Comédie dramatique d'Eric-Emmanuel Schmitt, mise en scène de Régis Santon, avec Bernard Malaka, Marie-France Santon, Anne Jacquemin, Sacha Stativkine, Camille Cottin, Vanessa Kryceve, Regis Santon, Stephanie Lanier, Caroline Alaoui et Melaine.
Un dallage noir-gris-blanc en échiquier, de hauts lambris austères avec des portes en trompe l’oeil qui s’ouvrent sur un vide lumineux, quelques sièges. Telle est l’antichambre du tribunal improvisé qui doit statuer sur le passé du plus célèbre séducteur, Don Juan, mythique multirécidiviste d’un crime unique, qui doit se voir appliquer la loi du talion en étant condamné à la fidélité conjugale. "La nuit de Valognes" peut commencer.
Mais cette oeuvre de jeunesse d’Eric-Emmanuel Schmitt, foisonnante et exaltée, ne revisite pas le mythe de don Juan, elle l’éclaire sur fond de cérémonie secrète et onirique dans un siècle décadent et iconoclaste confit de symbolisme et de mysticisme.
Bernard Malaka, Don Juan magnifique, voix à faire chavirer, allure féline de celui qui doit rester fidèle à sa réputation malgré le poids des ans et sa propre révélation de l’amour humain, brûle ses dernières cartouches pour la gloire. Autour de lui, cinq femmes en camaieu de tenues claires fin du 19ème, de ce blanc à peine paillé, cette couleur douce qui enveloppe le corps et nimbe le visage d’une lumière irréelle.
Cinq femmes différentes, diffractions de la Femme, une femme unique à la personnalité forte et abondante, qui oeuvre aussi bien dans le sentiment littéraire, Stéphanie Lannier, charmante amoureuse sentimentale, auteur de romans à l’eau de rose, le plaisir des sens, Anne Jacquemin, piquante comtesse libertine, l’amour maternel, Marie-France Santon, belle figure de la femme génitrice, le mariage, Caroline Alaoui, jolie image de l’amour conjugal, la religiosité, Camille Cottin, irrésistible nonne saisie par l’hérésie, et l’amour, Vanessa Kryceve, troublante l’amante amoureuse de l’amour, qui s’interrogent sur une allégorie de la séduction et de l’amour qui n’est peut être pas une réalité mais un fantasme.
Car Don Juan, celui qui est devenu son propre portrait, n’est pas ou plus de ce monde. Et ce fantasme féminin pour défier autant l’ordre moral que l’autorité divine.
Eric-Emmanuel Schmitt a la plume féconde et le sens de la formule ; les dialogues sont brillants et souvent percutants, et sa réflexion argumentative sur l’amour comme dieu ultime, sur l’exaltation de la jeunesse et le rejet de la foi "religieuse" à la manière de Montherlant est d’une grande pertinence.
La mise en scène de Régis Santon, dans une conception et une scénographie conçues conjointement avec Marie-France Santon, est une parfaite réussite en ce qu’elle installe dès les premières minutes les jalons d’un univers romantique et une atmosphère onirique d’une belle esthétique qui sied au propos dans lesquels les comédiens chevronnés donnent une prestation remarquable de qualité. |