Le Musée des Arts Décoratifs propose avec "Jean-Paul Gaultier / Régine Chopinot Le Défilé", grâce à la donation de cette dernière, une fantastique exposition, au sens premier du terme, sur 11 ans de création d’un couturier pour la danse.
Rien de très original pourrait-on penser car Jean-Paul Gaultier ne fut pas le premier couturier à étendre sa palette aux costumes de spectacles ni la chorégraphe Régine Chopinot à faire appel à un couturier.
Mais ceux qui furent surnommés, chacun au regard de leur discipline, des "enfants terribles", sont deux personnalités singulières aux univers forts.
Et, de 1983 à 1994, ils ont réussi une symbiose artistique exceptionnelle par une vraie aventure qui révolutionna la chorégraphie et la couture.
Au point où en 1985, le fameux "Le Défilé", sous titré "création atypique pour seize danseurs, comédiens et mannequins", conçu comme un pastiche de défilé, a stupéfait le public.
Mais aussi il a fait école avec la métamorphose des défilés de haute couture en véritables spectacles .
La très belle photo de Jean-François Bauret illustre ce que fût cette collaboration : Régine Chopinot, profil acéré, regarde droit devant elle, Jean-Paul Gaultier, sourire esquissé, l’interpelle d’un œil scrutateur.
Olivier Saillard, commissaire de l’exposition, a, judicieusement, fait appel à la Compagnie 14 : 20 pour assurer la scénographie de cette exposition. Raphaël Navarro et Clément Debailleul, issus du spectacle vivant, ont créé une mise en espace liée autant à la magie du spectacle qu’à l'intemporalité notamment par des jeux de lumière et un décor très épuré de noir, blanc et de verre.
Ainsi voit-on des costumes apparaître sous forme d’hologramme, une ampoule qui se balance comme un trapéziste lumineux éclaire fugacement un costume, ou la silhouette du mannequin blanc, devenu ectoplasme, se superpose sur le costume.
Et la vitrine au sol en miroir recrée le décor du ballet "Ana" dans laquelle les mannequins en costumes composés de hauts rayés et de tutus roses en galette semblent flotter en apesanteur.
Cette magnifique exposition atteste que le côté exceptionnel de cette collaboration se décline aussi au niveau de la modernité puisque 20 ans après les costumes, qui ont d'ailleurs inspiré, et inspirent encore, nombre de couturiers, sont toujours d’une contemporanéité presque futuriste.
Trois termes caractérisent traditionnellement Jean-Paul Gaultier : iconoclasme exigence et humour.
Humour bien évidemment, celui qui accompagne une fantaisie débridée.
Du brin d'humour à l'humour potache (le peignoir de boxeur "poids chiche"), de l'éclat de rire à l'humour fin ("les cri-nolines"), Jean-Paul Gaultier se moque des conventions et épingle les médailles sur le postérieur.
Quant au slip kangourou, il acquiert ses lettres de noblesse en toge antique.
Exigence toujours au point où le visiteur peut apprécier le souci du détail dans ces costumes destinés à n’être porté que le temps d’une représentation et qui ne peuvent être saisi par le spectateur.
On ne se lasse pas à admirer et détailler la richesse créatrice de ces costumes ainsi que la très haute virtuosité de la réalisation par tous les corps de métier de la mode de la corsetterie à la broderie, de la couture à la pelleterie.
Iconoclasme bien tempéré. Il s’agit moins d’un rejet que d’une démarche novatrice qui consiste à détourner la tradition académique, en l'occurrence celle du monde de la danse mais sans doute davantage par admiration et sens du spectacle que par nihilisme.
A la manière des artistes, Jean-Paul Gaultier s’empare les icônes du classicisme pour les revisiter à la manière d’un plasticien.
Il en dégage les basiques emblématiques de sa griffe, comme le corset ou le tulle, que l'on retrouvera dans sa collection haute couture.
Pour les chorégraphies de Régine Chopinot, il procède à une théâtralisation du costume de danse qui devient un costume de scène exubérant et fantasque à la fois par détournement des codes propres à cet art et par introduction du vêtement "ordinaire".
Pratiquant le mélange des styles et la confusion des genres, Jean-Paul Gaultier taille une veste au tutu qui, emporté dans une tornade libertaire, devient galette, fraise, mille feuilles sculpté.
Le justaucorps minimaliste des années 70 n'est pas en reste et devient combinaison en trompe l’œil.
La crinoline télescope le pull finlandais, le pied se libère du chausson à pointe pour s’étaler dans la basket, l’espadrille, la chaussure de ville ou la botte gothique et à bas le cheveu, vive le couvre chef même si c'est une perruque.
Les tenues de ville customisées investissent la scène et les dessous s’affichent.
En guest star incontournable, le corps prend le dessus et investit tout le corps.
Jean-Paul Gaultier connaît ses classiques décline ce vêtement qui "enlace" aussi bien en guêpière qu'en jambières. La robe corset, présentée en 1983 par le blond facétieux en marinière dans sa collection dite "dadaiste", a connu un succès mondial. Il n'a cessé depuis d'interpréter avec succès les codes culturels s'imposant comme une des couturiers les plus innovants de sa génération. Et en 2006, il a fêté les 30 ans de sa maison de couture. |