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Entretien de mars 2007 (2)  (Paris)  7 mars 2007

La dernière Master Class des "Printanières" des Cours public d’interprétation théâtrale de Jean-Laurent Cochet était consacré à Victor Hugo, le "Dieu le père" de la poésie française", dont le théâtre n’est pas ce qu’il a écrit de meilleur et qui, par ailleurs, s’avère très difficile à jouer.

L’occasion au cours de ce 3ème entretien avec Jean-Laurent Cochet de revenir sur les géants disparus, de la littérature française et de la tragédie, aux personnalités flamboyantes qui, loin d’engendrer la mélancolie, donnent lieu à des fous rire irrépressibles.

Jean-Laurent Cochet évoque donc ses relations épiques avec Hugo et l'immense tragédienne Mary Marquet ainsi son goût immodéré pour le cinéma en tant que spectateur.

Hugo

La Master Class du 19 mars 2007 était consacrée à Hugo, dont vous avez un peu déboulonné la statue. Quels sont et ont été vos rapports professionnels avec le théâtre de Victor Hugo ?

Jean-Laurent Cochet : Il faut souligner que c'est à propos de théâtre que j'ai un peu déboulonné la statue de Hugo, en suivant les traces de Paul Guth. En effet, je ne fais jamais rien, ni une conférence, ni un cours, sans me plonger dans Guth, qui a tout dit de tous les auteurs car son "Histoire de la littérature française" est fantastique! Que ce soit en une demi-page ou en 50, il dit tout de l'auteur, de son époque, de la société, de sa famille. Et c'est à Hugo qu'il consacre 50 pages car Hugo est un monument en dépit de ses faiblesses. C'est d'ailleurs là que j'ai découvert qu'il y avait des germes de folie dans la famille Hugo, germes auxquels son frère a succombé et Hugo a eu également des problèmes "nerveux".

Son œuvre est sublime mais son théâtre est ce qu'il y a de moins bon, c'est du mauvais théâtre - et on ne peut pas dire le contraire - avec parfois des scènes absolument étonnantes. Et, comme le souligne Paul Guth, ce qui est dommage, c'est que Hugo aurait pu faire un théâtre presque digne de Rostand s'il s'était arrêté à ses personnages picaresques, personnages dans lesquels on sent qu'il est inspiré comme dans "Ruy Blas" : Don César de Bazan pourrait être Cyrano.

Déboulonner la statue c'est donc beaucoup dire, mais, de tout temps, je m'en suis toujours rendu compte, alors que, (c’est très curieux) je crois n’avoir jamais monté de Hugo. Non parce que je pensais que c'était une tache trop difficile. On m'avait proposé de monter "Ruy Blas" pour un festival et de jouer Don Salluste mais le projet n'a pas abouti. Je l'aurais fait volontiers, car c'est sa meilleure pièce, à condition de faire des coupures. Je signale au passage qu'il y a une excellente pièce dans le théâtre romantique qu'on ne monte presque jamais, alors que, si on fait des coupures, c'est une très bonne pièce, et qui est "La maréchale d'Ancre" d'Alfred de Vigny. C'est une pièce sur Eléonora Galigaï et, de mon temps, les filles passaient leur concours de sortie dans une scène de "La maréchale".

Ce que j'ai fait une fois, c'est une lecture à une voix de "Ruy Blas", avec des coupures, pour bien resserrer l'action, et c'était très amusant car je jouais tous les rôles. Difficile mais on est son seul maître. J'ai joué au Français… (rires) je ris et vous allez comprendre pourquoi, quand je dis " joué" ce n'est pas exactement le terme approprié. Depuis que je suis né, on n'a jamais repris au Français "Marion Delorme". On a repris une fois "Hernani", qui a fait un flop épouvantable alors que c'était pourtant pas mal joué, et "Lucrèce Borgia" mais ces mélos terribles n'accrochaient pas le public. "Ruy Blas" est la seule pièce inscrite régulièrement au répertoire.

Et si je riais, c'est que je me rappelle ce que l'on appelle maintenant le "fameux fou rire de Ruy Blas". Pendant la grande tirade "Bon appétit monsieur", je jouais un des ministres, nous avons été pris d'un fou rire inextinguible qui a duré pendant tout l'acte et André Falcon, qui jouait Ruy Blas, était dans un état épouvantable au point que j'ai vu le moment où il allait arrêter de jouer. D'ailleurs il nous a insultés et nous avons été mis au bulletin de service. Nous sommes sortis de scène en nous traînant à genoux sur le plateau, n'en pouvant plus, parce qu'un fou rire est la chose la plus effrayante qui existe et, en même temps, c'est tellement bon qu'on ne peut y résister.

Cela a duré toute la soirée et un peu par ma faute. Car nous n'aimions pas trop jouer les ministres - c'est très embêtant à faire - et de plus nous avions des costumes merveilleux de Lila de Nobili. J'avais échappé aux très longues répétitions avec Raymond Rouleau, qui en assurait la mise en scène, car j'étais en tournée avec Jacques Charon et je reprenais un rôle. Nous portions des costumes à la Vélasquez, avec de grandes perruques qui comportaient des fronts en tulle, des chapeaux énormes, le plancher était incliné et nous avions des talons spéciaux pour ne pas glisser mais nous nous cassions la gueule quand même.

Un soir, j'en avais tellement marre, et il faut dire que je faisais souvent des blagues, j'avais dit à tous les camarades ministres "Mettons nos perruques très en arrière". Quand Claude Winter, descendant le plateau sous son dais, (car il faut dire qu'il y avait des moments de mise en scène effroyables), nous a vus, elle a eu un fou rire. Dans la scène qui a suivi, a soufflé un vent de folie et il s'est tout passé : les rideaux du décor avaient mal fonctionnés donc quand la lumière est revenue on trouvait des nains qui étaient restés coincés dans les rideaux, des duègnes qui ne pouvaient plus se relever et il manquait des meubles.

Nous étions déjà tous en tire-bouchon, quand, à ce moment là, Jean Yonnel, qui était le doyen, a été pris lui-même d'un tel fou rire qu'il en a bafouillé et qu’il a ri en vers. Nous étions tous dans un état terrible, nous couinions dans nos coins. Un acteur qui reprenait un rôle ne savait à qui il s'adressait. Et, c'est là que j'ai vécu une chose étonnante de l'état second du comédien, et on peut même dire triple, car sentant venir le moment de ma réplique et sachant que si j'ouvrais la bouche je hurlais, et bien, j'ai quand même, et c'est là qu'on se dédouble, dit entre mes dents au comédien à côté de moi : "Dis ma réplique pour moi !".

Et l'autre de me dire : "Je ne peux pas car c'est moi qui te réponds !". Le fou rire s'est emparé de moi malgré moi. Et Alain Feydeau a fini son vers dans une espèce de cri de sirène stridente. Nous sommes tous sortis cachés derrière nos voiles et nos chapeaux. C'était la folie ! Et le public commençait à réagir. C'était un tollé général car on n’avait jamais vu ça dans la Maison. Voilà mes souvenirs de Victor Hugo.

Mais je me rends compte, quand je l'indique aux élèves, (car je leur fais beaucoup travailler Hugo, et particulièrement aux filles, parce qu'on travaille beaucoup les contre-emplois chez moi, pour qu'il n'y ait plus de pudeur, pour voir jusqu'où on peut aller), que ce sont des personnage tellement excessifs qu'on ne peut pas les jouer de manière intimiste. Mais c'est un bon exercice pour apprécier ce que les élèves ont dans le ventre. Jouer Hugo est très très difficile. Je me souvenais d'une Lucrèce Borgia qui était convenable, celle interprétée par Silvia Monfort car c'était une femme de qualité, qui n'était pas tombée dans le ridicule.

Ce sont malgré tout des rôles qui tentent les comédiens. "Angelo, tyran de Padoue" serait également une bonne pièce avec des coupures judicieuses, pour la resserrer autour des personnages, car elle recèle une tension extraordinaire. Il y a un personnage que René Simon adorait, et qu'il m'avait fait travailler, qui est Homodei, un personnage complètement shakespearien, qui vient dont on ne sait où, qui est dans son coin, un personnage très surprenant, qui vient derrière un personnage et lui dit tout de lui. Quand l'autre lui demande qui il est, il répond : "Un idiot!". C'est très inattendu et original, et là, on trouve le Hugo d'après.

Comme beaucoup d'autres, comme Dumas par exemple, mais dont les pièces sont meilleures, Hugo s'est fourvoyé en voulant apporter sa quote-part à l'art suprême, le théâtre. Il n'était pas fait pour cela et il n'y a pas de honte à cela. Alors que c'est un poète, un versificateur absolument incroyable ! Mais il a trouvé sa dimension en deux temps. Pendant qu'il écrivait du théâtre, il a commencé "Notre Dame de Paris" et la poésie comme "Les orientales", (mais elles n'arrivent pas à la cheville de la poésie de Musset), pour arriver aux "Confessions" et aux "Châtiments", au grand polémiste avec "Choses vues" et puis, surtout, à "Post-scriptum de ma vie" dont j'ai lu des extraits à la fin du cours qui ont ému tout le public. Il y parle de Shakespeare, Molière, Beaumarchais, de Dieu, de la mort, de politique.

Vous dites que seuls des géants pouvaient jouer son théâtre et que ces géants ont disparu. L'homme est toujours le même, alors pourquoi n'y a-t-il plus de comédiens de cette trempe ?

Jean-Laurent Cochet : La machine s'est emparée de l'homme et l'a complètement coupé de ses racines. D'autres l'ont dit mieux que moi. José Cabanis, qui est un auteur magnifique, admirable, a dit que l'évolution de l'homme, en tant qu'homme, en tant que profondeur, puisant dans ses sources, s'est arrêtée avec la civilisation du cheval. La technique a diminué l'homme. Elle lui a peut être apporté des choses croit-on, ce que je nie.

Bien sûr, je ne nie pas qu'on aille plus vite en avion à New York mais, quant à l'intérêt pour l'individu… Pour ses affaires, peut- être. L'homme s'est rétréci, étriqué depuis 1850. Les techniques modernes ont diminué l'homme et aujourd'hui l'homme se robotise. Les gens ne savent plus respirer et n'ont plus d'appui. Le même constat vaut pour le chant pour lequel il est difficile de trouver aujourd'hui des chanteurs wagnériens.

Pour Racine, c'est un peu différent car c'est une tragédie galante, une tragédie de salon pour laquelle il faut des moyens mais c'est plus intime. Pour Corneille, c'est déjà plus difficile car il est plus oratorien. Quant à la tragédie grecque, n'en parlons pas ! On ne le joue quasiment plus ! Les moyens se sont minimisés et j'ai sans doute été le dernier-né d'une époque où il y avait encore des géants. J'ai vécu la fin de cette époque, à laquelle je suis resté fidèle à ma manière, et j'ai vu s'amorcer le déclin. J'ai eu la chance de voir jouer ce répertoire comme il devait être joué, sans grandiloquence, avec des moyens extraordinaires.

Je l'ai déjà dit lundi, et je le répète toujours, en citant Callas comme exemple, c'est ce que disait Copeau : "Il faut avoir des moyens extraordinaires pour ne pas s'en servir." Il faut avoir beaucoup de moyens pour ne pas plafonner dans ceux-ci car il ne s'agit pas de "gueuler" mais d'avoir du souffle et une grande capacité thoracique. Ce que les gens n'ont plus. On peut dire que l'espèce humaine s'atrophie. Ainsi, les gens commencent à devenir sourds alors que l'ouïe est le sens premier, le fœtus entendant dès l'âge de 3 mois. C'est la régression d'une espèce et le théâtre est toujours le reflet d'une époque. D'où le ridicule de dire qu'on va le moderniser.

Parce que Molière était de son temps et donc moderne. Il avait du génie, raison pour laquelle il est parvenu jusqu'à nous. Bien sûr, il ne faut pas chercher à faire de la reconstitution mais à retrouver, à l'intérieur de nos moyens, ce qui est la permanence de ces œuvres, leur intemporalité. Tous ceux qui veulent retrouver de la profondeur en soi, améliorer leurs échanges avec l'autre, peuvent le faire à travers l'art dramatique même sans se destiner à la comédie.

Et toutes les facilités techniques apparentes entraînent la paresse, l'incuriosité ; on ne prend plus le temps de chercher le livre dans lequel on aurait pris plaisir à approfondir des choses. Et, malheureusement, chez les jeunes, même chez les meilleurs, les mieux éduqués, même si leurs parents ont fait mai 68, on sent une telle fragilité alors que, d'autre part, nous n'avons jamais été aussi loin... dans la lune oui. Aller dans la lune ou se promener avec un téléphone portable ne veut pas dire que l'homme est meilleur, plus profond, plus enrichi. Sur le plan de l'humain, il y a une régression terrible, surtout dans les pays européens. C'est manifeste : on n'a jamais été aussi en retard sur la réalité de la pensée.

Mary Marquet

Lors de la Printanière consacrée à Hugo, vous avez à plusieurs reprises évoqué la grande comédienne qu'était Mary Marquet, surnommée "la grande prêtresse de la poésie". Pouvez-vous nous en parler un peu ?

Jean-Laurent Cochet : Mary Marquet a été une immense aventure dans ma vie parce qu'elle était elle-même un personnage immense; et pas seulement parce qu'elle mesurait 1m81, mais parce qu'elle était complètement démesurée, en bien comme en mal. Elle était très difficile à vivre mais passionnante et stupéfiante. Elle était une immense tragédienne, qui avait fait toute sa carrière à la Comédie Française, et la première à proposer des soirées poétiques avec Madame Dussane. C'était en effet la grande prêtresse de la poésie française.

Elle avait eu une vie étonnante : maîtresse d'Edmond Rostand, elle avait épousé Victor Francen et c'est avec Vincent Gémier qu’elle a eu son fils, le merveilleux François, qui est mort pendant la guerre. Elle m'avait un peu adopté et, en me parlant de François, elle disait "Ton frère dans le ciel ". Après la guerre, elle a été incriminée, comme Guitry, pour collaboration et elle a fait de la prison pour finir en non-lieu. Cela a donné lieu à des livres extraordinaires : des livres de poésie, car elle était un grand poète, et dans "Cellule 209" dans lequel elle raconte son emprisonnement, toujours avec humour.

A la fin de la guerre, j'avais 11 ans, elle a recommencé à faire, dans la petite salle Chopin Pleyel, ses récitals de poésie. Nous y étions toujours fourré. Et, comme elle avait des moyens extraordinaires, elle pouvait passer de "Le vent" de Verhaeren, où elle faisait trembler la salle, à "La chanson du petit hypertrophique" de Jules Laforgue. C'était génial ! De temps en temps, à la fin du récital, j'allais la voir, avec une cinquantaine d'autres personnes, pour faire signer sa photo qu'elle signait sans regarder, d'une écriture immense, elle alignait 3 lignes par page. C'était notre idole. Le temps a passé et je suis entré au Français. Elle y venait, en tant que spectatrice, et j'ai su qu'elle avait tenu des propos gentils à mon égard.

Et puis, un jour, alors que je répétais à la Madeleine, où je faisais des saisons de classiques, on vient me chercher en me disant que c'était Mary Marquet au bout du fil qui me demandait. J'ai cru à une blague mais c'était bien elle me disant: "Allo, c'est Cochet ?" "Oui, madame !" "Ne m'appelle pas madame, appelle-moi Maniouche et tutoie-moi, comme ça on ne va plus se quitter ! Es-tu cette espèce de marchand de lacets dont j'ai retrouvé, il y a quelques mois, une lettre que tu m'as écris à l'âge de 20 ans et où tu me disais les choses les plus belles qu'on ne m'ait jamais dites et est-ce que ce marchand de lacets est le même que celui qui, en ce moment, monte Marivaux comme Karajan ?" Je réponds : "Oui, c'est moi, même si je n'ai pas la prétention de ressembler à Karajan." "Oui, c'est donc bien toi ! Tu es mon fils, je t'adopte, on prend rendez-vous!"

Et on ne s'est plus quittés. Henri Tisot était de la partie et nous passions des nuits extraordinaires chez elle, mais exténuantes, car elle était insomniaque ! Il fallait dîner, le plus tard possible, ensuite on la ramenait chez elle où elle se couchait et elle commençait un récital poétique qui durait jusqu'à 5 heures du matin. Ce trio a duré longtemps mais je suis parti le premier, car à un moment, je me suis rendu compte que, si cela continuait, je finirais par la haïr.

Elle faisait des scènes épouvantables à ma pauvre petite maman en l'engueulant au téléphone. Un jour, maman reçoit un coup de fil de Maniouche en pleurs demandant de mes nouvelles. Maman, affolée, pense qu'il m'est arrivé quelque chose de grave alors que Maniouche répond : "C'est Gauthier qui l'accroche dans sa critique !". Et maman de répondre que je devais m'en foutre, ne lisant pas les critiques. Quand j'ai raconté cet épisode au grand auteur qu'était Jean Sarment, dont Maniouche avait créé "Madame 15", il a eu ce mot merveilleux : "Elle n'aime pas les émotions perdues !". Et c'est la définition de tout le personnage !

Quand elle a été quittée par Victor Francen, elle l'agonisait d'injures à haute voix dans les couloirs du Français, toujours avec une classe folle, et une fois dans sa loge elle dit : "Ce salaud ! Il me quitte le jour où je joue Athalie, le seul rôle du répertoire où il n'y a pas besoin de sensibilité !". Tous ses sentiments étaient vrais mais complètement multipliés quand il s'agissait du théâtre. Quand on pense qu'elle a épousé Maurice Escande ! Celui-ci répondait, quand on s'étonnait de cette union : "Oui, c'était pour faire plaisir à maman! Nous sommes restés ensemble 9 mois, le temps de ne pas faire d'enfant !". Ces gens avaient de l'intelligence, de l'érudition, de la drôlerie, de la passion et de la curiosité !

Une autre anecdote : elle adorait les peluches et Henri Tisot et moi lui avions offert deux ours en peluche. Elle avait surnommé celui aux yeux langoureux, Coco, et celui qui était plus marrant, Titi, et se promenait partout avec ces deux ours. Et, si nous ne l'appelions pas à l'heure dite, elle nous appelait pour nous dire qu'elle avait foutu l'ours par la fenêtre ! Un jour, Coco a été défenestré et a atterri sur le toit d'un autobus, perdu à jamais.

Un autre jour, nous lui avons offert un énorme lapin en peluche d'1m50, assis sur ses pattes de derrière, que nous avions installé dans le salon face à son lit qui était dans la pièce adjacente en alcôve. Et le lendemain, elle m'appelle en disant : "J'espère que vous ne m'en voudrez pas mes enfants chéris mais je n'ai pas dormi de la nuit ; c'était impossible de dormir car il n'a pas cessé de me fusiller du regard toute la nuit ! Je lui ai dit qu'il ne serait pas le plus fort et je l'ai fait rapporter au Nain Bleu où je l'ai échangé !" Rien n'était simple avec elle !

Pour nous, c'était une aventure folle car, à travers elle, je peux dire que j'ai vu jouer Sarah Bernhardt et Mounet-Sully avec lesquels elle avait joué car elle les imitait parfaitement. Elle a été la dernière, avec Marie Bell, à avoir ces moyens fabuleux avec l'inflexion, l'intonation, d'une justesse incroyable.

Avec l'âge, elle était devenue, non pas acariâtre, mais injuste, exigeante, il fallait lui sacrifier sa vie, ce qu'on faisait. Mais un jour, je suis parti et je lui ai dit : "C'est comme les monuments, quand un jour on sait qu'on ne va plus les aimer, il faut les quitter". Ce que j'ai fait.

Et après, alors qu'elle était totalement désargentée, j'ai loué la salle Pleyel pour lui permettre de faire quelques récitals. Donc Mary Marquet fut une rencontre fantastique : adorer quelqu'un à 11 ans, ne pas oser l'approcher puis, ensuite, avoir cette relation extraordinaire, avec une personne hors du commun. Elle le reconnaissait d'ailleurs, en disant que c'était parce qu'elle était à la fois un homme et une femme. Elle racontait qu'elle avait un jumeau utérin et qu'elle était née seule parce qu'elle l'avait bouffé ! On se serait cru chez Fellini à la manière dont elle racontait cela et pourtant tout était vrai.

Le cinéma

Lors de vos cours publics d'interprétation dramatique, très curieusement, vous citez davantage en références des films que des pièces.

Jean-Laurent Cochet : Le cinéma est une des choses qui a minimisé les moyens des comédiens. Les comédiens de théâtre ont perdu leurs moyens parce qu'ils étaient piètres interprètes et le cinéma les a encore fatigués et ceux qui n'ont jamais eu de moyens n'en ont pas davantage. Je ne suis pas du tout contre l'existence du cinéma quand il y a autre chose que la technique (comme dans le cinéma numérique dans lequel il n'y a que la technique et rien à l'intérieur).

Au début, c'étaient de très grands acteurs qui faisaient du cinéma et qui savaient limiter leurs moyens. Il y a eu des comédiens qui ne pouvaient pas faire du cinéma. Ainsi Robert Hirsch n'a jamais pu limiter ses moyens à une chose familière. Quand une comédienne comme Michèle Morgan est venue au théâtre, elle était d'une génération où, même quand on parlait sans beaucoup de moyens, on se faisait entendre. Elle n'avait pas besoin de micro.

Il n'y a jamais eu un très grand cinéma français. Il y a eu de grands metteurs en scène, comme Renoir, Grémillon, Tati, mais pas de grandes époques comme pour le cinéma américain, qui n'a jamais arrêté, qui, même quand il est médiocre, est professionnel et, vue la production, il y a toujours au moins 1 ou 2 chefs-d'œuvre par an. Le cinéma anglais est également entièrement basé sur les comédiens de théâtre. En Italie aussi, avec Vittorio Gassman, qui était un grand acteur shakespearien.

En France, c'est moins bon. Et comme les gens qui font du cinéma sont beaucoup plus connus que ceux qui font du théâtre, maintenant, pour faire de l'argent au théâtre, on impose des gens médiatiques dont ce n'est pas le métier. Ils font du cinéma, bien ou mal, mais sont nuls sur un plateau. Et au bout d'un mois, comme ce fut le cas avec Laetitia Casta qui ne peut pas jouer du Giraudoux - et je n'ai rien contre elle -, on arrête le spectacle car le public ne vient pas. Il en résulte un malentendu épouvantable.

En France "La môme" d’Olivier Dahan est une merveille. Le cinéma a donné au spectacle une dimension, que ce soit dans l'intelligence aiguë, dans n'importe quel style d'œuvre. "La vie des autres" de Florian Henckel von Donnersmarck est un film bouleversant dont l'acteur principal, Thomas Thieme, est un immense acteur de théâtre comme par hasard.

"The Come back" de Mark Lawrence avec Drew Barrymore et Hugh Grant est une comédie d'une intelligence, d'une abondance, d'une vivacité remarquables , et "Le voile des illusions" de John Curran avec Edward Norton et Noami Watts nous prend aux tripes avec la grâce. Leonardo Di Caprio est un homme qui a du génie. Al Pacino et Peter O'Toole sont deux acteurs de cinéma qui avaient fait une carrière au théâtre avant d'être découverts au cinéma.

Ce qui est extraordinaire, c'est que, chez le grand comédien, comme il part de l'intérieur pour projeter les choses, quand on lui demande de faire du cinéma, cela marche très fort car on revient à l'intériorisation. Ce que fait Di Caprio, à la fin de "Blood diamond" de Edward Zwick, est d'une puissance vertigineuse et on a envie de le voir jouer Richard III. Ce n'est pas une question de se répandre en hurlements mais d'élargir la puissance intérieure et, quand je vais voir ces gens-là au cinéma, je suis au théâtre !

C'est du théâtre. Il y a un grand spectacle certes, mais aussi beaucoup de scènes à deux. Les scènes entre Leonardo Di Caprio et Matt Damon, dans "Les infiltrés" de Martin Scorcese, c'est du théâtre en gros plan. En France, pour paraître plus intelligent, on s'est cérébralisé et cela tue tout!

Allez-vous régulièrement au cinéma ?

Jean-Laurent Cochet : Oui, bien sûr mais je sélectionne les films ! Et ce qui m'intéresse surtout au cinéma ce sont les interprètes. Quand il y a à l'affiche Di Caprio ou Morgan Freeman, je sais que j'aurai devant mes yeux deux sublimes acteurs même si je suis plus réservé sur la qualité du film. Mais je sais que je vais voir des professionnels, tant pour les acteurs que pour le réalisateur. Je viens de voir "Dreamgirls" de Bill Condon qui est extraordinaire avec des comédiens sublimes ! Et c'est du théâtre.

Le cinéma américain filme des comédies musicales qui ont été jouées sur Broadway dans des extérieurs merveilleux, mais il y a la quintessence de l'œuvre grâce aux interprètes qui, avec leurs moyens, sont profonds et riches. Au théâtre comme au cinéma, il faut une œuvre mais cette œuvre n'existerait pas sans les interprètes.

Je me souviens d'une grève des personnels qui avait duré 2 mois au Français et Jean Meyer avait décidé de ne pas arrêter les représentations. Nous avons donc joué à l'élisabéthaine avec des rideaux noirs et un plein feu. L'absence de décor était palliée par des pancartes qui annonçaient le lieu où se déroulait la scène. Et le public est venu et nous a suivis. Nous avons ensuite fait venir les costumes et les décors et nous faisions tout nous-mêmes, sans mise en scène coûteuse comme aujourd'hui.

C'est le texte, le verbe, qui compte et il n'a besoin que de comédiens pour être entendu. Lope de Vega disait : "Le théâtre ? Deux personnages, un plateau nu et une passion." C'est ce qu'a fait Copeau au Vieux Colombier. Sans texte, il n'y a pas la musique de l'âme, les caractères, le mouvement, le style, la cadence, et ce sont des propos ordinaires tenus sur un banc. Ce n'est plus du théâtre mais de la sous -famille Duraton ou du vaudeville vulgaire.

Quels sont vos rapports personnels avec le cinéma ?

Jean-Laurent Cochet : J'ai toujours été très sincère vis-à-vis de moi-même. Comme disait Antonin Arthaud "Je m'assiste". Je n'avais pas envie de faire du cinéma car j'étais passionné par le théâtre qui seul comptait pour moi. Quand j'ai été engagé au Français, j'ai fait beaucoup de télévision en direct et cela m'amusait. C'était du bon théâtre avec de bons metteurs en scène, du théâtre filmé, comme celui de Guitry à ses débuts.

Je ne voyais le cinéma qu'en spectateur et je n'envisageais même pas qu'on puisse penser à moi. Et puis, avec le temps, on m'a d'abord demandé si je voulais filmer des choses mais j'ai refusé parce que ce n'était pas mon métier et si ce n'est pas pour faire un chef d'œuvre, ce qui était un peu prétentieux à dire, je n'en ai pas envie. J'ai tourné avec Henri Verneuil, "Mille milliards de dollars", et puis, "Fort Saganne" avec Gérard Depardieu.

C'est en voyant Bertrand Tavernier faire tourner Louis Ducreux, qui n'avait jamais fait de cinéma, que je me suis dit que c'était normal de ne pas faire de cinéma puisque je ne tirais pas les sonnettes des réalisateurs. Mais je n'avais ni un physique, ni un emploi, pour jouer un grand rôle. Et puis je disposais de très peu de temps car j'ai toujours tout sacrifié, et, quelques fois même des rôles au théâtre, pour continuer à assurer mon cours.

En prenant de l'âge, et en voyant les mauvais acteurs au cinéma, je me suis dis que j'aurais pu mieux jouer leur rôle. Et je suis arrivé à un âge où on pourrait mieux m'utiliser mais, à ce moment-là, les propositions ne sont pas venues ou alors des rôles sans intérêt ou en compagnie de personnes que je ne souhaitais pas côtoyer.

J'ai également tourné deux films en Angleterre, dont un pour la BBC. Quand je vois le cinéma anglais, là, j'aurais envie d'en faire. Je vais la semaine prochaine à Londres car un film, "The history's boy", d'après une pièce d’Allan Bennett, qui a été un énorme succès en Angleterre et en Amérique, vient d'être repris à Londres et l'un des personnages principaux est un rôle que j'adorerais jouer. Mais ce n'est même pas un projet, plutôt des idées car il faut l'adapter en français.

Avec "Le serpent", c'est la première fois que je voyais un film français digne d'être un film américain - ce qui est affreux à dire - merveilleusement distribué et dirigé, une belle histoire bien menée, un grand thriller réalisé par Eric Barbier. Je l'ai contacté téléphoniquement en lui laissant le message suivant : "Monsieur, je suis Jean-Laurent Cochet, ça ne veut pas dire que vous me connaissiez mais, si par hasard vous ne me connaissez pas, je me présente. Je suis le plus grand acteur de ma génération, je viens de voir votre film, je n'ai quasiment pas fait de cinéma et si vous avez envie un jour de quelqu'un qui peut jouer un rôle de mon âge, eh bien ce serait gentil de me téléphoner. A bientôt, j'espère!" Bien sûr, aucune réponse, ce qui n'est pas normal ne serait-ce que sur le plan de la courtoisie.

Car ce n'était même pas une bouteille à la mer, même pas en y croyant, mais je me suis dit simplement que c'était une personne avec qui j'aimerais tourner; Car sinon quand je vois les autres films français, avec qui auriez-vous envie de tourner ? Moi je n'ai pas envie de gagner de l'argent ainsi, car on s'emmerde tellement : le cinéma est l'école de la patience. Pour trois répliques intéressantes il y a tellement de grenouillages autour. Je n'ai pas le sens de ça.

Donc pas de regrets ?

Jean-Laurent Cochet : Pas de regrets mais un peu de nostalgie quand je vois ce que j'aurai pu tourner les dix dernières années par rapport à certains rôles comme celui de louis Ducreux que j'évoquais. Mais si je ne meurs pas trop vite, ce n'est pas fini, car je vais être de plus en plus vers mon emploi. Je dis souvent à mon agent que je sais très bien que, sur un plan médiatique ce que je suis au théâtre - vis à vis d'un certain public - ne représente rien pour un producteur.

Je ne prétends pas un premier rôle mais une belle participation, une belle scène. Ce qui me fait plaisir ce sont les gens de métier, et de cinéma, qui viennent me voir jouer qui s'étonnent de ce que je n'ai pas fait plus de cinéma car ils trouvent que mon jeu collerait bien au cinéma. Donc c'est bien de jouer cinéma au théâtre !

Finissons cet entretien, si vous le voulez bien, avec Hugo dont vous avez lu, à la fin du cours qui lui était consacré, quelques extraits de "Post scriptum de ma vie".

Jean-Laurent Cochet : "Post scriptum de ma vie" a été publié après sa mort avec le titre qu'il avait choisi et tous les morceaux des textes qui auraient pu, peut-être, faire partie d'une autre œuvre. Ce qui est très émouvant, c’est que tous les thèmes et tous les personnages sont traités dans un désordre très bien organisé et, constituent - en quelques phrases comme en un chapitre - des écrits définitifs, critiques mais positifs, sur La Fontaine, Saint Simon, Voltaire et surtout sur Dieu qui était, si j'ose dire, son grand partenaire, donc sur l'âme et la foi.

Je tiens à signaler qu'il est très difficile de se procurer ce livre, mais il y a un libraire à Paris qui peut vous le trouver, c'est Etienne Weil à la libraire "Vocabulaire", boulevard du Port Royal. La seule vraie édition reconnue est celle qui a été publiée à Lausanne. Car l'édition faite par Henri Guillemin - un monsieur qui avait des qualités dans d'autres domaines, mais très antipathique et très pédant, et qui s'était approprié l'œuvre de Hugo - n'était pas l'originale car il y avait inclus d'autres textes et une préface prétentieuse de son cru.

Dans ce "Post scriptum de ma vie", il y a tout, tout ce qui nous relie à nos disparus, au monde, à ceux qu'on aime, à des vérités profondes avec (et c'est là que Hugo est génial quand il traite des sujets gigantesques) une simplicité évangélique. Au fil de l'âge, cet homme démesuré, ce Maniouche masculin, s'est complètement épuré. Dans ses derniers écrits, "Post scriptum de ma vie" constitue la pépite d'or. Il reste l'essentiel.

Partagez-vous son sentiment notamment sur le rôle d'ange intercesseur des disparus que l'on a aimé ?

Jean-Laurent Cochet : Non seulement à travers des individus à qui j'attribue ce rôle d'ange mais en plus c'est une croyance, le mot foi prête à tellement de mauvaises interprétations, que je préfère utiliser le terme de croyance, c'est une croyance ab-so-lue que je prends complètement à mon compte.

Il ne s'agit pas seulement d'une espérance "Pourvu que cela se passe comme ça !" c'est au-delà de l'espoir, c'est une certitude ! Sacha Guitry disait de manière sublime "Je doute en Dieu!". Je retrouve dans les lignes d'Hugo ce que j'aurai eu envie d'écrire si j'avais eu son génie. Il s'agit complètement de ma confession de foi !

 

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En savoir plus :

Le site officiel de Jean-Laurent Cochet

Crédits photos : Thomy Keat (Plus de photos sur Taste of Indie)


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# 24 mars 2024 : Enfin le printemps !

Le printemps, les giboulées de mars, les balades au soleil ... la vie presque parfaite s'il n'y avait pas tant de méchants qui font la guerre. Pour se détendre, cultivons nous !. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.

Du côté de la musique:

"Dans ta direction" de Camille Benatre
"Elevator angels" de CocoRosie
"Belluaires" de Ecr.Linf
"Queenside Castle" de Iamverydumb
"Five to the floor" de Jean Marc Millière / Sonic Winter
"Invincible shield" de Judas Priest
"All is dust" de Karkara
"Jeu" de Louise Jallu
"Berg, Brahms, Schumann, Poulenc" de Michel Portal & Michel Dalberto
quelques clips avec Bad Juice, Watertank, Intrusive Thoughts, The Darts, Mélys

et toujours :
"Almost dead" de Chester Remington
"Nairi" de Claude Tchamitchian Trio
"Dragging bodies to the fall" de Junon
"Atmosphérique" de Les Diggers
quelques clips avec Nicolas Jules, Ravage Club, Nouriture, Les Tambours du Bronx, Heeka
"Motan" de Tangomotan
"Sekoya" de Tara
"Rita Graham partie 3, Notoriété", 24eme épisode de notre podcast Le Morceau Caché

Au théâtre

les nouveautés :

"Gosse de riche" au Théâtre Athénée Louis Jouvet
"L'abolition des privilèges" au Théâtre 13
"Lisbeth's" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses
"Music hall Colette" au Théâtre Tristan Bernard
"Pauline & Carton" au Théâtre La Scala
"Rebota rebota y en tu cara explota" au Théâtre de la Bastille

"Une vie" au Théâtre Le Guichet Montparnasse
"Le papier peint jaune" au Théâtre de La Reine Blanche

et toujours :
"Lichen" au Théâtre de Belleville
"Cavalières" au Théâtre de la Colline
"Painkiller" au Théâtre de la Colline
"Les bonnes" au théâtre 14

Du cinéma avec :

"L'innondation" de Igor Miniaev
"Laissez-moi" de Maxime Rappaz
"Le jeu de la Reine" de Karim Ainouz

"El Bola" de Achero Manas qui ressort en salle

"Blue giant" de Yuzuru Tachikawa
"Alice (1988)" de Jan Svankmajer
et toujours :
 "Universal Theory" de Timm Kroger
"Elaha" de Milena Aboyan

Lecture avec :

"Au nord de la frontière" de R.J. Ellory
"Anna 0" de Matthew Blake
"La sainte paix" de André Marois
"Récifs" de Romesh Gunesekera

et toujours :
"L'été d'avant" de Lisa Gardner
"Mirror bay" de Catriona Ward
"Le masque de Dimitrios" de Eric Ambler
"La vie précieuse" de Yrsa Daley-Ward
"Le bureau des prémonitions" de Sam Knight
"Histoire politique de l'antisémitsme en France" Sous la direction d'Alexandre Bande, Pierre-Jerome Biscarat et Rudy Reichstadt
"Disparue à cette adresse" de Linwood Barclay
"Metropolis" de Ben Wilson

Et toute la semaine des émissions en direct et en replay sur notre chaine TWITCH

Bonne lecture, bonne culture, et à la semaine prochaine.

           
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