On peut décomposer un concert de John Cale en sept
phases dinstinctes :
Première phase : A peine arrivé dans la salle quelque chose cloche.
On note facilement qu’on n’est pas aux Transmusicales de Rennes
vue la raréfaction des têtes d’iroquois teints en bleu au
profit des casques d’argent et autres tignasses grisonnantes. La moyenne
d’âge de l’Elysée Montmartre en prend en effet pour
son grade. L’attente du début du concert se fait donc sans première
partie mais avec la sérénité de celui qui ne craint pas
d’être trop chahuté dans le pogo. Ceci dit on a souvenir
d’une concert de New Order où les trentenaires restaient des gros
bras mais cette fois-ci on peut dire sans jeunisme déplacé qu’on
reste assez rassurré de ce côté.
Deuxième phase : John Cale s’installe sur la scène. Au
delà de sa présence un peu irréelle, dandy comme jamais,
c’est sa voix qui sidère, sa tessiture et son aura donne corps
et incarne les premières chansons sans même besoin de guitare (le
gallois a en effet réussi à casser une corde dès le premier
accord). Celui ci a l’air assez mal à l’aise et apparemment
victime de difficultés techniques, ce qui constraste avec l’assurance
de sa voix qui contrôle le concert tout en le troublant.
Troisième phase : John Cale prend en main son violon et entame les arrangements
malsains et lancinants de "Venus in Furs". Il n’est
pas question de comparer la perversité des intonations de Lou Reed
au stoicisme de Cale, évidemment que la reprise est à des
années lumières de l’original mais on est hypnotisé
par ce mouvement de poignet de Cale qui donne vie à cette bizarrerie
sonore traumatique qui rythme la chanson et qui prend sous nos yeux une réalité
matérielle.
Quatrième phase : Par déclic le masque tombe comme on voit le
spectre du Velvet s’évanouir autour du pantalon en cuir de Cale,
on est en train de se demander si on a bien fait d’être là
: il est vrai qu’on croit peu à ces vieux de la vieille qui continuent
des années après leur pinacle à essayer de rester sur scène
et faire le boulot : Love, Macca, Dylan, New
Order, les Pixies… heu non les Pixies c’est pas pareil
ça ne compte pas... Quoiqu’il en soit les raisons de se passionner
pour John Cale en 2003 parraissent à ce moment là assez douteuses.
La machine tourne un peu à vide et en pilotage automatique, les morceaux
et les arrangements ennuient un peu à vrai dire, on en vient à
se demander si ce n’est pas David Byrne qui est devant nous.
Cinquième phase : Quelque chose est en train de se passer, on essayait
de se persuader de la misère musicale que déjà des fissures
apparaissent, de bizarreries sonores et des emportements de Cale surgissent
: un cri, un étranglement, des structures de chanson foutues de travers
ou sérieusement atypiques! Les penchants avant-gardistes de Cale retrouvent
leurs réflexes (à la base il est arrivé à NY pour
jouer de la musique expérimentale avant de rencontrer Lou), maltraitent
le format en naviguant dans un mélange de genre intriguant, on est surpris
et happé par ses propositions. Par moment même si le chapeau du
Captain Beefheart n’est pas visible, l’esprit qui l’habite
se promène et rompt le train-train que l’on croyait nous emmener
à la fin de ce concert. Cale a encore quelque chose à proposer
et n’est pas ici que pour le cachet, on se remet à y croire et
à sourire.
Sixième phase : On entre alors dans le rythme de croisière du
concert : mêmes les titres un peu classiques trouvent grâce à
nos yeux, on ne s’ennuie pas, on est bien, sans complexe et sans fantôme.
C’est ici que prendrait place une chronique de concert digne de ce nom.
Septième phase : Fin de concert après un énième
rappel avec notamment "Hallelujah" de Cohen qui
nous confirme que cette chanson glace le sang même deux octaves en dessous
de l’interprétation de Jeff. On s’étonnera, de Paris
à Milan, de ne pas avoir entendu le "Pablo Picasso"
de Richman, Cale étant sans doute encore vexé que Lenoir
ait glorifié deux jours plus tôt la version de Bowie.
Mais au final en restant dans des références de ce siècle,
on n'est pas déçu par les compositions de John Cale et ces interprétations
sur scènes valent largement le détour.
C’est trop bête vous auriez dû venir. |