albums parus (Revoir la mer, 2002 ; Tout ce qui brille, 2006) avec le renfort des musiciens du Weepers Circus (au grand complet le temps de l’excellent "Grand Lustucru", enchaîné avec sa fanfare), la prestation de LéOparleur est l’une de celle, sans compromis ni temps-mort, dont un public sort en sueur.
Après une très brève interruption, les deux formations reviennent au complet le temps d’un rappel qui verra notamment Maya Martinez, la saxophoniste et l’une des voix de LéOparleur, tenir le rôle normalement dévolu à Olivia Ruiz sur le "Sans vous aimer" des Weepers Circus, pour un final haut en couleur.
L’amitié des membres des deux formations, que l’on devine de longue date, n’y est certainement pas pour rien, Weepers Circus et LéOparleur réussissent, et haut la main, la prouesse d’accorder sur scène leurs univers. C'est-à-dire : non seulement de les juxtaposer, mais d’en tirer une harmonie nouvelle, où les opposés se complètent avec brio pour une soirée qui parvient à explorer une vaste gamme d’émotions et d’atmosphères sans jamais perdre de sa cohérence. |