Le disque de Jacques Higelin En plein Bataclan est là posé sur la table et je le regarde avec curiosité. Sur la pochette, il est affalé, seul, sur le clavier : dépouille fumante ? Tromperait-on son monde ? Higelin est, au contraire, plus vivant que jamais et ses concerts sont des grandes cérémonies festives et conviviales, et on nous sortirait un disque en noir et blanc !… Tromperie … Méfions nous des flacons.
Quoi ? L’a-t-on mis en boite ? Comme si on pouvait mettre Paris en bouteille… Là dans ce petit format aux arêtes régulières il y aurait enfermées la furie et la joie d’un concert d’Higelin !
Dur à croire ! Mais on ne sait jamais : dans certaines des lampes les plus anodines se cachent parfois des bons génies. Va-t-on retrouver les apartés, les histoires, les dérisions de Jacques ? Y aura-t-il, enfin, la vie, tressautante, facétieuse et l’émotion d’un artiste qui joue avec tous, planté au milieu de ses musiciens et au milieu des gens qui ne se lassent pas de l’aimer : de suivre ses joies, ses petits évènements familiaux ou encore sa détresse, face à face , sans le marchandage des tabloïds. Autres sphères, autres galaxies.
Son tour de chant s’inscrit dans le sillage de la sortie de son dernier album Amor Doloroso où Jacques Higelin se livrait à une écriture plus sensuelle que jamais. Mais laissons !
Place au concert et guettons le génie qui va sortir de la boite. Dès les premières notes, on est pris dans la tornade, rythmes effrénés du désir ravageur : "Je veux cette fille". On oublie le temps, c’est le meilleur d’Higelin qui jaillit. Tombés du ciel ou captifs du vertige les musiciens (on apprécie les mélanges des générations et l’enthousiasme partagé), se plient, ondulent se déchaînent en une osmose idéale. C’est un véritable hold up à toute vitesse, rock et jazzy avec un chanteur qui a l’urgence dans le sang.
Les titres d’Amor Doloroso prennent une place toute naturelle et trouvent un relief nouveau et païen. Tourbillons de mots, de rimes élégantes comme dans "Ice Dream", jeu de mots, jeu de langue. Qui dit encore que le français n’est pas une langue rock. Higelin, comme Brigitte Fontaine, ont compris que la langue était l’espace subversif par excellence, l’espace du désir et de l’excès.
Ne pas renoncer à ses délires et résister à toute forme de normalisation. Même s’il faut bien sortir des disques… image, dépigmentée, "dépimentée", réduite à une petite heure. Le montage élague les digressions et tait les coups d’oeil aux percussionnistes, les gestes gracieux de la main ou de la tête, soit le langage du corps. Allons ! Il reste à les imaginer, ces fous furieux !
Le génie ne retrouve sa pleine dimension qu’à l’air libre, alors la lampe devient promesse et attise l’envie de voir et revoir Higelin sur scène, toujours neuf et éblouissant. |