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Entretien de mars 2007  (Paris)  7 mars 2007

La 2ème Printanière des Cours publics d'interprétation dramatique de Jean-Laurent Cochet consacrée à Musset fournit l'occasion de le retrouver pour un second entretien.

Entretien qui commence donc naturellement avec l'évocation du théâtre de ce "page éternel" et qui est essentiellement consacrée à la période d'apprentissage de Jean-Laurent Cochet qui rend souvent grâce à ses professeurs qu'il nomme ses maîtres.

Où on apprend que cet homme exigeant, malicieux et plein d'humour était un élève extrêmement studieux et la proie d'une passion exaltée pour le théâtre qui, si elle s'est tempérée, ne l'a jamais quitté.

 

De Musset

Vous dites "Dans Musset rien de la partition n'est écrit et il faut donc penser, avant de parler, d'une chose que l'on n'a pas envie de dire, d'une chose que l'on ne dira peut être pas et de la 3ème qui va peut-être être dite". Musset est-il un des auteurs les plus difficiles à jouer ?

Jean-Laurent Cochet : C’est Le plus difficile ! Avec, pour d’autres raisons, Labiche, dont Musset était d’ailleurs le contemporain ce qui est amusant, et Jules Renard. Si le comédien n’a pas l’esprit de cet auteur, on peut par le travail, se rapprocher de l’auteur mais cela reste très difficile. Le vaudeville par exemple, (je pense à Feydeau), si on n’a pas le sens du rythme, le ton, le mouvement, on ne joue pas Feydeau. Il en va de même avec la tragédie. "Si on n’a pas les moyens suffisants pour ne pas s’en servir", comme disait Copeau, et bien on ne joue pas la tragédie.

Seulement Musset devrait être accessible à tout le monde puisque que ce sont des personnages de tous les âges, donc de tous les emplois. Seulement derrière cette écriture complètement aérienne, et dont il faut faire apprécier la grâce, il y a tous les sentiments par lesquels il faut passer, (comme il le faisait lui-même qui était très vif, très malicieux, rapide de pensée), la chose qu’on pourrait dire, au moment où on pourrait la dire on pense à une autre et ce qui fait qu'on ne dit pas la 1ère. Ne pas dire la première car cela se transforme en une 3ème. C’est là toute la contradiction des personnages de Musset, leur façon d’être nombreux sans être dispersés, toujours attentifs à tout sans savoir comment se poser comme des papillons.

Et c’est très difficile. Et quand on ne joue pas comme cela, (je ne parle bien évidemment pas des cas où on défigure les œuvres), s’il n’y a pas tout ce jeu avant d’en arriver à l’irisation du texte ça devient mauvais. Et on a envie de dire "Ah bon ce n'est que cela ? C’est pâle, superficiel, léger!". Car Musset a écrit l’écume des sentiments. Et comme les auteurs qualifiés souvent de légers, (ou alors il faut entendre léger comme légèreté grande vertu française, comme Guitry et Marivaux), ce sont des auteurs qu’il faut respirer très profondément et ensuite se contenter du papillonnement.

Est-ce la raison pour laquelle vous dites que Gérard Philipe a mal joué Musset, parce que c'était une erreur de distribution, alors qu’il a été encensé ?

Jean-Laurent Cochet : De tous temps et c’est dans la nature humaine, une chose superbe peut n’être appréciée par personne et des choses outrancièrement à côté sont encensées. Il y a toujours une raison mauvaise ou bonne.

Gérard Philipe a connu le succès et comme disait Madame Simone qui l’adorait mais reconnaissait ses défauts de voix, de timbre, de phrasé, parce qu'il arrivait juste après la guerre à une époque où on avait besoin d’un prince charmant, une espèce de Fanfan la tulipe qui sautait sur les meuble et c’est la raison pour laquelle il a joué "Le Cid". Comme il avait beaucoup de charme et qu’on l’aimait, on se laissait emporter. Mais il était infidèle à l’œuvre.

Quand je disais cela, je pensais surtout à Lorenzaccio. Lorenzaccio est un personnage un peu fourre-tout si j’ose dise. C’est un personnage baladeur qui n’est pas dans un seul sentiment du début à la fin, il se promène dans la pièce.

Des personnages

Vous avez consacré un long moment au personnage de Fantasio, celui qui voulait prendre la lune avec les dents. S'agit-il d'un rôle vers lequel vont vos préférences ?

Jean-Laurent Cochet : Oui parce qu’il s’agit d’un des personnages les plus typiques de Musset ne serait-ce que par son nom. C'est tout le côté de fantasque de Musset. Et c’est le rôle de Fortunio qui l’illustre le plus car ce personnage est en permanence à mi-chemin entre lui-même et la réalité, lui et ses rêves, lui et ses désirs incompris. C’est un monsieur mal dans sa peau, (on dirait aujourd'hui inhibé), il a les moyens de ne rien faire et il s’ennuie.

C’est la raison pour laquelle j’ai parlé de Schopenhauer à son égard car il s’ennuie et en même temps il sent qu'il est le centre du monde quand il a quelque chose à faire. Dans la scène il dit qu’il faut apprendre même à faire une omelette, que rien n’est naturel, que cela l’ennuie car il n’a pas envie d’apprendre et à Spark disant "Tu es très malheureux, alors ?", il répond "Il n’y a pas de maître d'armes mélancoliques". Ce qui veut dire que du moment qu'on assume un métier on n’a pas le temps d’être triste ni de temps à consacrer à autre chose qu’à la réalité du moment.

Cette scène est très difficile à travailler. Nous avons pu le faire parce que Jean-Laurent est un garçon exceptionnel de qualités mais en principe ce n’est pas une scène que l’on travaille avant 3-4 ans de cours. Il faut avoir tout digérer tout oublier pour partir dans l’inconnu.

Souvent vous faites des corrélations entre les personnages de l'auteur présenté et les personnages d'autres auteurs classiques, par exemple Fantasio de Musset et Figaro de Beaumarchais. Existent-ils ainsi des corrélations entre les oeuvres d'auteurs parfois très différents ou des familles de personnages ?

Jean-Laurent Cochet : Absolument. C’est la raison pour laquelle j’adorais être à la Comédie Française quand c’était vraiment un théâtre de répertoire et que l’alternance permettait de jouer quelquefois 30 rôles en un mois. C’était bien loin d’être une dispersion car c’était un enrichissement. On se rend compte comment plier sa technique à des styles différents et le fait de jouer des personnages différents permet d’établir des corrélations entre eux.

Par exemple ce que fait "La Parisienne" de Becque dans cette scène est l’équivalent de ce que pense et Phèdre à tel acte avec le style de Racine. Et il est vrai que j’ai pensé à Figaro (car tous deux ont des caractères différents) et des auteurs très différents de siècle, d’esprit, d’humeur, étaient agités d’une même méditation métaphysique. Tout se rejoint. Tous les matins que Dieu fait, à mon cours cela se reproduit. Ainsi, ce matin, en faisant répéter Salluste dans "Ruy Blas", j’ai fait allusion à une scène de "La double inconstance" de Marivaux puis à Britannicus.

De l'élève

Lors de notre premier entretien nous avons évoqué l'enseignement de l'art dramatique et parlé de vous entant que professeur. Mais quel élève étiez-vous ?

Jean-Laurent Cochet : Ah c’est amusant comme question ! Alors pour essayer de faire bref comme toujours, mais ça ne l’est jamais, j’étais avant tout un élève sur-passionné. Comme le désir de faire ce métier m’est tombé dessus à l’âge de 4 ans je n’avais de cesse d’entrer au lycée car mes parents qui n’étaient pas opposés à ce métier voulaient que j’entre au lycée d’abord.

J’ai donc pris mes premiers cours à l’âge de 10 ans et j’étais terrorisé à l’idée de ce qu’on allait me demander. Mais je suis tout de suite rentré dans le jeu et j’ai eu des professeurs extraordinaires qui, de plus, sont intervenus toujours au bon moment. J’étais un élève plus qu’assidu ne pensant qu’au théâtre tout en menant mes études.

Passionné, attentif, j’apprenais tout ce que je voyais passer. Je connaissais toutes les pièces par cœur. Et puis, je les ai jouées, je les ai mis en scène et ensuite je les ai entendues. J’étais dans un grand état d’exaltation tout en étant très organisé. Je voulais comprendre, analyser. Une chose me caractérisait : les compliments me coinçaient, car je me disais qu’il faudrait que je sois aussi bien la fois suivante alors que les critiques me galvanisaient.

Ce qui me caractérisait étaient la passion et l’envie de connaître, d’approfondir, de découvrir tous les secrets des grands interprètes et parallèlement à mes cours, ce qui était possible à l’époque, j’étais tous les jours à la Comédie Française ou au théâtre. Pour mes élèves, qui ne peuvent bénéficier de cela, je peux leur raconter. J’étais sans doute un élève parfait pour les professeurs car je travaillais tout, je pouvais donner toutes les répliques, j’apprenais très vite car j’ai toujours une mémoire éléphantesque.

Quand je suis entré au Conservatoire, j’étais déjà stagiaire au Français, j’avais 10 ans de cours derrière moi et mes maîtres me disaient de faire travailler d’autres élèves car j’étais en avance par rapport à eux. Et très naturellement je suis passé du jeu à l’échange. J’étais tellement passionné que je m’en suis rendu malade à plusieurs reprises. Je vivais dans un tel état de tension joyeuse et de sur-travail que je ne prenais plus le temps de déjeuner. Ensuite, j’ai appris à faire le tri et à faire un travail plus sélectif et partant plus approfondi.

D’avoir commencé très tôt m’a permis d’approfondir ce métier. Un jour après un examen, alors que j’étais en 3ème année de Conservatoire, et que j'avais eu une très bonne note, Jean Meyer, notre fantastique Jean Meyer que j’adorais, et qui m’aimait bien, ce qui était plus rare, et que j’avais eu une très bonne note m'a dit le soir même alors que je jouais avec lui "Six personnages en quête d’auteur " : "Ah c’était bien ce matin tu as eu une bonne note. Tu es content. Mais attention : maintenant, plus profond !". Et j’ai tout remis en cause !

J’ai compris que j’avais acquis pendant dix ans des choses sur l'envie, sur l’humeur, le désir, sur une recherche effrénée et maintenant il fallait que j’apprenne qu’on ne joue plus sur l’humeur, qu’on ne cherche pas à prouver qu’on peut convaincre. Au contraire ! Il faut maintenant, sans sur jouer le personnage, sans le défendre, arriver à le dé-jouer. Il m’a appris une chose fantastique qui est venue à un moment où c’était crucial. Cela m’a fait l’effet d’une douche froide mais dès le lendemain je suis reparti à zéro.

Vous avez parlé de la critique et du compliment et vous assurez tout naturellement la transition avec la question suivante. Vous avez complimenté Jean-Laurent dont vous venez également de parler et fait part des espérances dont il était porteur tout en précisant qu'on vous reprochait de dire cela parfois mais que vous saviez qu'il ne vous décevrait pas. D'une part, par cette "sentence publique" ne lui faites-vous pas peser sur les épaules une contrainte très forte et d'autre part, quels sont les critères ou les éléments, objectifs ou intuitifs, qui vous permettent de déceler le talent, la grâce, l'avenir d'un jeune élève ?

Jean-Laurent Cochet : Cette intuition est le résultat d’années de travail et d'échange bien sûr. Mais dès le départ, c’est ça le sens pédagogique : savoir se mettre à la place de l'autre sans cesser d’être à la sienne. Cela devient une habitude de psychologie effarante. En une fois, je peux dire d’où vient l’élève, son éducation, son milieu. Le plateau est un filtre. Il est vrai que j’ai plutôt la réputation d’être très dur. Mais quand on apprend le piano, on nous tape sur les doigts. On est là pour apprendre.

Il ne faut pas dire aux gens "C’est pas mal !" cela ne veut rien dire. Il ne faut pas les encourager si c’est mauvais. Et puis, s’il a appris et puis oublié on lui dit que c’est un con et le ton monte par passion ! J’ai saisi une conversation un matin, après un cours où j’avais piqué une crise d’exaspération joyeuse et un élève disait : "Il faut qu'il nous aime pour se fatiguer à ce point-là !" Car il avait reçu ma crise comme un cadeau.

De temps en temps, moi qui connais les difficultés de ce métier, quand les élèves, avec le peu d’expérience qu'ils ont, tiennent compte de mes remarques, les prennent à leur compte et les respirent, je trouve cela parfait et je leur dis. Je leur dis parce que quand ils sont merveilleux, ce ne sont plus des élèves. Alors, quand j’ai dit qu’il ne me trahirait pas, je ne pense pas simplement à ceux qui trahissent dans leur manière de vivre, qui font à l’encontre de ce qu’ils sont censés vous devoir, je ne pense pas à l’ingratitude omniprésente mais qui est le fait des médiocres, mais à la manière dont quelqu'un s’offre au travail.

Pour cela, il faut un trimestre et selon le travail précis de l’élève, sa qualité de travail, les progrès et la maturation, je peux dire s’il est entièrement fait pour le métier et s'il a un caractère, à côtés des qualités, qui lui permettra de l'exercer en dépit de tous les obstacles. Je fais parfois des compliments pour encourager dès lors qu’il y a une progression par rapport au travail précédent. Et il m’arrive de faire un compliment pour voir comment ils y résisteront.

Vous arrive-t-il de conseiller le renoncement ?

Jean-Laurent Cochet : Oui, bien sûr. Dès leur arrivée avant même de les connaître je les préviens que le but est le travail et un travail acharné. La question primordiale à se poser est : "Pourrais-je vivre sans cette idée du théâtre ?". Si non, quelles que soient vos qualités ou votre manque de qualités allez-y !

Cet amour se transformera en travail, en volonté, en perdurance dans le travail et les plus gros défauts se corrigent, le manque se comble par ce qu'on découvre en soi et qui peut s’acquérir aussi. Nous avons tout en nous, la devise de Bourgone "Plus est en nous", pour aller au delà de ce qu'on croit qu’on est.

Le plus grand ennemi de n’importe quel individu, et en particulier de celui qui se veut artiste et d’abord artisan, est la paresse aussi bien dans le geste que dans la pensée. Je dis à mes élèves que c’est un métier quasiment infaisable mais si on le veut, on y arrivera, de quelque manière que ce soit, et surtout sans être trop pressé.

Mais si, au bout de 6 mois, je sens que le travail ne suit pas, je ne leur interdis pas de venir, je leur laisse toutes leurs chances mais je leur dis qu'ils ne réussiront jamais à faire ce métier et que, si par hasard, il faisait un commencement, un début de carrière, ils s’ennuieront vite. Car ce métier peut être aussi ennuyeux que n'importe quel autre si on ne le renouvelle pas tous les jours par la quête, par la passion.

Des maîtres

Vous parliez d’ingratitude ce qui n’est pas votre cas puisque vous évoquez et citez souvent vos maîtres. Ce soir là vous dites de Madame Simone qu'elle avait le génie, et vous êtes professeur pour transmettre ce qu’ils vous ont appris. Quels sont-ils et que vous ont-ils apporté?

Jean-Laurent Cochet : Alors, dans l’ordre, j’ai commencé à 10 ans et demi dans un cours gratuit, (car mes parents n’étaient pas fortunés), qui étaient donné par Marcel Le Marchand, le doyen des pensionnaires de la Comédie Française et sa femme le remplaçait quand il jouait. C’étaient d’excellents comédiens de second ordre qui connaissaient extrêmement bien leur métier comme tous les comédiens à l’époque. Car on ne jouait pas si on n’avait pas les moyens de base.

J’ai appris toute la technique instrumentale si j'ose dire. Ils m’en parlaient avec leurs mots à eux, des mots très simples et des exercices pour articuler, assurer la diction, respirer.C’étaient également des gens très sensibles et ils m’emmenaient dans des galas où on lisait des vers et j’y participais. Et ils m’ont fait faire beaucoup de synchronisation qui est un travail terrifiant quand on le fait mal, surtout comme maintenant, mais à l’époque les directeurs de plateau qui dirigeaient le travail étaient des grands comédiens.

Mon premier directeur de plateau fut Julien Bertheau qui est ensuite devenu mon maître. Mon premier film était "Fabiola" et mes partenaires Michèle Morgan, Michel Simon et Henri Vidal. Je suis passé ensuite donc chez Julien Bertheau car son contact m’avait enflammé. J’avais 14 ans. Julien Bertheau c’était le travail sur le tempérament, sur la sensibilité, sur l'humain. Il me disait "Pense que tu l’aimes et que tu veux la sauter !" Pensez-vous à 14 ans ! Je n’avais encore sauté personne ! Le travail aussi sur la pudeur. Un jour il nous a dit "Nous irons à la piscine du Lutétia ; vous serez tous à poil et vous sauterez du dernier plongeoir". A poil devant tout le monde et sauter dans une piscine, moi qui ne savais pas nager, vous imaginez ! Bien sûr, on ne l’a pas fait mais c’était cela son enseignement : comme selon le mot de Cocteau "Savoir jusqu’où on peut aller trop loin". A son cours, il y avait aussi Maurice Monnier et Germaine Kerjean qui tempéraient un peu sa flamme exaspérée.

Quand il a fermé son cours je suis entré chez un homme merveilleux : Samson Fainsilber, un homme très fin avec beaucoup de goût qui avait fait une immense carrière de comédien et qui alliait un peu les deux : le tempérament et la technique. Je suis resté très ami avec lui et je lui ai fait jouer son dernier rôle à la fin de sa vie alors qu'il était totalement désargenté. A 16 ans, j’étais obnubilé par l’idée d’entrer à la Comédie-Française. Il fallait, dès lors, passer obligatoirement par le Conservatoire et la préparation se faisait avec des comédiens du Français.

Je suis donc allé au cours de Maurice Escande et de Béatrix Dussane, cours qui constituait le haut du pavé. Maurice Escande, comédien magistral, ne s’attardait pas car il savait que feraient ce métier ceux qui méritaient de le faire. Mais il n’approfondissait pas les choses. En revanche Béatrix Dussane c’était à la fois le puits de science, la provenance des rôles, la technique, l’exaltation et la dureté. Quand elle me faisait un compliment, je me disais que ça allait être atroce après. Le jour où elle me houspillait en me disant : "C’est quoi ces mains qui ressemblent à des tulipes sous-marines, travailles avec des gants !" cela me dynamisait. Et à la fin de sa vie, elle m’a demandé d’être professeur gracieusement à mon cours car cela lui faisait plaisir de continuer à enseigner.

Pendant ce temps, je continuais à tenter en vain le Conservatoire. Et on m’a conseillé d’aller chez celui qui était connu pour préparer au Conservatoire René Simon, qui était le grand pédagogue absolu. Quand je l’ai connu, j’étais maigre comme un clou et il m’a dit : "A 40 ans, tu auras du ventre et tu joueras ce rôle !" C’est ce qui s’est passé ! Il sentait tout cela et voyait loin. Et j’ai joué sur les boulevards alors que j’étais chez lui. Il m’a fait passer Arnolphe de "L’école des femmes", le père Purgon, et moi j'y allais de bon cœur et naturellement je restais au 2ème tour.

Nous nous sommes quittés bons amis après une petite friction car il avait du caractère et je commençais à en avoir. Je n’avais plus que deux chances pour passer le Conservatoire. Mais je jouais dans une pièce, ce qui m’interdisait de me présenter au Conservatoire car j’étais dans un état de "professionnel". Cela m’a fait beaucoup de bien car cela m’a permis de lâcher un peu prise et de mûrir.

Et c’est à ce moment que j’ai rencontré dans le privé…Madame Simone. Elle donnait des cours à la radio auxquels on pouvait assister. Sa méthode consistait à faire le parcours d’un rôle et elle y consacrait 3 mois. Avec Louise Weiss c’était la femme la plus intelligente du siècle. Elle avait des connaissances phénoménales, elle avait fait des études de médecine, de philosophie. Elle s’appelait de son vrai nom Pauline Benda, d’une grande famille juive et elle n’avait jamais voulu faire du théâtre. Elle touchait à tout.

A dix-huit ans, sa famille lui a fait épouser un des grands sociétaires de la Comédie-Française qui s’appelait Le Bargy. Il était son aîné de 40 ans et l’épousait parce qu'il avait besoin d’argent. Grand comédien de l'époque mais cavaleur à tous crins ! Il était très blessant avec elle parce qu’elle était incisive et ne se laissait pas faire. Un jour ils vont au Français voir "On ne badine pas avec l’amour" et elle dit : "Elle est très mauvaise ta partenaire !" Lui s’offusque. "Moi, je jouerais mieux" répond-elle. Il la prend au mot et la met au défi d’apprendre le rôle. Un mois après, elle lui joue toute la pièce et il lui dit : "Il faut te faire engager immédiatement !". Sur un réflexe, la révélation !

Madame Simone était un personnage dont les souvenirs ressemblaient aux Mille et une nuits. Je restais le plus souvent possible avec elle et elle a dirigé la dernière soirée poétique que j’ai faite au Français. Quand j’ai quitté le professorat au Conservatoire j'ai tenu à présenter Madame Simone, qui avait connu Proust, à mes élèves en les prévenant qu'il s'agissait d'une simple visite de courtoisie. Et cette visite a duré toute la journée parce qu’elle les a fait travailler ! "Vous avez Racine ! J’adore Racine ! Je me dis une tirade de Racine parce que c’est ce qu’il faut pour faire travailler ma lèvre supérieure qui est un peu ankylosée !". Le jour de ses 100 ans, elle a assisté à une représentation au Français et elle ne cessait de répéter quoi qu’on lui dise : "J’ai 100 ans !". Et elle a encore vécu 7 ans !

Donc tous ces maîtres sont venus au bon moment. Si j’avais commencé avec Bertheau j’aurai été affolé ! Fainsilber aurait été un peu mou s'il n’y avait eu Bertheau. Ensuite Dussane, René Simon le pédagogue et par dessus tout Madame Simone qui était la Cassandre. Pour ma dernière tentative au Conservatoire, je n’ai demandé conseil à personne et j’ai été reçu à l’unanimité. Je n'avais pas revu René Simon et avant le dernier tour il se précipite vers moi, me dis que je serai reçu et me propose de revenir chez lui pour travailler Arnolphe !

Au Conservatoire j’ai retrouvé René Simon et Béatrix Dussane, j’ai découvert Henri Rollan qui était sublime, Jean Debucourt, et tous les grands comédiens de la Comédie-Française. Et le professeur d’ensemble était Jean Meyer, l’élève préféré de Jouvet, ce qui fait que j’ai l’impression d’avoir été l’élève de Jouvet. J’ai été engagé comme stagiaire au Français avec 12 ans de travail derrière moi et c’est là qu’est intervenu la fameuse sentence de Jean Meyer.

Beaucoup de comédiens ne veulent pas reconnaître l’enseignement qu'ils ont reçu : pas de père que des fils ! Alors que l’admiration est un des sentiments le plus profonds, c’est comme l’amour. Conserver de l'admiration pour des êtres même après leur mort. Alain disait que "L’admiration est la lumière de l’esprit" et Verlaine "C’est le sentiment qui m’est au-dessus de tout". Si on ne sait pas admirer, on ne sait pas aimer, on ne sait pas donner, on ne sait pas échanger, Et moi j’ai eu cette chance de connaître ces gens admirables.

Des projets

Pour boucler la boucle, dans la scène de Fantasio et Spark, le jeu des élèves vous fait dire qu'il a vous donné une idée pour monter la pièce mais que vous ne la monterez pas. Question : quels sont vos projets ?

Jean-Laurent Cochet : Je vais avoir à répéter deux pièces simultanément et cela est exaltant même si c'est également fatigant. Le premier projet très officiel et très avancé, c'est un bonheur pour moi. Je vais re-monter et jouer à nouveau "La Reine morte" de Montherlant, que nous allons jouer en festival et notamment en Vendée au château de Terre Neuve et au Festival d'Anjou chez Nicolas Briançon.

J'avais monté cette pièce avec Jacques Eyser dont j'ai repris le rôle à sa mort et j'étais un peu jeune pour jouer le personnage du roi. Maintenant j'ai 2 ans de plus que l'âge du personnage donc cela tombe très bien. Il y a une très belle distribution avec des amis et d'anciens élèves avec qui j'aime travailler. Le spectacle sera repris à Paris en février 2008 au Théâtre 14.

Pour la seconde pièce qui n'est pas encore finalisée, j'en tairai le nom, elle commencera fin août 2007 à Paris si cela se concrétise et il s'agit d'une pièce de mon héros Sacha Guitry, une pièce qui n'a jamais été reprise depuis sa création.

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

La Master Classe de mars : Musset
La chronique de La Master Classes de février : Marivaux
L'entretien de février 2007 avec Jean-Laurent Cochet

En savoir plus :

Le site officiel de Jean-Laurent Cochet

Crédits photos : Thomy Keat


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