De nos jours le blues peut paraître relativement ringard. Alors que MTV nous assomme à grand coup de nichons, prétextes à une certaine idée du Rhythm and Blues (prononcez arainebi pour faire djeuns), certains tentent encore de faire passer le blues pour ce qu'il est.
Une musique profondément ancrée dans les racines d'une certaine Amérique, dans ses peines et dans ses heurts mais aussi plus généralement, dans les peines de tout un chacun. Le Blues est plus que toute autre musique la racine même de l'expression des malheurs du monde, de soi, de tout un chacun, autrement dit la base de l'universalité même de la musique.
C'est de cette universalité que le tout jeune Festival Les Nuits de l'Alligator défend pour la deuxième année consécutive.
Aussi, sur 5 jours à Paris et quelques dates en province, ce festival permet de faire découvrir non seulement bien des facettes du blues mais aussi la face cachée de certains artistes se produisant à cette occasion et revendiquant, eux aussi, leurs racines, leurs influences ou rendant hommage à leur maîtres.
C'est dans ce contexte que le plateau de la première date parisienne proposait 4 groupes pour le moins … différents.
C'est Petra Jean Phillipson qui aura la tâche d'ouvrir le festival. Si le public est encore clairsemé, c'est dans un grand respect qu'il écoutera, assis par terre, le set du groupe.
Avec son châle sur les épaules et sa robe rayée, Petra Jean debout derrière son micro n'est pas là pour rigoler.
Cette hippie des bayous chante d'une voix grave des chansons plus country que blues accompagné d'un guitariste et d'un étonnant bassiste au t-shirt "Joy Division".
Les titres s'enchaînent doucement, sans vague et sans grande passion dans le public jusqu'à une reprise entre deux eaux du "Into my arms" de Nick Cave. Version épurée et plus folk de cette belle chanson qui fait son petit effet et recentre le débat. Ce soir sera blues ou ne sera pas.
Si la voix chaude de Petra nous transportait dans une douce contemplation, Christian Olivier, éternel échappé des Têtes raides, se chargera de titiller le cortex avec une performance dont il a le secret.
La dernière fois que j'ai vu Christian Olivier en solo, il faisait une lecture de Brecht ("Premier amour") entièrement plongé dans le noir et éclairé seulement par une lampe frontale. C'était rude …
Aujourd'hui, sa performance en est presque triviale. Eclairage sobre mais existant, musicien pour l'accompagner et projecteur super 8 comme lampe de poche… Ca surprend…
Imaginez la scène. Un musicien joue de la cithare (je crois, je ne suis pas un spécialiste mais je vous laisse juger sur les photos) et psalmodie de temps en temps quelques phrases.
A côté de lui, Christian Olivier, assis également, est éclairé par la lumière d'un projecteur super 8 qui ne projette rien sinon sa lumière blafarde au rythme de la bobine qui tourne dans le vide (le son étant capté par un micro et diffusé dans la salle). Il commence alors une lecture, d'un court texte de Stig Dagerman intitulé "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier".
Quand je parle de lecture, il s'agit en fait plutôt d'une interprétation, avec de grands moments déclamatoires. Muni d'un petit dictaphone, Christian Olivier enregistre en temps réel certains passages et les repasse en boucle près de son micro.
Le texte n'est ni joyeux, ni optimiste et Olivier fait passer comme personne ses émotions dans sa lecture… finalement, c'est du blues … expérimental mais qui ne laissera personne indifférent tant du côté des sceptiques (qui en profitent pour aller se griller une clope au bar) que de celui des fans qui resteront bouche bée plongés dans cette performance et ce texte qui au demeurant est remarquable.
La salle commence enfin à sérieusement être remplie lorsque débarque sur scène l'homme orchestre qui se fait appelé Son of Dave.
Rien à voir je vous rassure avec notre illustre Dave et nous n'aurons pas droit à des reprises de "Vanina" ou autres rengaines populaires de nos lointaines années 70. C'est bien au-delà dans le calendrier que nous conduit le blues de Son of Dave.
Seul sur scène, ce garçon venu non pas du Texas mais du Canada va (enfin) mettre le feu au poudre et déchainer un public qui finalement n'attendait que cela !
Vêtu d'un costume droit et d'un chapeau, son look tout droit sorti des années 50 lui va comme un gant. Micro vintage à la main, il dispose autour de lui d'un petit arsenal musical : harmonicas de toutes sortes, tambourin, pédales de samples et pied (un micro est dirigé vers ses pieds qu'il frappe au sol pour faire des percussions, simple et efficace rappelant également Bjorn Berge).
Et c'est à l'harmonica que Son of Dave va jouer l'essentiel de son répertoire mêlant standards blues et compositions ainsi qu'une grande part d'improvisation.
Alternant harmonica et chant, il sample également certains passages rythmiques et d'harmonica venant renforcer, passés en boucle, la force de ses interprétations aussi visuelles que sonores. Et ce qui devait arriver arriva, le public se lève et se met à gigoter en tous sens !
Son of Dave n'est pas en reste et alterne les positions assises, debout, voire debout sur sa chaise !
Ce véritable showman semble parti pour faire durer son set jusqu'au bout de la nuit mais respectueux du groupe suivant et des contingences de temps propres à ces festivals, il demande sans cesse en back stage combien de temps lui reste-t-il ?
Inutile de vous dire que Son of Dave n'est pas fan des setlists et ses concerts sont sans doute aussi différents les uns des autres qu'il a d'harmonicas dans sa mallette de bois. A ne louper sous aucun prétexte lors d'un de ses prochains passages.
Pour finir la soirée, c'est Fink qui arrive sur scène avec ses 2 musiciens (basse et batterie tandis que Fink est à la guitare et au chant).
Fink c'est le type même du gars qui brouille les pistes. Signé sur le label Ninja Tunes, réputé pour ses productions un peu électro, il arrive avec un album folk.
Sur scène c'est un peu la même chose, look de chanteur de hip hop avec son jean baggy et ses baskets, diction entre le rap et le folk et musique résolument folk et acoustique (sur l'album on retrouve des rythmiques sensiblement plus électro).
Irréprochable musicalement, sympathique et tête d'affiche de cette première soirée, Fink charme rapidement le public même si l'ambiance est plus intimiste que Son of Dave.
Une fin en douceur, pour une première soirée qui tiendra autant du blues, que de la country, de la folk et du spectacle de théâtre… Une affiche très éclectique, peut être trop, mais qui offre une relecture intéressante des racines blues de chacun. |