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Entretien de mai 2007  (Paris)  10 mai 2007

Le 30 avril 2007 se déroulait la première Master Classe de la trilogie "Arc en ciel" qui clôturera, pour cette saison, les Cours Public d'Interprétation Dramatique de Jean-Laurent Cochet.

Autour des fables de La Fontaine, Molière, Musset, Jean Giraudoux et Collins Higgins, Jean-Laurent Cochet a tenu à présenter de nombreuses scènes travaillées par de jeunes élèves qui ont séduit le public mais aussi le maître.

Au cours de ce 5ème entretien, placé sous les figures de Guitry et Jouvet, Jean-Laurent Cochet a accepté de soulever un peu le voile du mystère et faire de quelques confidences précieuses.

Les fables

Vous faites systématiquement travailler vos élèves sur les fables de La Fontaine. Quel est l’intérêt de cet exercice ?

Jean-Laurent Cochet : C’est essentiel… c’est capital… c’est crucial… et je n’en trouve pas d’autres… parce que c’est la base pour moi, parce que personne n’en a jamais fait autant travailler que moi, surtout depuis 50 ans. C’est la base de tout l’enseignement du comédien. D’abord, il n’y a rien de plus beau que les fables. On pourrait choisir d’autres récits, car c’est cela le principe. On pourrait définir ainsi le comédien : "Raconte-moi qui tu es". A travers une anecdote, on sent de la manière dont il la raconte, pourquoi il la raconte, dans quel sentiment il se trouve, ce qu'il en pense, quel est son tempérament. La fable n’est qu’une anecdote, qu’un exemple d’une certaine situation.

Et c’est ce que l’on retrouve dans toutes les formes de théâtre. Il se passe toujours quelque chose entre deux personnages avec une contradiction. Et, pour convaincre l’autre, on lui donne des exemples. Cela est une constante chez tous les grands auteurs. Et on raconte quelque chose qui n’a, en principe, aucun rapport avec la situation première, qui est un exemple, une allusion, mais on le raconte dans le sentiment dans lequel on est et on ne joue pas l'anecdote. On garde l’inflexion et l’humeur de la situation personnelle. Cela ne peut se faire que dans un récit.

Au début, La Fontaine voulait faire du théâtre mais sans y trouver sa réalisation la meilleure, et il a, un jour, écrit une fable, "Le coche et la mouche", qui raconte une aventure qui lui est arrivé lors d’un voyage dans le Limousin. Le succès rencontré avec cette fable l’a mené à en écrire bien d'autres ; et c’est là qu’ont surgi au cours des siècles tous les pièges et toutes les erreurs en récitant les fables de manière très appliquée et très articulée, en fermant tous les sens au point où on finit par ne plus savoir de quoi on parle, et le public non plus. Donc le public s’emmerde ! Et puis, il y a ceux qui trouvent cela amusant de jouer les animaux et on arrête l’histoire pour incarner les différents animaux et on ne sait toujours pas de quoi il retourne. Or, il faut dire les fables de la même manière que l’on conseille à un ami d’aller voir un film.

Donc, en soi les fables de La Fontaine sont des chefs d’œuvre. Il n’y a pas une fable qui n’évoque quelque chose de miraculeux, même si La Fontaine n’est pas un moraliste, mais un philosophe et un satiriste. Et puis, surtout, on y trouve toutes les circonstances de la vie, des plus rares aux plus banales, et on peut donc y trouver tous les sentiments propres à raconter une histoire. Ce qui permet de jouer toutes les situations.

De plus, les fables contiennent toutes nos règles : à situation unique note unique jusqu’à la fin du récit, le phrasé (qui n’a rien à voir avec la ponctuation écrite), les ré-accentuations, les ruptures…..Je dis souvent aux élèves de partir d’une contradiction avec autrui et de cerner le sujet. Si j’avais le temps, si le monde n’allait pas si vite, je ne ferais travailler en première année que la technique et les fables.

Même les plus grands comédiens se sont laissés prendre au piège des fables parce que c’était considéré comme quelque chose à part. Il faut oublier, c’est-à-dire puiser dans le texte, qui est le reflet de la pensée de l’auteur, le moyen de faire disparaître les mots de manière à raconter cette histoire comme si on le faisait avec ses propres mots.

C’est la raison pour laquelle, la plupart du temps, je demande aux élèves de faire leur texte, comme je le demanderais à des enfants de 7 ans, pour raconter une histoire. Puis, on trouve l’inflexion, autre règle essentielle, et ensuite, on mélange ses propres mots et ceux de La fontaine, et enfin ceux de La Fontaine nous deviennent aussi naturels que si c’étaient les nôtres. Les fables, c’est la base du comédien. Henri Rollan disait : Avant tout, le comédien on lui dit : "Raconte- moi qui tu es !". Et ce "Raconte- moi !", c’est les 5 actes.

Etes-vous le créateur de cet exercice ?

Jean-Laurent Cochet : Quand j’étais tout jeune, et même un tout petit peu moins jeune, mais jeune encore, avant d’être un peu moins jeune, j’allais tous les jours au Français et il y avait beaucoup de matinées classiques avec des fables. Et, je ne sais pas si j’ai l’oreille absolue, comme on m’a dit un jour, mais au moins ai-je une oreille particulièrement développée, parce que j’ai fait du piano à partir de 5 ans pendant 27 ans, et puis du chant, mais dès mon plus jeune âge, alors qu’elles étaient dites par de merveilleux comédiens que j’adorais, je trouvais que je n’aimais pas la manière dont les fables étaient dites.

D’autant que l’officiant arrivait en disant le titre de la fable, ce qui donnait un coup de barre terrible, comme une conférencière qui arriverait en disant "Conférence sur la culture des chenilles au Tibet". Le titre, on s’en fout ! Quand on joue une pièce, au lever de rideau, on n’annonce pas son titre. C’était épouvantable. Mais il y avait la fabuleuse Madame Bovy, la merveilleuse, l’unique Madame Berthe Bovy qui racontait vraiment une histoire. Quand j’ai été reçu au Conservatoire, je suis allé la trouver en lui parlant de cela. Elle m’avait répondu : "Ah, vous êtes même gentil car ils sont plus que mauvais. C’est exécrable !".

Moi je me demande "pourquoi" je raconte cela. Les autres font du "comment" : comment vais-je dire cela pour que ce soit beau ? Donc deux points, ouvrez les guillemets, je m’arrête et j’enchaîne. Et elle m’a révélé tous ses petits secrets comme ne pas tenir compte de la ponctuation, garder la note unique, l’inflexion liée au sentiment dans lequel on se trouve…et on continue ainsi comme si on racontait une histoire drôle à la fin d’un repas. Mais à travers l’histoire drôle, on comprend qui est la personne qui l’a racontée.

A partir de ce moment-là, je me suis mis à travailler les fables ainsi. Un jour, on m’a envoyé faire un gala devant une soldatesque complètement ivre au Mont Valérien et j’ai dit "Le meunier, son fils et l’âne". Il fallait le faire ! Et ils se sont tus car, quand on raconte une histoire avec cette note ouverte, l’auditeur est forcé d’attendre la suite. Ils ont même ri alors que souvent on ne rit pas en écoutant du La Fontaine parce que c’est du bronze, c’est trop beau. Alors que c’est plein d’humour.

Ensuite, à part Dominique Blanchard, et puis la fameuse Jeanne Provost, (dont on ne savait pas où commençait le texte de l’auteur et le sien, ce qui est le rêve de tout comédien), il y a eu ceux qui, comme Fabrice Luchini ou Richard Berry, l’ont travaillé chez moi.

Y a-t-il des élèves réfractaires à ce genre d’exercice ?

Jean-Laurent Cochet : Jamais ! Surtout parce qu’ils découvrent à quel point cela est facile alors qu’ils croyaient les fables ennuyeuses ou difficiles. Au point où parfois certains, ayant assimilé l’exercice, pensent avoir atteint le but ultime et se tournent les pouces. Bien dire les fables n’est pas un but mais le moyen pour ne pas trahir le caractère, l’intrigue. Je n’ai donc jamais rencontré de réfractaires aux fables.

En revanche, il y a des élèves qui ont peiné du fait d’une relative inculture. Mais je pense que ça va s’arranger, car je ne suis pas un optimisme au chloroforme, mais je crois ressentir dans les jeunes générations, et il serait temps, compte tenu de tout ce qui va se passer en France, j’y compte bien, une envie de sortir de ce médiocre, de cette inculture pour aller vers des choses plus belles, plus structurées et plus profondes, sinon on arriverait à ce constat stupéfiant où ils n’ont plus que 3 mots de vocabulaire au point où il faut leur expliquer le sens des mots.

Il y a près de 10 ans maintenant, un élève avait même eu la franchise de me dire qu’il ne comprenait pas un mot de ce qu’avait écrit La Fontaine. Et pourtant la langue de La Fontaine, sous réserve de quelques tournures et de quelques mots archaïques, est particulièrement claire et simple. Ainsi par exemple, dans mes cours en Vendée, j’ai dû expliquer ce qu’était la fin de la fable "Le curé et le mort". Il y a un heurt et le cercueil tombe sur le curé donc ils sont morts tous les deux et la fable s’achève ainsi "Toute notre vie est le curé Chouart qui sur son mort comptait et la fable du pot au lait". Et l’élève de me demander ce que le curé comptait sur son mort !

Je remarque que même mon vocabulaire, qui est pourtant simple, (même si parfois j’utilise l’imparfait du subjonctif quand il le faut parce que cela m’amuse et qu’on comprend tout autant), même le mot précis qui désigne une chose, les déroutent au point qu’ils préféreraient qu’on utilise des termes plus vagues et imprécis. Mais ce que je découvre, c’est que cette exigence les passionne. Et cela est encourageant.

Deuxième exercice qui ravit tout autant le public, ce sont ce que j’appelle, à défaut d’en connaître le terme exact, les "chaises théâtrales" qui consiste à faire jouer le même personnage par plusieurs élèves de manière alternée et aléatoire.

Jean-Laurent Cochet : Je passe mon temps à dire que les choses viennent d’un tel ou untel mais pour cet exercice je crois en être l’inventeur. C’est un exercice qui ne porte pas de nom technique, si ce n’est une "scène à plusieurs", qu’on ne peut d’ailleurs pas faire sur toutes les scènes. Chacun apprend tout le texte de la scène et joue son personnage. Cet exercice est destiné à les obliger à ne pas être que des brouteurs de mots, si j’ose dire, que des bavards, des récitants de mots appris, mais les obliger à rester en situation, au haut de l’inspir quand, tout d’un coup, je dis à un autre de continuer.

Cela oblige les élèves à intensifier leur qualité d’écoute, (ce qui est une grande vertu du comédien) pour garder en soi son sentiment, et continuer à prendre à son compte ce que dit l’autre. Alors qu’en général, quand ils jouent avec le partenaire, chacun dit sa réplique et on va ainsi, de réplique en réplique, comme dans la brochure. Or, il doit y avoir un texte continu qui perdure même quand c’est l’autre qui répond.

Il s’agit d’un exercice très difficile qui demande de la virtuosité parce qu’il faut être d’une extraordinaire attention tout en n’ayant pas l’air de se paniquer pour parler quand son nom est appelé. Cela crée une attention à soi, intérieurement, et une attention à l’autre. Cela aiguise une qualité d’écoute et aide à compter avec tout ce qui peut survenir tout en restant très libre. Et ça, c’est un exercice passionnant à faire qui, pour le public, fait énormément d’effet.

Il faut préciser qu’il ne s’agit pas d’un exercice préparé et répété. J’y ai pensé et je fais venir comme en l‘occurrence, le 30 avril pour la scène de Cléonte et Covielle, quatre garçons dont je sais qu’ils ont travaillé la scène sans les informer de l’exercice. C’est donc impressionnant pour le public, un peu comme un exercice de trapèze dans le vide.

Et la première fois où j’ai utilisé cet exercice à plusieurs voix, c’est effectivement sur des fables. Et ça a même entraîné un triomphe, la vente d’un nombre considérable de disques, avec deux de mes élèves qui étaient Olivier Lejeune, dont on parle beaucoup et qui a écrit des pièces et joue la comédie de façon épatante, et Patrick Green. Ils ont appris cela à mon cours où je leur avais demandé de le faire avec "La cigale et la fourmi" dont j'avais fait le découpage.

Et ce qui est étonnant c’est que vous imposez cet exercice à des élèves qui sont des novices au sens où ce sont de jeunes élèves qui ont peu de mois de cours.

Jean-Laurent Cochet : Effectivement. Cela m’amuse de le faire faire aux débutants. C’est frais, charmant, cela recrée de la spontanéité et ils ont très bien réussi l’exercice. Et un des élèves a même fait un effet avec une phrase qui n’était pas dans le texte parce que c’est une phrase à lui, qui lui est venue parce qu'il était en situation.

Le Conservatoire

Vous avez rappelé, au cours de votre dernière Master Classe, que le Conservatoire c’était 3 années pour acquérir du style. Pour les néophytes, pouvez-vous rappeler ce qu’est, ou était, le Conservatoire ?

Jean-Laurent Cochet : Rappelons effectivement ce qu’était le Conservatoire qui, comme un certain nombre de maisons fabuleuses, n’existent plus du fait, notamment, de la politique. On y fait des choses qui n’ont plus à rien à voir avec ce qui se faisait à l’origine. C’est un peu comme si on disait qu’on fait encore du théâtre à la Comédie Française.

Le Conservatoire, d’où son nom "Conservatoire National d’Art Dramatique", "Art dramatique" parce qu’on n’y fait ni musique ni danse, et "Conservatoire", qui étymologiquement veut dire "pour conserver". Pas les traditions imbéciles d'un acteur qui lance ses pantoufles dans la salle comme Jean Lefèvre, mais pour remonter historiquement, littérairement, théâtralement à la source de ce qui a fait qu'un jour, Molière a existé et a à écrit, avec tout ce qui fait son génie, et que vraisemblablement on ne dépassera jamais ce qu’il a fait ce jour-là, et que les gens de la génération suivante pouvait raconter "Moi j’ai joué avec Molière".

Il ne s’agit pas de faire de l’imitation ou de la reconstitution mais d'être fidèle, ce qui est le contraire de notre temps où on prône la rupture permanente en travaillant contre la fidélité, parce que c’est beaucoup plus difficile à observer que d'inventer n'importe quoi en faisant croire qu'on a des idées. Comme la Comédie Française devait conserver un répertoire même si elle fait des créations. "National" parce qu’il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une institution financée par les deniers publics.

Et c’est la raison pour laquelle, quand on voit ce qui s’y fait depuis des années, si on y emmenait les spectateurs voir les monstruosités qui s’y passent, cela ferait des révolutions plus graves que celles de quelques extrême gauchistes qui brûlent les voitures parce qu’on a élu la personne qu’il fallait élire. On nage dans la merde, on se lance des bouteilles de vin à la tête parce que Phèdre était sans doute une femme qui buvait. Quand j’ai démissionné, on y faisait n’importe quoi et je ne pense pas que cela ait pu s’arranger.

D’autre part, il n’y a plus de "maîtres" mais des gens avec plus ou moins de talent, qui se choisissent entre eux, en général d’un même parti politique, et qui n'ont pas forcément la fibre pédagogique. Quand je suis entré au Conservatoire les professeurs étaient Madame Dussane, René Simon, Denis D'Inès, doyen du Français, Jean Debucourt, Jean Yonnel, Georges Chamarat, les plus grands de leur temps.

Selon la formule de René Simon, qui est vraie, puisque c’est une grande école nationale, on n’y entre pas pour y acquérir les principes fondamentaux mais après avoir fait des études dans d’autres cours, qui n’étaient d’ailleurs pas très nombreux, et qui étaient parfois dispensés par des professeurs du Conservatoire sans que cela n’entraîne un népotisme. De toute façon, il y avait 700 postulants pour 11-13 élus.

Et René Simon disait : "On y entre pour en sortir". C’est bien la raison pour laquelle un élève entrant au Conservatoire signait un contrat aux termes duquel il s’engageait à accepter d’aller participer, en figurant ou en petit rôle, à la Comédie Française ou à l’Odéon, s’il y était pressenti puisque les élèves du Conservatoire constituaient le vivier de la Comédie Française. Les trois années au Conservatoire permettaient de perfectionner le style et les connaissances.

Il existait à l’époque, au sein de la Comédie Française, un directeur des études techniques, qui était Monsieur André Bruno quand j’y étais et qui a vite compris qu'il devait vite rentrer chez lui à Vincennes du fait du laxisme des comédiens. C’était avec ce directeur que nous travaillions nos rôles en marge du travail avec le metteur en scène. Et à ce poste, étaient nommées des personnes qui avaient une connaissance immense et dont le rôle était crucial.

On ne concourait pas en fin de première année car on considérait que cela était prématuré. Il y avait des examens tous les trimestres. Ainsi en janvier, on passait des fables, en mai des scènes, et les notes s’échelonnaient entre "très mal" et "très bien". Parfois les élèves, qui avaient une note merveilleuse en mai, pouvaient exceptionnellement concourir, comme Danielle Ajoret, par exemple, qui a été engagée dès la première année.

Le premier concours se passait en fin de 2ème année, si on avait obtenu une note suffisante à l’examen de mai de l’année précédente, si bien que beaucoup d’élèves attendaient la fin de la 3ème année pour concourir et, quelques fois, ne concourraient pas du tout faute de note suffisante. Et, en général, ce sont tous ces fruits morts qui aujourd’hui, comme Jacques Lasalle, dirigent les théâtres et les centres d’art dramatique.

Quand, en 3ème année, on avait eu une récompense, même petite, comme un accessit, il était parfois exceptionnellement admis que l’on fasse une 4ème année pour donner une chance supplémentaire mais cela dépendait de l’emploi. S’il s’agissait d’une petite ingénue, il est clair que, si elle n’avait pas été convaincante en 4 ans, ce n’était pas à 36 ans qu’elle pourra dire : "Le petit chat est mort".

Mais tout était admirablement réparti. Les âges limite étaient de 15 ans à 22 ans pour les filles et de 16 à 25 pour les jeunes gens parce que les filles étaient matures plus tôt que les garçons. Il régnait une impartialité extraordinaire et on n’attendait pas que les anciens disparaissent pou prendre leur place.

Madame Dussane avait donné à son concours de sortie Dorine, qui n’est pas une ingénue mais une nourrice qui mène la maison, à 14 ans et demi et elle a été engagée. Et Jules Truffier, un des grands sociétaires qui avait été doyen, qui écrivait des vers pour ses partenaires, des quatrains ou des distiques, a écrit à propos des débuts de Dussane : "Il ne reste à Dussane pour bien jouer Dorine, qu’un peu moins de jeunesse et un peu plus de poitrine".

Il ne fallait donc pas se présenter trop tôt au concours d’entrée au Conservatoire et c’est une erreur, pour ma part, de l’avoir fait. Mais je ne le regrette pas parce que je me suis rendu compte que cela m’avait servi. Dès ma seizième année, je me suis présenté et je n’ai même pas eu le premier tour, ce qui était normal car je n’avais fait que deux cours. Je recommence à 17 ans : j’ai le premier tour et pas le second. C’est à ce moment que j’ai rencontré Dussane qui m’a dit que c’était normal parce qu'on ne savait même pas, à mon âge, si je jouerais un amoureux ou un valet. Troisième fois, toujours le premier tour et pas le second et commence la désespérance.

La 4ème année, tout le monde rigolait en disant : "Mais on ne voit que toi mon pauvre !". Je me faisais presque du tort sans le vouloir. On me disait : "Jouvet s’est présenté 5 fois et il n’est pas rentré". Je répondais : "Il a été Jouvet après et moi je ne sais pas si je serai Cochet !". Et puis, il s’est produit une chose formidable. Pendant que j’étais au cours Simon, un metteur en scène m’a engagé pour jouer au Théâtre Gramont, ce qui ne me permettait pas de me présenter au concours. Pendant ce temps-là, j’ai mûri.

Je me suis présenté ensuite dans l’état d’esprit que ce serait cette fois-là ou rien, je suis arrivé jusqu'au 3ème tour et j’ai figuré parmi les premiers reçus. Et, pour le coup, je suis entré au Conservatoire prêt à en sortir ! J’ai ensuite été engagé immédiatement comme stagiaire au Français. Et c’est là, comme je vous en ai déjà parlé qu’a démarré ma vocation de pédagogue puisque les professeurs me demandaient de faire travailler mes collègues.

Qu’avez-vous appris au Conservatoire ?

Jean-Laurent Cochet : Tout. On y apprenait tout de la vie et du métier. Tout de l’observation, de la curiosité des êtres, des styles, et même des costumes du personnage. Les professeurs étaient des puits de science, des érudits et, en même temps, de bons vivants. On y parlait autant des oeuvres de Fénelon qu’on mangeait ensemble un bon steak. C’est un surcroît de culture et d’intensité de vie. J’y allais tous les jours avec enthousiasme, comme si j’allais au paradis, et l’impatience de découvrir ce qui allait s’y passer, de ce que j’allais apprendre.

On y découvrait l’ardeur au travail, et bien qu’étant en principe dans une classe, j’allais donner des répliques dans toutes pour profiter de tous les enseignants. De même que, quand je suis devenu stagiaire, je ne quittais pas d'un pouce les comédiens et j'apprenais ainsi toute l’histoire du théâtre. C’était un enrichissement permanent et, enpremier lieu, une école de vie, comme doit être tout enseignement. Comme disait le Prince de Ligne "Quoi qu’on apprenne, c’est pour mieux vivre".

Et les concours faisaient partie de cet enseignement car on savait que nous passerions des concours toute notre vie. Chaque générale est un concours et il ne faut pas dénigrer bêtement, et démagogiquement, les concours pour le motif que certains sont moins en forme ce jour là, idiotie qui date de 1968, date qu’on ne pensait pas voir devenir un repère de la nullité ! J’ai un souvenir de ces années passées au Conservatoire ….

J’y retournais même après ma sortie pour assister aux cours par passion d’apprendre et d’être dans ce monde qui m’avait précédé. Ce qui n’existe plus aujourd’hui où on a affaire à une génération spontanée, à des clones, de vilains clones, eux-mêmes clones de clowns. C’était vraiment extraordinaire ! Et, comme j’étais entré plus tard que les autres et que je manifestais une telle passion, et surtout une grande endurance au labeur, (ce qui est essentiel d’ailleurs car la passion seule ne suffit pas), j’ai immédiatement été très apprécié par les grands comédiens que j’adorais.

Comme il y avait à l’époque, en plus de la Comédie Française, la salle Luxembourg et une vraie alternance avec un très grand nombre de pièces, et que j’avais un emploi assez varié, pouvant jouer aussi bien un marquis qu’un valet, j’ai très vite joué de grands rôles du répertoire, ce qui a d’ailleurs failli me jouer un vilain tour car, en fin de seconde année, alors qu’on pensait que ce serait une formalité, puisque j’étais déjà distribué pour l’année suivante, et bien, je n’ai eu que deux premiers accessits, ce qui a constitué un coup de foudre extraordinaire.

Tous ceux qui m’avaient distribué ont, cependant, été merveilleux en me conservant leur confiance. J’ai donc préparé différemment mon concours pour l’année suivante où j’ai eu mes prix à l’unanimité. Ce sont les épreuves qui nous amènent plus loin. Comme le mot divin que m’avait dit Jean Meyer et dont je vous ai parlé "Plus profond maintenant !".

Les professeurs de cette époque étaient-ils totalement investis de cette mission non seulement pédagogique mais de transmission d’une tradition et de l’histoire du théâtre ?

Jean-Laurent Cochet : Bien sûr ! Certains moins que d’autres naturellement. On peut être un très bon comédien, comme Louis Seigner, et ne pas avoir vraiment le goût de l’enseignement. Et puis, il y a toujours eu, comme une demoiselle Dumesnil (qui avait été la maîtresse d’un homme politique), ce qu’on appelait les "comédiennes ministérielles". A l’époque où un comédien était pensionné par l’Etat pour être engagé au Français et, ensuite, nommé sociétaire pour partager tous les bénéfices des représentations et des tournées du Français, même si ceux-ci n’étaient pas très élevés, on n’engageait pas n’importe qui. Pour enseigner aux autres il suffit de vouloir communiquer et transmettre quelque chose de beau, d’harmonieux, de vivant, et de fidèle. Surtout fidèle.

Arletty.

Vous avez évoquez la mémoire d’Arletty. Pouvez-vous nous en parler ?

Jean-Laurent Cochet : Comment en parler sans que cela ne dure six jours ? D’autant que j’ai eu la chance de bien la connaître. C’était une de mes héroïnes. Dans "Les enfants du paradis", "Le jour se lève", "Circonstances atténuantes" et au théâtre, car j’ai eu la chance de la voir jouer au théâtre dans "La descente d’Orphée", une pièce de Tennessee Williams adaptée par Cocteau. J’ai fait sa connaissance au Français où elle venait souvent alors qu’elle commençait déjà à être atteinte de cécité.

C’était une femme très intelligente qui avait acquis une culture incroyable. Elle maniait le français comme Madame de Romilly et, subitement, elle revenait au langage populaire. Une grande dame complètement simple. Je l’ai ensuite mieux connue grâce à des amis comédiens qui étaient restés proche d’elle malgré son handicap, qui en éloignait plus d’un. Avec Hélène Perdrière, nous allions la chercher chez elle pour déjeuner, un déjeuner qui durait des heures. Vous vous doutez que je lui faisais raconter toutes les pièces qu’elle avait jouées avec Guitry, d’autant qu’elle était très loquace et qu’elle avait gardé une grande mémoire.

Et ses récits étaient toujours pleins d’humour car elle avait toujours un mot d’esprit inattendu. C’était un peu comme si j’avais fait revenir Sarah Bernhardt de son nuage ! Je lui ai demandé un jour si elle accepterait de venir assister à un de mes cours pour y dire quelques mots afin que les élèves voient qui était cette grande dame. Et elle venue. Nous lui avions préparé quelques surprises, comme une scène de Garance et Baptiste, et elle était très contente de nous parler de Carné, (un assistant, disait-elle, qui dirigeait bien les figurants), mais surtout de Prévert. Et, c’est ce jour-là, qu’elle a eu ce mot fameux, qui a fait fleurette depuis, en réponse à un élève qui lui a demandé si elle avait un mot à leur dire. Elle s’est retournée et a répondu "De la tenue !".

Et cela visait tant la tenue physique que morale. Avec elle, on apprenait des tas de choses sur la vie de son époque, sur les hommes politiques, sur la sexualité de Guitry qui lui a proposé un jour d’être sa femme. Elle lui avait répondu qu’elle était d’accord à condition que leur union soit bénie par le Pape, ce qui était une façon élégante de signifier qu’elle préférait qu’ils restent bons amis. Et puis, il y a son parcours en tant qu’artiste. Car elle avait débuté comme mannequin, du fait de sa silhouette fantastique, un peu à la Jeanmaire avec ces jambes qui lui remontaient dans la gorge, puis comme "petite femme" dans des revues de music hall et elle s’est très vite fait remarquer. Puis, il y a eu "Les enfants du paradis" dans lequel elle est bouleversante.

C’était plus qu’une immense comédienne. Elle fait partie de ces gens, un peu comme Luchini maintenant, que j’appelle des événements qui étaient créés pour ce métier, dont la carrière était faite pour qu’ils la reconnaissent au gré de leur course. Madeleine Robinson était aussi une immense comédienne mais Arletty faisait des choses, avec sans doute moins de science quelques fois, que la première n’aurait pas pu faire. Naturellement Arletty avait ce génie. C’était notamment un exemple pour la fameuse note unique qu’elle appliquait instinctivement. Voilà pour Arletty.

Agnès et le petit chat

Lors de la première Master classe Arc en ciel, des élèves ont donné la scène du petit chat de "L’école des femmes" que vous leur avez fait travailler de manière détaillée sur scène et j’ai personnellement été époustouflée quand vous jouiez Agnès, qui n’est pas votre emploi, car on avait effectivement Agnès devant nos yeux. Pourriez-vous être Agnès et sur scène ?

Jean-Laurent Cochet : C’est effectivement la scène que le public a préférée. Certains préfèrent quand cela fait plus "spectacle" ce à quoi je leur répond qu’il ne faut pas oublier que ces Master Classes ne sont pas des spectacles, mais de véritables cours (certes publics, comme leur nom l‘indique, même s’ils sont devenus les Master Class, parce que les gens pensaient que c’était le public qui travaillait), pour permettre au public de voir comment on travaille. Cela permet de lui faire prendre conscience que jouer la comédie implique de penser à pleins d’éléments autres que simplement le texte, comme la situation, le personnage, l’écriture, le mouvement, la technique.

Pour le personnage d’Agnès, oui bien sûr. Et c’est ce que je fais dans mes lectures à une voix, que j’ai créées et que je suis le seul à faire, pendant lesquelles je raconte la pièce au gré de ce que dit chacun des personnages, sans pour cela imiter, par exemple, la jeune fille. C’est uniquement la pensée qui traduit un sentiment. Empiriquement, on peut tout jouer, et ce que vous me dites me touche beaucoup car un comédien, c’est quelqu’un qui peut tout jouer.

Mais sur scène on est limité par le physique et par l’âge. La seule chose qui ne doit pas constituer une limite c’est la voix. Dans le timbre, un peu comme les chanteurs, on doit avoir 1 ou 2 octaves. Sinon, comme ce fut le cas de Madeleine Renaud, c’est très difficile car, quel que soit le rôle, elle était une ingénue de par sa voix. Certes, on aimait mieux voir Madeleine Renaud que Muriel Mayette… Et j’ai d’ailleurs fait une lecture à une voix de "L’école des femmes".

Donc la réponse à votre question est "Oui" pour le rôle mais pas pour la représentation au sens premier du terme. Et c’est aussi ce que doit être capable de faire un enseignant, non pas pour montrer mais pour suggérer. Ce qu’il faut sur scène c’est que la jeune fille représente le personnage. Et alors, comme dit Molière dans "L’impromptu de Versailles", et ce sera une belle réplique de fin : "N’oubliez pas que vous êtes ce que vous représentez".

 

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En savoir plus :

Le site officiel de Jean-Laurent Cochet

Crédits photos : Thomy Keat (Plus de photos sur Taste of Indie)


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# 24 mars 2024 : Enfin le printemps !

Le printemps, les giboulées de mars, les balades au soleil ... la vie presque parfaite s'il n'y avait pas tant de méchants qui font la guerre. Pour se détendre, cultivons nous !. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.

Du côté de la musique:

"Dans ta direction" de Camille Benatre
"Elevator angels" de CocoRosie
"Belluaires" de Ecr.Linf
"Queenside Castle" de Iamverydumb
"Five to the floor" de Jean Marc Millière / Sonic Winter
"Invincible shield" de Judas Priest
"All is dust" de Karkara
"Jeu" de Louise Jallu
"Berg, Brahms, Schumann, Poulenc" de Michel Portal & Michel Dalberto
quelques clips avec Bad Juice, Watertank, Intrusive Thoughts, The Darts, Mélys

et toujours :
"Almost dead" de Chester Remington
"Nairi" de Claude Tchamitchian Trio
"Dragging bodies to the fall" de Junon
"Atmosphérique" de Les Diggers
quelques clips avec Nicolas Jules, Ravage Club, Nouriture, Les Tambours du Bronx, Heeka
"Motan" de Tangomotan
"Sekoya" de Tara
"Rita Graham partie 3, Notoriété", 24eme épisode de notre podcast Le Morceau Caché

Au théâtre

les nouveautés :

"Gosse de riche" au Théâtre Athénée Louis Jouvet
"L'abolition des privilèges" au Théâtre 13
"Lisbeth's" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses
"Music hall Colette" au Théâtre Tristan Bernard
"Pauline & Carton" au Théâtre La Scala
"Rebota rebota y en tu cara explota" au Théâtre de la Bastille

"Une vie" au Théâtre Le Guichet Montparnasse
"Le papier peint jaune" au Théâtre de La Reine Blanche

et toujours :
"Lichen" au Théâtre de Belleville
"Cavalières" au Théâtre de la Colline
"Painkiller" au Théâtre de la Colline
"Les bonnes" au théâtre 14

Du cinéma avec :

"L'innondation" de Igor Miniaev
"Laissez-moi" de Maxime Rappaz
"Le jeu de la Reine" de Karim Ainouz

"El Bola" de Achero Manas qui ressort en salle

"Blue giant" de Yuzuru Tachikawa
"Alice (1988)" de Jan Svankmajer
et toujours :
 "Universal Theory" de Timm Kroger
"Elaha" de Milena Aboyan

Lecture avec :

"Au nord de la frontière" de R.J. Ellory
"Anna 0" de Matthew Blake
"La sainte paix" de André Marois
"Récifs" de Romesh Gunesekera

et toujours :
"L'été d'avant" de Lisa Gardner
"Mirror bay" de Catriona Ward
"Le masque de Dimitrios" de Eric Ambler
"La vie précieuse" de Yrsa Daley-Ward
"Le bureau des prémonitions" de Sam Knight
"Histoire politique de l'antisémitsme en France" Sous la direction d'Alexandre Bande, Pierre-Jerome Biscarat et Rudy Reichstadt
"Disparue à cette adresse" de Linwood Barclay
"Metropolis" de Ben Wilson

Et toute la semaine des émissions en direct et en replay sur notre chaine TWITCH

Bonne lecture, bonne culture, et à la semaine prochaine.

           
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