Comme le disait recemment Jeffrey Lewis dans notre entretien, le monde
indépendant n’a jamais voulu dire si peu de chose qu’actuellement,
ce terme "indépendant" s’appliquant dans les magazines
établis en Angleterre comme en France à tout une scène
dont les ambitions n’ont que peu de rapport avec ce qu’on a pu et
peut encore en attendre.
Pourtant inutile de devenir aigri ou nostalgique du "c’était
mieux avant", aussi étonnant que cela puisse paraître, il
existe une scène indépendante française, qui vaut le détour.
On s’intéresse ici à une frange souterraine et relativement
confidentielle d’un monde indépendant, une scène à
la musique en rupture et qui se cherche : descendante selon qui d’un hardcore
indépendant dont les racines n’ont jamais disparu localement, d’une
scène noise haute en couleur ou encore héritière de la
vague post-rock des années 90 voire d’un rélexe primaire
et éternel à faire des expérimentations en utilisant tout
ce qui nous tombe sous la main.
Quelques structures plus ou moins artisanales permettent de diffuser ces artistes
sans plans de carrière mais pas sans flamme et sans idée, et on
peut même les voir facilement en prenant le métro ou son moyen
de locomotion préféré. Au menu, un mini état des
lieux sans prétention de cette (ces) scène(s) autour de quelques
concerts sur Paris la semaine dernière (autant dire une bonne semaine).
Concert le 23 octobre à Alternation : Chevreuil
Le rendez vous est donné ici dans un squat près de Nation, une
cave transformée pour quelques occasions en lieu de manifestations culturelles
alternatives, niveau roots on n’est pas déçu du déplacement.
Le groupe en support ce soir est Room 204, un duo de post
rock nantais, guitare + batterie, dont le t-shirt Touch & go trahissent
leurs influences : à la fois slint et shellac avec
une touche noise-core à la Don Caballero. Sans fioriture cette
musique immédiate et classique va à l’essentiel et véhicule
une énergie rare qui surprendra ceux qui croient encore que la violence
s’exprime dans le métal (ah les jeunes…). Du déjà
vu mais c’est tout ce qu’on aime (on aimerait bien avoir le t-shirt
du label mythique aussi).
Dans une formation identique (duo gratte tambour) Chevreuil sert
un set radicalement différent et personnel, beaucoup plus libéré
de ses influences. Progressivement Chevreuil a ainsi pu évoluer du math-rock
ciselé de ses débuts vers une prestation beaucoup plus libre.
Du point de vue de la forme, comme pour leur dernière tournée,
le duo choisit d’investir la salle et non la scène, permettant
ainsi au public de l’entourer de tous côtés.
Le guitariste associe en effet à son instrument quatre amplis différents,
qu’il inscrit en cercle autour d’eux. Cet espace rédéfinit
un nouveau cirque romain au centre duquel on retrouve deux gladiateurs prêts
à tout pour satisfaire les attentes du public mais aussi un retournement
du rapport de force usuel entre la scène et le public (du maître
à élève tout ça, mais pas prise de tête).
Les constructions sont donc sévèrement chahutées autour
de lignes qui se croisent et se mélangent projetées sur chacun
des amplis : des riffs mélodiques et répétifs ou des décharges
noise par dessus une batterie sans garde fou.
Comme souvent dans cette scène, les deux garçons ne prennent
pas leur talent au sérieux et se permettent de sortir de l’attitude
de papier glacé du rock établi, et ainsi, par miroir, le "spectacle"
régressif qu’offre visuellement le groupe met surtout en évidence
les ficelles des performances stéréotypées. C’est
en concert que la musique de Chevreuil et sa mise en scène est la plus
percutante mais leurs disques synthétisent bien leurs compositions pas
banales : leur premier disque Sport vient d’être
réédité sur support laser, leur dernier Chateauvallon
vient de sortir dans ce même format numérique ainsi qu’un
split en 10’’ avec Room 204.
Concert le 24 octobre à la Guinguette Pirate : Ulan
Bator
On commence par dire que la Guinguette Pirate est une salle imparable à
Paris parce que l’entrée n'est pas chère et surtout parce
qu’ils peuvent se permettre une programmation régulièrement
bien sentie dans un cadre douillet surtout si on arrive assez tôt pour
être au premier rang (sinon il faut imaginer la scène en regardant
le dos du public).
D’abord une première partie avec l’Enfance Rouge,
rock vaguement expérimental franco-italien, moyennement convaincante
mais qui a le privilège de ne ressembler à rien de défini
en particulier mais à beaucoup de bizarreries en général,
on note qu’on peut télécharger librement leur album Rostok-Namur
sur leur site http://www.enfancerouge.org
pour se faire une idée définitive.
Ensuite Ulan Bator passe aux choses sérieuses. Très
clairement l’évolution est nette par rapport au noise extrême
des débuts, le ton est clairement assagi et la voix atonale prend de
plus en plus de place et nuit un peu à la construction des morceaux.
Il en ressort quelques morceaux de fulgurance comme sur "Santa Lucia"
qui sont ceux qui fonctionnent le mieux au cours du concert, la voix étant
pour des raisons de qualité sonore relative sur la guinguette quasiment
inaudible sinon un masque par dessus les autres instruments.
Le rappel anéantira la déception de la tièdeur du concert
avec un fabuleux "Terrorisme Erotique" et surtout une tuerie
"Ego/Echo", on aurait préféré un concert
qui démarre d’entrée de jeu dans cette ambiance là.
Evidemment il n’aurait pu tenir longtemps dans cet état de tension,
l’auditeur peut être non plus : le pouls s’accélère,
le bassiste perd tout contrôle et crie hors micro dans un martèlement
érratique de son instrument, c’est quand la situation échappe
à quiconque que les chansons prennent leur dimension véritable.
Au final concert un peu tiède en moyenne (brûlant localement)
d’un groupe déjà vieux mais au capital sympathie préservé,
les disques eux (mis à part le dernier pas encore écouté)
sont terribles.
Concert le 28 octobre à l’Echangeur : Berg
Sans Nipple (en support de Do make Say Think)
Quand les groupes parrainés amicalement par les Instants Chavirés
rencontrent un succès suffisant pour voir leur public ne plus tenir dans
le local de la rue Richard Lenoir, les concerts prennent alors place à
l’Echangeur. Même avec ce changement d’espace, le concert
de Do Make Say Think + Berg Sans Nipple indique complet. Dans cette chronique
on s’intérèssera seulement à Berg Sans Nipple et
cela tombe bien car c’était de loin le concert le plus passionnant
de la soirée.
D’abord Berg Sans Nipple c’est un duo : Berg et
Sans Nipple. Sans Nipple avait un vrai nom autrefois et il était aussi
américain et batteur et a officié au sein de Songs :ohia.
Berg lui vient de Purr (ex combo de post rock français bien
sans plus) et touche aux claviers, aux guitares et à un tas de trucs
qui font du bruit et dont il se sert très bien. Là où ca
se corse c’est que ce simple duo arrive à construire des hymnes
hypnotiques d’une densité sonore totalement phénoménale
("Suburban transparence" en est peut être le meilleur
exemple), tout en répétition et en cassure, une variété
sonore enchanteresse (beaucoup d’instruments bricolés ou sortis
de leur contexte) au service d’une fuite en avant mélodique.
Généralement on se garde de donner des étiquettes car
c’est réducteur et simpliste et donc pas trop notre genre ; ici
on le voudrait que ce serait impossible tant les influences et les palettes
du groupes sont éclatées : expérimental avant tout mais
aussi jazz, post rock, noise que concret, voire de l’indie rock tout simplement.
Ils ont sortit un très bon EP Marie-Madeleine, BO d’un
court métrage de Sans Nipple (l’œuvre y gagne à être
débarassée de l’image, pas transcendante) et un album tout
chaud Form of. En concert ils oscillent entre le très
bon et l’exceptionnel comme ce soir là.
A ne pas rater (ils tournent assez régulièrement).
Concert du 1er novembre aux Instants Chavirés : Sun
Plexus fête ses 10 ans
Le concept c’est que Sun Plexus invite des groupes amis afin de lui tenir
compagnie pour souffler ses bougies. De ces groupes on retiendra une surprise
constante d’un projet à l’autre, rien de convenu de l’anarchie
au palace, à un happening régressif costumé, aux déflagrations
en bruits blancs assourdissantes, de courts films expérimentaux intriguants
(notamment derviche machine).
De tous ses projets c’est Mutant Pillow qui sera le
plus convaincant. Pas les plus sérieux pour autant, on peut en effet
les comparer à un mix réussi entre les Moldy Peaches et
Diabologum première époque. Ceci avec une pêche
incroyable et un look improbable sans complexe, à Mulhouse ils n’ont
pas la mer mais ils se ratrappent bien.
Sun Plexus restera au final l’attraction de la soirée
: un trio expérimental sévèrement barré qui rappelle
les premiers disques de Bastärds. Un noise core malmené
par des essais accousmatiques et une attitude désinvolte réjouissante
lucide par rapport à ses ambitions commerciales. Origine de Roumanie
puis de Strasbourg, on ne sait pas bien quelle syntaxe utilise le groupe pour
communiquer des vécus de pathologies primaires mais les élements
piochent dans les cris avortés d’une voix aigrelette, des guitares
attaquées à la lime ou frappées à la baguette, ce
n’est pas de la performance arty, le résultat sonore est saisissant
et entêtant, violent et abrasif.
Le dernier titre d’au moins 315 mega secondes et une structure plus
ambiante sur la projection d’un cercle qui se dessine pendant des plombes,
ce sera le seul moment de masturbation pas tout à fait convaincant tout
le reste propose une ligne musicale extrême et pas prétentieuse,
à côté les Sightings font de la chansonnette.
Une découverte personnelle et une réussite au milieu d’une
soirée sympathique. C’est trop bête vous auriez dû
venir.
Au final il y a des tas de groupes en France qui essaient et réussissent
à proposer une musique pas comme les autres et sans concession. Le tout
est d’oser entrer dans leurs univers car ce n’est pas eux qui feront
la démarche pour vous séduire : tout à gagner et rien à
y perdre. D’ailleurs si vous avez des difficultés à trouver
leurs disques, on pourra traîner sur Paris du côté de Wave,
Festen ou Bimbo Tower ou alors se diriger vers votre mail order préféré,
mais jamais penser tout haut que le rock indé c’était mieux
avant, parce qu’en fait : ben non.
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