Le Petit Palais détenteur de la plus belle collection d'oeuvres du sculpteur français Jean Carriès propose sous le commissariat d'Amélie Simier et Dominique Morel, conservateurs au Petit Palais, une exposition exceptionnelle.
En effet, "Jean Carriès- La matière de l'étrange" propose au visiteur un voyage fascinant dans l'imaginaire d'un sculpteur autodidacte fasciné par la matière et l'humanité.
Placée sous le signe de la grâce et de la rigueur dans une magnifique scénographie de Philippe Maffre, dont la conception et le graphisme traduisent une approche intelligente et sensible des oeuvres, cette exposition permet de découvrir un artiste relativement méconnu du grand public.
Une quête inassouvie et inachevée
D'origine modeste, orphelin pris en charge par une religieuse,
sculpteur autodidacte qui fait ses classes à l'ombre de la cathédrale Saint Jean de Lyon auprès d'un fabricant d'objets de piété, ses sources et références puisent dans l'art gothique flamboyant, l'ornementalisme du 15ème siècle et l'art religieux .
De là vient sans doute aussi sa prédilection pour la cire, rarement utilisée par les sculpteurs, remarquables pour leurs capacités d'imitation du réel.
Carriès a besoin de sentir l'illusion de la vie qu'il modèle de ses mains, cette illusion qui imprime au spectateur le même trouble que celui ressenti devant des cires anatomiques ou des reliques religieuses.
A cet égard la très belle figure de jeunes enfants dont le bébé dont on ne sait s'il est vivant ou mort tenant contre lui un pantin à la sinistre figure.
Autres spécificités de Carriès, la polychromie, dans une palette de teintes végétales et le "motif" empirique imprimé sur ses œuvres pour leur ôter tout aspect de joliesse édulcorée.
Artiste précoce, il n'a pas 20 ans quand il crée "Les désolés", sculpteur fécond et reconnu, il ne cessera d'expérimenter, jusqu'à sa mort soudaine,
matériaux et techniques avec une prédilection pour le grès et les émaux mats.
Un singulier art syncrétique
Du réalisme au fantastique, du gothique au japonisme, en passant par le symbolisme, les œuvres de Jean Carriès procèdent d'un syncrétisme artistique qui concerne davantage la technique que le sujet.
Il se démarque ainsi de ses confrères tout en s'inscrivant dans le mouvements artistiques de son siècle tel le naturalisme social avec le thème des têtes d'expression, thème traité à l'Ecole des Beaux Arts de Paris où il fût élève.
Un thème de prédilection : la figure humaine
A côté de la collection de pots en grès, aux lignes épurées d'une édifiante modernité, et d'un bestiaire de chimères aquatiques posées sur un socle nénuphar son thème de prédilection reste la figure humaine.
Une figure humaine qui va être au fil du temps défigurée, réifiée, déformée, monstrueuse ou mutante, comme celle du "grenouillard", régression de l'évolution ou adaptation mimétique au milieu - on pense à Golum du "Seigneur des Anneaux" de Tolkien.
Dès ses premières œuvres, cette tendance existe avec le faune aux traits marqués qui pourraient être d'une férocité terrible, et qui fait penser au Nosferatu émacié de Murnau, est rempli d'une grande humanité.
La plupart de ces portraits émanent d'un artiste que l'on se plaît à croire proche de l'âme humaine et empli d'une compassion miséricordieuse, christique peut être. Ne va-t-il pas jusqu'à s'auto portraiturer en messie souffrant ?
Même expression pour ses masques grimaçants, les animaux fantastiques comme la grenouille aux oreilles de lapin, et ses grotesques destinés à orner "La porte de Parsifal" paraissent plus inoffensifs que redoutables.
Dernière œuvre, restée inachevée, entreprise à la suite de la commande d'une fervente wagnérienne, elle devait constituer l'aboutissement de ses expérimentations sur le grès émaillé.
Par ailleurs pour illustrer cette épopée médiévale, il laisse libre cours à sa fantaisie naturaliste qui est qualifiée d'hallucinatoire et de cathartique. N'a-t-il dit pas écrit à ce propos : "C'est moi dans le rêve éperdument pris et aux prises avec une réalité douloureuse".
L'exposition se clôt sur ce point d'orgue mettant en résonance janusienne une représentation classique de la belle Winaretta Singer, qui avait commandé la porte, face à au masque tragique d'une divinité aux yeux blancs et à la peau scarifiée de rides profondes dont la langue embrasse un serpent enroulé autour de son cou. |