Comédies d'Anton Tchekhov, mise en scène de Christian Huitorel, avec Mathias Casartelli, Valérie Da Mota, Michael Hallouin (ou Benjamin Kauffmann), Christian Huitorel et Nathalie Veneau.
Sous le titre "L'ours", la compagnie Appellation Théâtre Contrôlée propose trois pièces en un acte de Tchekhov qui sont souvent montées car ces "plaisanteries" en un acte, comme les surnommait lui-même leur auteur, de la tragédie à la comédie, du burlesque à la farce, laissent, en terme de registre, une grande latitude au metteur en scène et aux comédiens.
A partir d'intrigues différentes, toujours simplissimes mais terriblement efficaces, "La demande en mariage", "Tragédien malgré lui" sur les doléances d'un mari chargé de "faire les courses" et "L'ours", sur la récupération d'une créance, traitent des mêmes thématiques.
Ecrites et conçues comme des vaudevilles, avec ce que cela implique en la forme et en la mécanique comique, ces courtes pièces sont par ailleurs des instantanés à la fois graves, caustiques et cocasses des mœurs de la société provinciale russe, qui transposent dans des affrontements à l'échelon individuel, et notamment dans de jubilatoires autopsies du couple, les soubresauts qui agitent de la société russe de la fin du 19ème siècle.
Elles se doublent de savoureuses études de caractères, qui relèvent du pointillisme, dans lesquels, selon une conception organiciste, Tchekhov était médecin, dominent les humeurs.
Dans "La demande en mariage", tout irait pour le mieux du monde si les futurs époux n'étaient pas tous deux portés par des tempéraments chicaneurs dont la confrontation explosive, au sujet de la propriété d'un pré ou des qualités d'un chien de chasse, métaphore des relations conjugales minées par les querelles d'amour propre et les questions domestiques, est heureusement épuisée par l'hystérie et l'hypocondrie, maux traditionnellement féminins qui affectent ici le prétendant.
Christian Huitorel a fait le choix de la farce, lui-même en père bouffon, Valérie Da Mota a la vitalité des figures de la commedia dell'arte et Mathias Casartelli réalise une belle prestation loufoque.
Pour "Tragédien malgré lui", face à l'ami peu loquace, Michael Hallouin aux mimiques jubilatoires, Mathias Casartelli est remarquable, sorte de Buster Keaton emporté par la vague tragique de la destinée humaine tributaire des contraintes de la société, les obligations professionnelles et relationnelles, et du mariage, les diktats de l'épouse, qui ne laisse aux faibles de caractère et aux dépressifs d'autre issue que le suicide ou la folie.
"L'ours" relate l'affrontement de tempéraments exaltés qui ont viré dans une ascèse misanthropique réprimant leur sensualité. Nathalie Veneau, parfaite en jeune veuve diaphane au caractère de fer, se pique de prouver à un défunt mari infidèle et cruel la constance des femmes et Michael Hallouin, en robuste colosse aux pieds d'argile, est étourdissant dans le rôle du bouillonnant militaire reconverti en propriétaire foncier misanthrope emporté.
Pour ce triptyque satirique traité selon trois tonalités différentes, farce, burlesque et vaudeville, Christian Huitorel compose une belle soirée théâtrale qui ravira les spectateurs.
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