Comédie de Stephan Wojtowicz, mise en scène de Panchika Velez avec Didier Brice, Nathalie Cerdà, Maxime Leroux, Aliénor Marcadé-Séchan et Matthieu Rozé.
Stephan Wojtowicz, moliérisé meilleur auteur 2006 avec "La Sainte Catherine", a décidément la plume féconde et inspirée. Avec son nouvel opus, "Les forains", il livre une comédie terriblement drôle, et dans "terriblement" il y a "terrible", qui se situe entre Beckett et Cabu, entre la tragédie existentialiste et la fable naturaliste.
Dans un no man's land en forme de triangle des Bermudes, circonscrit par une voie de chemin de fer, une route et une décharge publique, campe un trio de forains. Pas les forains qui ont la Grande roue des Tuileries mais de pauvres hères dans la mouise dont le camion, comme le courage, est parti en sucette. Dès la première scène, magistralement introduite par Maxime Leroux (magistral en brute virile aux santiags d'argile) et Nathalie Cerda (bouleversante, dans tous les sens du terme) l'auteur annonce la couleur, ou plutôt les couleurs, de cette fresque burlesque qui va entraîner le spectateur en immersion en eaux profondes dans un tissu social et une communication délités.
Elle a 20 mots de vocabulaire et s'inquiète de l'heure, il compte les wagons de marchandises. Aujourd'hui c'est ravioli. Et d'un train qui s'est arrêté sont parachutés deux voyageurs. Le voyage au bout de la nuit peut commencer avec cette jolie métaphore des gens du voyage et du train, l'inéluctable voyage de la vie, et du manège, celui du "trois petits tours et puis s'en va".
Stephan Wojtowicz a le sens des dialogues, de la dérision, de l'insondable et universelle désespérance humaine qui touche autant le débile léger (Didier Brice hallucinant Nono noeudnoeud) que le petit cadre bien propre sur lui (Matthieu Rozé plus vrai que nature) ou la trentenaire branchée en "recherche de sa vérité" (Aliénor Marcadé-Séchan délicieuse et attendrissante gourdasse illuminée).
Entre hyper réalisme et surréalisme poétique, jamais misérabiliste ni cruel, politiquement incorrect mais diablement percutant, ce petit chef d'œuvre humaniste évoque, mine de rien, même parfois au détour d'une simple réplique, nombre de problèmes dits "sociétaux" et, aussi et surtout, la dignité humaine et le respect de l'autre.
Théâtre intimiste aussi, puisque est montrée l'évolution intérieure de chacun des personnages poussé dans le retranchement de ses certitudes, qui comporte de véritables scènes d’anthologie entre absurdité et beaufitude s'inscrivant dans la veine du cinéma belge, des frères Dardenne à Benoit Mariage, et du magazine documentaire, d'origine belge lui aussi, "Strip Tease".
Cela étant, à chacun sa manière de déguster ce mille feuilles qui comporte plusieurs niveaux de lecture et de divertissement.
Egalement acteur, il a écrit une bien belle partition pour les comédiens, des comédiens réunis ici en un quintet épatant, irrésistible de drôlerie et de sensibilité, que Panchika Velez, son compagnon de route professionnelle, a orchestré avec doigté et mesure. Basée sur le jeu d'une très grande expressivité corporelle de chaque comédien qui porte son personnage avec une belle humanité, tous sont épatants et dans la note juste et harmonique, sa mise en scène ne cède jamais ni à la facilité ni à l'excès.
D'où une très belle réussite. |