Comédie de Shakespeare, mise en scène de Cédric Grimoin, avec Lucien Czarnecki,
Loick Hello, Camille Hugues, Christophe Jean, Xavier Lagarin, Charles Menneron, Michel Pilorgé, Lisa Sans, Frédéric Touitou et Hervé Colombel.
"La mégère apprivoisée" de Shakespeare est cataloguée comme comédie et souvent présentée comme une comédie légère. Tout commence effectivement ainsi.
Pour Baptista qui, comme pour tous les pères de l’époque, aspire à une très égoiste tranquillité, le seul souci est de caser une progéniture femelle au moindre coût.
Hélas, si pour l’une de ses deux filles, jeune et jolie et amplement courtisée, il n’a que l’embarras du choix et la cédera au plus riche en contrepartie d’un douaire, l’autre rebute tout prétendant avec son franc parler et son caractère bien trempé ce qui l’oblige à la doter superbement et à poser son mariage comme condition préalable à celui de la cadette.
Dot qui ne suffit pas à décider les prétendants qui connaissent la réputation de la "mégère" et veulent, autant faire se peut, le beurre et l'argent du beurre. Car si la douce et obéissante Bianca a déjà parfaitement intégré les règles du jeu, sa docilité n’étant compromis de circonstance dont tous peuvent se satisfaire, Catarina, la "mégère" au prénom de Furie, revendique frontalement, et de manière trop ostentatoire, son identité. Il est d’ailleurs intéressant de constater que "Mégère", avant de devenir un terme courant et péjoratif, était le nom d’une des Erinyies instruments de la vengeance de Dieu pour punir les criminels.
Mais voilà que se présente Petruchio, fort en gueule et en virilité tonitruante, qui relève le défi. Et la comédie prend immédiatement une autre tournure. Car Shakespeare ne se complait ni dans la farce, ni dans la frivolité libertine de bon aloi.
Véritable analyste avant l'heure des relations humaines, il décortique ici la relation de soumission-domination dans la sphère privée des relations homme-femme et du désir amoureux. Face à une cohorte de personnages qui errent dans le théâtre de la vie convenue, dès les premières paroles échangées, entre Petruchio et Catarina, deux personnes vivantes, de la vraie vie, tous deux dotés d'un féroce appétit et d'un caractère bien trempé, s'engage un bras de fer d'autant plus implacable qu'il est sous tendu par une fascination réciproque et amoureuse.
Habile, déterminé et dominant, Petruchio utilise la stratégie du leurre et impose à Catarina un conditionnement qui conduit, non pas à un dressage au sens folklorique du terme, mais à une éducation qui établit un rapport de force librement consenti même si le processus peut comporter des épisodes psychologiquement violents.
Consentie pour Catarina car d’une part, cela ne modifie pas son rapport au monde et, d’autre part, parce que ses paroles, sur lesquelles s’achèvent la pièce et qui, si elles sont dites en public, s'adressent également, et directement à Petruchio qu'elle regarde, ne sont pas à entendre comme une défaite ou une faiblesse mais bien comme un affirmation de soi et de l'acceptation d'un rapport de maîtrise, dans lequel on sait bien que le véritable esclave est le maître, accepté.
Et c'est bien dans cet esprit et dans cette dynamique que Cédric Grimoin a monté la pièce en explorant le propos de manière intelligente, réaliste qui n'exclut ni la truculence ni le rire, et contemporaine sans pour autant "revisiter" l'oeuvre de Shakespeare. Prise de risque peut être par rapport aux mises en scène conventionnelles et attendues mais personnelle et réussie.
Il a réuni de surcroît une excellente distribution parmi laquelle Hervé Colombel qui réussit pleinement à incarner la bonhomie intéressée du père "maquignon", Michel Pilorgé qui apporte sa faconde au rôle du prétendant Grémio et Loick Hello en roué valet qui porte bien les habits de son maître.
Christophe Jean donne à Petruchio une dimension éclatante, induisant cette perfide attraction-répulsion que peut éprouver une femme face à une virilité ostensible et ostentatoire et la tentation de s'y confronter et Lisa Sans est tout simplement magnifique en belle irréductible Catarina. Ils donnent une bien belle incarnation à ce couple excessif, monstrueux et passionné, en deux mots terriblement humain. |