"Féériques visions" est la première exposition temporaire organisée au Musée Gustave Moreau.
A l'occasion du centenaire de la mort de Joris-Karl Huysmans, écrivain et critique d'art qui célébra l'oeuvre de Gustave Moreau, Marie-Cécile Forest, conservateur en chef du patrimoine et directrice du Musée Gustave Moreau, et André Guyaux, professeur de littérature française à la Sorbonne, ont choisi de mettre en résonance les oeuvres du peintre et de l'écrivain qui partageaient une esthétique commune.
Cette exposition, de taille réduite, est insérée au sein de l'accrochage permanent dans une scénographie de Hubert Le Gall sur cimaises d'un violet sombre et dense qui sied particulièrement à la puissante palette orphique de Moreau, du "vert paon" au "violet des jets de gaz", en passant par le "bleu des flammes d’alcool" et le "jaune aurore” * .
Gustave Moreau et J-K Huysmans ne se sont rencontrés qu’une fois au sein même de ce musée qui fut la résidence du peintre. Un lieu totalement envoûtant dont les murs des ateliers sont recouverts de toiles décrites par Huysmans comme "les féériques visions, les sanglantes apothéoses des autres âges".
Du symbolisme
Huysmans, esthète décadent, écrivain mystique épris d'ésotérisme ne pouvait qu'être fasciné par la personnalité et la peinture de Gustave Moreau, peintre symboliste dont l'oeuvre ne laissait pas indifférent ses contemporains les divisant en deux camps irréductibles, les détracteurs et les fanatiques.
Les détracteurs, les tenants de la peinture réaliste, naturaliste ou impressionniste. Pour Renoir, Moreau est "le peintre qui n’a jamais seulement su dessiner un pied", pour Octave Mirbeau "le peintre des formules asservies… qui accouche de petites académies conventionnelles, léchées et mortes" et pour le frères Goncourt "le peintre à la palette de lapidaire" qui fait " de l'archéologie dans un bol de punch".
Parmi les admirateurs dithyrambiques, outre Huysmans, Marcel Proust qui écrit à la mort de Moreau, qu'il considère comme un poète pictural qui pratiquait la peinture de l'âme, "celui qui par moments était Dieu et vivait pour tous n'est plus que Dieu, n'existe plus pour soi mais pour les autres".
Il en fait le modèle d'Elstir, le peintre de "A la recherche du temps perdu" comme Huysmans pour le héros de "A rebours" son roman culte, dont le manuscrit est présenté dans cette exposition, et tous deux en parlent expressément dans leurs écrits.
Ce qui, pour le moins, milite en faveur de la découverte de son oeuvre qui substitue au réel l'approche onirique pour explorer l'imaginaire, l'artiste devant chercher ses visions à l'intérieur de lui.
"Peintre unique sans ascendant véritable, sans descendant possible" *
Peintre figure de proue du symbolisme, il reconnaît ses maitres : les maîtres de la Renaissance, le préraphaélisme anglais, le romantisme allemand, pour "l'évocation de la pensée par la ligne, l’arabesque et les moyens classiques, voilà mon but" **.
Sans descendant mais le professeur de Matisse fut le précurseur tant du fauvisme, du surréalisme que de l'art nouveau.
Peintre de la Grande Déesse-mère
"La femme, dans son essence première, l’être inconscient, folle de l'inconnu, du mystère, éprise du mal, sous la forme de séduction perverse et diabolique" **, voilà la thématique privilégiée de Moreau.
La sirène, aux charmes meurtriers, Galatée, symbole de la beauté inaccessible, Hélène de Troie, icône tragique du destin, Salomé, la femme castratrice, sont autant d'avatars de la divinité féminine des temps anciens, désirable et dangereuse, qui hantent l'imaginaire de Moreau.
Une divinité maléfique qui ensorcelle et qui tue, n'épargnant que le poète androgyne.
L'exposition fait la part belle aux peintures de Gustave Moreau qu'il convient de découvrir ou de redécouvrir à la lumière des écrits d'Huysmans. |