Les clichés machos ont la vie dure. La vie est ainsi faite qu’une femme empoignant une guitare évoquera toujours Pj Harvey, celle qui enfourchera un piano Fiona Apple. Clichés clichesque.
Dans le cas présent, Hanne Hukkelberg, on serait tenté de loucher vers la deuxième. Car avec ce premier album, Rykestrasse 68, Hanne émet l’idée qu’on peut encore séduire avec des productions intimement grandiloquentes. Une route 66 allemande, avec des xylophones sur le bas-côté, du piano dans la boite à gants et de l’élégance à l’horizon.
Hanne Hukkelberg est une inconnue. Normal lorsque la musicienne est norvégienne. Et que le patronyme est germanique. Et pourtant, Rykestrasse 68 est un magnifique premier album pour les longues ballades près de Cologne, d’Hambourg ou Berlin. Un subtil mélange entre une voix feutrée, jouant sur la retenue, et des instrumentations ambitieuses, bien que discrètes.
Ouverture de l’album sur "Berlin" justement, et léger frisson dans le dos, les souvenir de l’étonnant Tidal de Fiona Apple remontant rapidement à la surface. Comme des cadavres de Billie Holiday immaculés de rose pastel, recrachant à l’air libre leurs mélodies dans le transistor. De drôles d’ambiances semblent planer sur Rykestrasse 68, entre la mélancolie des jours gris de Norvège, et la beauté des fjords nordiques.
Après la surprise amorcée par Friday Hyvonen récemment, autre songwriteuse de l’Europe du nord, Hanne Hukkelberg enfonce encore une fois la porte à moitié ouverte. La Norvège, la Suède, toutes ces péninsules du froid, semblent à la pointe musicale des émotions. Comme dans un récit des frères Grimm, la demoiselle relate ses contes mystiques, histoire de monstres déguisés en arbre de Noël, du bout de sa voix qui se suffit à elle-même. "The Pirate", décidément, ramène encore à Apple, par cette impression de fête foraine malsaine, prête à dériver vers le cabaret pop. Sans fausses notes.
Et puis l’autoroute bifurque, direction l’expérimental type Kid A sur "The Northwind". Il pleut sur Berlin. Hanne a enclenché les essuies-glaces. Hanne cligne des yeux pour distinguer la route et produit un titre crescendo sur clavier timide, conçu comme une vague oscillante. Sans refrain. Sur "Ticking bomb", c’est l’averse intégrale. Hanne s’énerve, du haut de sa voix d’ange, tripote sa radio qui grésille et capte enfin l’essence de Thom Yorke avec une colère rentrée à l’intérieur, comme pour mieux l’expulser. Tout cela pour finir sur une relecture du clavier tempéré de Bach des plus sublimes. La femme a du gout.
Février 2007. Hanne vient de gagner un grammy award en Norvège. Hakkelberg est encore inconnue en France. Sûrement le restera-t-elle, comme un sujet de conversation pour ceux qui savent que la dame est douée, que ce premier album tient la route, justement, et l’avenir est au nord. |