Texte de Thomas Bernhard, mis en scène par Bernard Lévy avec Serge Merlin.
Dans "Le neveu de Wittgenstein", memento mori à l’ami disparu sur la tombe duquel il n’a pu se résoudre à aller, Thomas Bernhard évoque ce qui fut sans doute plus qu’une amitié avec Paul Wittgenstein, une amitié entre le fou et le phtysique qui se retrouvèrent dans deux blocs voisins du même hopital, doublement isolés du monde.
Car ce grand bourgeois mondain et brillant, cet unique, ce double, fut "le seul homme avec qui j’ai pu avoir une conversation qui me convienne, trouver un sujet commun, peu importe lequel, et même le plus ardu, et le développer librement".
Dans ce soliloque, sur fond de fresque impitoyable et cocasse de la société viennoise, planent les ombres des déchus, des damnés, de ceux don til disait "toutes ces têtes folles et philosophiques ont fini par éclater : parce qu'elles ne pouvaient pas jeter assez vite par la fenêtre tous les trésors de leur esprit."
Et loin du vœu utopique de la symbiose avec le monde, voire de sa réformation, Thomas Bernhard, homme malade de son pays qui a enfanté des génies et des monstres, n’en finit pas de prôner l’opposition permanente
Dans la mise en scène épurée et humaniste de Bernard Lévy, Serge Merlin, bouleversant, immense et prodigieux comédien, incarne et transcende avec une intelligence, une puissance et une émotion rares la langue hachée, ressassée, triturée, obsessionnelle de Thomas Bernhard, le verbe exhalé dans un souffle rauque ou éructé en imprécations fulgurantes, traquant la pensée dans les moindres circonvolutions cérébrales, entre la violence rageuse et désespérée du désespoir et l’inextinguible soif de vivre.
Le cri d’un homme qui résonne dans les ténèbres, de la douleur au rire.
Que dire des applaudissements ? Vibrants, denses, profonds. Un hommage. Serge Merlin revient saluer à plusieurs reprises. Emu. Il fera signe à Bernard Levy pour qu’il le rejoigne. Ce dernier salue et s’éclipse très vite. Serge Merlin quitte la scène et revient une fois encore. Il remercie en joignant les mains comme une prière. Le public a compris. Le silence. |