Incroyable. Ou plutôt … inespérée voire … totalement irréelle. Les adjectifs en venaient presque à manquer pour décrire cette soirée dans le cadre du Festival des Sons d’Hiver 2007.
Le même soir dans une même salle : Tortoise et The Ex. Rares sont les doubles affiches de cette trempe … D’un côté, l’un des groupes américains les plus avant-gardistes et influents de ces dix dernières années. De l’autre, la mythique bande de keupons néerlandais forts d’une éthique aussi irréprochable qu’infaillible depuis plus d’un quart de siècle. A ranger surtout parmi les cinq combos à avoir vu dans sa vie.
Jamais avares de collaborations, ces deux-là ont d’ailleurs gravé un EP ensemble, dans la série des "In The Fishtank " en 1999. De quoi laisser présager un rappel commun en forme de cerise sur le gâteau. Difficile de faire plus clair : sur le papier, on tient là l’évènement de ce début d’année. Rien de moins.
Seul vague bémol : il va falloir se rendre à Créteil pour assister aux festivités. Depuis les bancs du métro en passant par le bar de la Maison des Arts ou tout simplement dans les gradins, chaque personne croisée n’a qu’une question existentielle à la bouche : "Qui ouvrira la soirée ?"
Question notoriété, Tortoise emporte sans conteste les suffrages. Par contre, au niveau du style, la logique voudrait que The Ex joue en tête d’affiche. Le matériel des deux formations étant déjà en place, difficile d’y voir plus clair …
En toute logique et contre toute attente, The Ex fait son entrée.
En marge des circuits traditionnels, les natifs d’Amsterdam n’ont jamais cessé d’évoluer, incorporant au punk des débuts des éléments de noise, de free jazz ou encore de musique ethnique, leur actuelle marotte. Place maintenant au concert. Une sauvagerie, une brutalité extrême caractérisent les premiers titres, à classer parmi les plus ardus de leur répertoire : des rythmiques de guitares dures, tendues, répétitives. Sans parler du volume sonore, tout bonnement écrasant. Pas forcément la meilleure option pour se mettre la salle dans la poche.
Mais les néerlandais connaissent leur affaire sur le bout des doigts. Pour l’heure, seuls quelques aficionados tapent du pied. Peu à l’aise et rapidement incommodés par la position assise, ceux-ci se lèvent progressivement pour se positionner à l’extrémité des rangées. Dans un deuxième temps, une lente descente s’opère pour atteindre les abords de la scène. Il ne manque plus grand-chose ... Ou alors un hymne fédérateur. Qui sera "Theme From Konono", cet hommage appuyé - selon la terminologie habituellement usité - au groupe congolais Konono N°1.
En moins de dix minutes, plusieurs rangs de spectateurs se retrouvent aux avant postes. The Ex vient de rafler la mise, mais ne ralentit pas pour autant sa cadence infernale. Sur la gauche, Terrie Ex et son antique 6-cordes, fascine autant par son ahurissant jeu de jambes que son inaltérable pantacourt. De l’autre côté, Andy Ex, a priori, le plus normal du lot, ne lui épargne aucune riposte. Derrière les fûts : Katherina Ex.
De prime abord, une de ces quadras mères de famille faisant ses courses chez Franprix le samedi après-midi. En réalité, une cogneuse, ivre de concentration, frappant ses peaux comme si sa vie en dépendait. Le meilleur pour la fin, GW SOK, le chanteur. L’archétype du vieux punk ayant pris 20 ans plus vite que les autres, totalement habité. Assez flippant aussi.
Le final sera parfait, rageur voyant même un simili de pogo deux guitaristes pour clore les débats. Un concert de The Ex se savoure comme un bonheur de chaque instant. En total décalage avec la violence des titres, les musiciens transpirent l’humilité, la simplicité, la joie de produire, de participer à la réussite de cette soirée.
Au final, une prestation plus condensée que leurs récents Point Ephémère : probablement leur meilleure en région parisienne depuis de nombreuses années.
Histoire de tuer le suspense en beauté, l’officialisation d’un rappel commun est prononcée dans la foulée par un membre de l’organisation. Contrairement à The Ex, visible environ deux fois par an en région parisienne, Tortoise s’est fait plus discret.
Pour dire, la dernière fois soirée passée avec eux doit remonter à Primavera 2005, dans des conditions extrêmement similaires. En intérieur et assis. Un show fabuleux, peut-être le meilleur du week-end. Sans actualité particulière, John McEntire et ses amis ont cette fois fait le voyage exprès de Chicago.
A l’instar de The Ex, Tortoise a touché à une multitude de style durant sa carrière. Autant dire que l’appellation de post-rock habituellement accolée à leur nom apparaît bien réductrice. Disons plutôt que leur musique s’apparente à du rock instrumental. Du genre hyper maîtrisé, proche du jazz dans la construction. Parfois expérimental mais souvent très mélodique.
Etrangement ce soir, les spectateurs resteront d’un calme absolu. Avec des silences d’entre les morceaux quasi pesants. Le public serait-il uniquement venu pour The Ex ? Serait-il intimidé par l’aura de Tortoise ? Et s’il n’était pas tout simplement gêné par la prestation de ses protégés ?
La playlist n’a pourtant rien de ratée, au contraire. Titres plus ou moins récents de It’s All Around You ("It’s All Around You", "Crest") ou de Standards ("Seneca”, "Monica", "Blackjack") sans oublier les pépites que sont "Glass Museum" ou "Swung From The Gutters". Les motifs de déception sont plus à chercher du côté de l’extrême professionnalisme froid des musiciens, de leur totale absence de communication ou d’humanité dans l’interprétation. Comme un mauvais concert de Death In Vegas.
De beaux moments pourtant, notamment ces passages au marimba ou ces parties jouées à deux batteries se complétant à merveille. Contrairement à The Ex, Tortoise n’aura pas droit à son rappel.
Quelques instants plus tard, pour la première fois au monde, les néerlandais viennent rejoindre Tortoise sous les acclamations nourries d’une salle sentant le réveil (ou l’oreiller en fait …) pointer son nez. Deux morceaux de In The Fishtank suivies d’incursions dans le répertoire de chacun forgeront la playlist commune. Après deux jours de répétitions ensembles, les versions délivrées s’éloignent de celles en studio, à tel point que la frontière entre réarrangements et improvisations devient difficile à établir.
Un joyeux petit bordel où les américains semble enfin lâcher un peu la bride. Très chouette mais pas génial non plus. A l’image de la soirée. |