Comédie dramatique de de Jean-Paul Sartre, mise en scène de Jean-Paultribout avec Catherine Chevallier, Henri Courseaux, Emmanuel Dechartre, Jacques Fontanel, Marie-Christine Letort, Laurent Richard, Xavier Simonin, Jean-Paul Tribout et Eric Verdin.
Ah la belle surprise, pour ceux qui ne la connaissait pas, faute d'être peu montée, que cette unique incursion dans la comédie commise par le pape de l'existentialisme Jean-Paul Sartre !
N’hésitant pas à tremper sa légendaire plume philosophique dans la veine du pastiche, Jean-Paul Sartre entreprend dans "Nekrassov" de dénoncer la manipulation de l’opinion orchestrée par le pouvoir politique lui-même largement téléguidé par les lobbys économiques, à travers le quatrième pouvoir qu’est la presse, notamment quand elle y est inféodée. Une thématique toujours d'actualité.
Dans les années 50, en pleine période guerre froide, le Napoléon de l’information, un directeur de journal objectif d’information puisque journal gouvernemental comme il se plaît à le clamer, sommé par le conseil d’administration de réactiver de manière virulente la page spéciale du quotidien consacré à l’anticommunisme, est sauvé par l’arrivée inespérée d’un escroc qui, endossant l’identité d’un vrai transfuge russe, va dénoncer en direct les travers du régime soviétique
Hauts fonctionnaires, politiques et journaleux sont épinglés sans pitié dans cette fresque rocambolesque qui prend des allures de bande dessinée truffée de mots d'auteur, comme la fameuse antienne "Il ne faut pas désespérer Billancourt" et de syllogismes. La pièce, plaisante et cocasse, est mise en valeur par une mise en scène pertinente, une distribution harmonieuse et une interprétation de qualité.
Jean-Paul Tribout a "reboutiqué" le texte pour resserrer l’action théâtrale et focaliser sur son registre vaudevillesque et a privilégié une mise en scène très ludique, anti-naturaliste, à la manière de la littérature populaire qui paraissait sous forme de feuilletons dans les quotidiens du début du siècle passé. Ce parti pris est parfaitement judicieux dans la mesure où le théâtre de Sartre n’est pas un théâtre psychologique. Les personnages sont archétypaux et souvent caricaturaux même si en grattant un peu apparaissent des bribes différenciées.
Cette comédie vibrionnante est portée par l'énergie et le talent de comédiens remarquables dont la plupart jouent plusieurs personnages avec brio. Citons Catherine Chevallier aussi drôle en secrétaire vamp platinée qu'en députée mère de famille nombreuse ou les métamorphoses faciales de Jacques Fontanel. Aux côtés du patron tyrannique, campé avec truculence par Jean-Paul Tribout, Henri Courseaux est parfait de loufoquerie en vieux briscard désenchanté et Emmanuel Dechartre idéalen président dictatorial.
Et puis, il y a Eric Verdin, magistral dans le rôle de l’escroc à la silhouette élégante et ondoyante qui séduit son interlocuteur et vampirise sa victime. Avatar désinvolte et un tantinet cynique de l'auteur, il prône l'utilisation pragmatique et "existentielle" d'un système corrompu basé sur l'hypocrisie et le mensonge qui fait de la vie une scène de théâtre.
Alors amusons nous !
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