Tragédie de Corneille, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman, avec Bertrand Suarez-Pazos, Agnès Proust, Marc Siemiatycki, Sophie Daull, Thibault Perrenoud, Pascal Bekkar, Pierre-Stéfan Montagnier et Raphaëlle Bouchard.
Avec "Jouer avec Nicomède", Brigitte Jaques-Wajeman propose d'explorer le "théâtre en Nicomédie".
"Nicomède" est une tragédie politique, la lutte pour le pouvoir est au centre de l'action, dont Corneille écrit : "la tendresse et les passions, qui doivent être l’âme des tragédies, n’ont aucune part en celle-ci : la grandeur du courage y règne seule, et regarde son malheur d’un œil si dédaigneux qu’il n’en serait arracher une plainte".
Ce courage et cette grandeur sont ceux de Nicomède, héros absolu qui résiste à l'impérialisme romain et déjoue les complots internes du royaume de Bithynie en otant un à un les masques des intrigants.
Dans un dispositif scénique circulaire, plateau de plain-pied entouré par les gradins, dans lequel les comédiens pénètrent comme dans une arène, une longue table est dressée qui convie à un festin. Festin de rois, festin de dupes ou table de négociation ? Elle aussi se verra progressivement dépouillée de ses parements.
Brigitte Jaques-Wajeman a opté pour une mise en scène résolument contemporaine qui, sans nuire à la dimension dramatique du texte, pousse dans ses derniers retranchements, jusqu'à la bouffonerie, la comédie du pouvoir. Et s'il en est également ainsi du ton, celui-ci n'affecte pas la scansion du vers.
Sa direction d'acteur donne au spectacle une fluidité, une pertinence et une énergie singulières, relayées par une distribution convaincante composée de comédiens à la hauteur de l'entreprise dont la prestation est époustouflante.
Bertrand Suarez-Pazos campe un Nicomède sarcastique, puissant et charismatique secondé par la magnifique Laodice, Raphaëlle Bouchard, véhémente et lumineuse.
Dans le camp adverse, le roi, Pierre-Stéfan Montagnier, savoureux dans la servilité dégoulinante face au "petit" fonctionnaire romain (Pascal Bekkar) et dans la veulerie libineuse et son second fils, garçon d'honneur cravate en satin et raie sur le côté, Thibault Perrenoud tout à fait pertinent, montrent piètre figure.
La danse est menée par la reine belle-mère, diva somptueuse et star hollywoodienne qui excelle dans l'art consommé de la comédie et tient les rênes du pouvoir par les couilles au sens trivial du terme. Elle est incarnée de manière éblouissante et grandiose dans la démesure par Sophie Daull qui impulse les pôles d'énergie du spectacle.
Un spectacle enthousiasmant, et quasi jubilatoire, une vraie réussite donc, qui, de surcroît, présente d'incontestables mérites thérapeutiques pour les polytraumatisés du verbe cornélien.
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