En première partie on peine à entendre le jeune homme qui répond
au nom de James Orr complex du label Rock Action de Mogwai
(un seul EP sorti à ce jour), d'une part en raison du son catastrophique
(impossible de discerner sa voix! qu'il chante ou qu'il parle) et d'un penchant
très marqué pour une partie du public (apparemment pas uniquement
autour de moi) à faire salon près de vos oreilles. C'est bien
dommage car quelques titres instrumentaux joués étaient vraiment
fabuleux, une densité et une virtuosité mélodique rare
dans un solo. A suivre mais dans d'autres conditions.
Cette petite frustration passée (les occasions de voir des groupes intéressants
en première partie ne sont pas si courants), on patiente calmement pour
voir l'arrivée des terroristes soniques pour certains ou des demi-dieux
du post rock pour d'autres (aucune des deux nominations ne devant faire plaisir
au groupe), au final c'est tout simplement cinq écossais qui déboulent
sans un mot sur scène.
Tout démarre comme un apaisement sur les notes égrenées
du nouveau "Kids will be skeletons", titre assez mélodique
proche de la version live de "Yes! I am a long way from home"
en moins enflammé, entrée en matière lumineuse avec un
son de volume tout à fait raisonnable et bon contrairement à la
première partie.
Sur scène trois gaillards en guitare/basse debout dont Stuart
au centre qui ne cache pas son arrogance innée, derrière Barry
aux claviers et le batteur caché bien au fond. A vrai dire cela faisait
longtemps que l'on attendait de les revoir (novembre 2001!), les retrouvailles
se font donc sur ce titre tout sourire qui est enchaîné sans transition
avec... "Mogwai fear Satan!" Un des titres les plus merveilleux
du groupe, les guitares sortent vraiment de leurs réserves : Barry repasse
à la guitare, offrant ainsi un mur impressionnant sur la scène
de l'Elysée Montmartre, tous concentrés sur les vagues irrésistibles
du début du morceau qui s'emporte dans un rythme effréné
de rouleau compresseur.
Contrairement à leur dernière tournée, la mélodie
à la flûte traversière de l'accalmie du milieu de morceau
est remplacé par un riff de guitare ce qui a le bénéfice
d'offrir une continuité inédite au morceau qui rebondit alors
de plus belle à l'assaut de l'enfer dans un dernier baroud d'honneur
pour clore sous les coups de marteau de la batterie cette grande fresque épique
des débuts de Mogwai (Young Team). En somme dès le deuxième
morceau toute la salle est conquise et surtout abrutie par cette démonstration
fascinante.
Le groupe en profite alors pour placer le très pop "Hunted
by a freak", les notes de guitares se superposent avec les couches
de vocoder chantés par Barry Burns, il suffirait que l'on puisse discerner
des paroles dans ses chants maquillés pour pouvoir prétendre être
une pop-song, mais bon pour être un groupe de rock crédible il
faudrait aussi que Mogwai adopte un jeu de scène plus conventionnel ouvert
vers le public ce qui n'est largement pas le cas... pas du tout rock'n'roll
attitude les Glaswegian. Une ambiance assez psychédélique en fait
sur ce morceau avec un gros son ample et généreux. Mais le fait
qu'il suive "Mogwai fear Satan" contribue à lui donner
une aura malsaine qu'il n'a pas sur disque. Au final on découvre que
ces nouveaux titres fonctionnent très bien en live et qu'ils s'insèrent
parfaitement dans le répertoire du groupe.
On a juste le temps de reprendre son souffle pour se voir infliger un des morceaux
les plus efficaces, violents et viscéraux du groupe : "Xmas
Steps" ! Titre phare du disque Come on Die Young, en concert
il prend une ampleur jouissive hallucinante : les quatre notes très distinctement
authentifiables sont enchaînées très lentement et remplissent
tout l'espace de la salle, les riffs se croisent alors de plus en intimement,
hypnotiques au possible, la sortie de cet état second se fait dans un
traumatisme sur un choc de basse (choc véritable au sens physique "Je
suis emporté par leur vacarme... ils crèvent on dirait cent enclumes
à tour de bras... c'est le tambour de dieu, du tonnerre de dieu"
- Guignol's band II), encore chancelant la guitare part toujours de
l'avant dans une violence communicative qui fait perdre toue contenance intérieure.
Même en connaissant le titre sur disque, il est dur d'imaginer les sommets
de fulgurance qu'atteint alors ce mouvement en concert. A cela se rajoute la
présence du groupe sur scène, le regard dur et méprisant
contemplant du haut de la scène la mesure de leur déchaînement.
Puis Stuart va s'assoir au fond de la salle près de la batterie pour
servir la petite transition de "New path to Helicon - part 2",
là encore sans flûte, petit morceau très calme qui permet
de reprendre ses esprits et de se rattacher à des airs contemplatifs
presque sereins. On est encore, comme depuis le début du concert, dans
le grand écart permanent dans l'enchaînement cyclothymique des
titres et pourtant tout parait naturel.
Puis là encore un nouveau morceau du dernier album (qui sort quelques
jours plus tard, mais une bonne partie de la salle connaît déjà
ces titres, à déplorer ou pas en tous cas c'est le cas) "Stop
coming to my house", un très gros son avec une orchestration
assez complexe qui rappelle beaucoup les prestations de Sigur Ròs,
avant d'être écrasé sans ménagement par un nouveau
mouvement crescendo auquel on ne peut pas résister (on a de toute façon
déjà perdu tout esprit critique vu la qualité du concert
jusqu'alors), un morceau plus électronique mais toujours aussi chaotique,
peut être un peu plus lourd et moins jouissif mais complètement
inédit dans les prestations scéniques du groupe.
Pas le temps de redescendre, la grosse artillerie repart avec rien de moins
que la ligne de basse d'"Ex-cowboy", long morceau hypnotique
(certain diront répétitif) et éthéré qui,
là encore, prend en concert une ampleur majestueuse, c'est immense et
cela ne cesse de grandir, oppressant et fascinant. Stuart se concentre principalement
sur ses pédales d'effet, on n'avait jamais été si proche
depuis le début du concert du bruit, du bruit pur détaché
des soucis de la ligne mélodique et qui efface tout sur son passage avant
de disparaître et de relaisser la mélodie s'exprimer : la lenteur
du passage et son contraste calme par rapport au vacarme précédent
ne l'empêche de prendre tout l'espace. Morceau fabuleux avec des usages
appuyés de délais (pédales d'effet) qui crée des
murs de son élémentaux, on pense aux passages les plus passionnels
de Piano Magic en concert.
Vient ensuite "Killing all the flies", réalisé
assez différemment de la version album, le coup de force sur disque était
de relancer sans cesse le morceau sur des subtilités mélodiques
ou de syncopes dissimulées, ici la progression est plus basique et les
guitares se contentent d'envoyer la sauce par dessus un crescendo de vocodeur.
Cela reste réussi mais en deçà du reste du choix de titres.
Le niveau remonte tout de suite avec le petit joyau du dernier album Rock Action,
à savoir "Two rights make one wrong", parfaite synthèse
multi-instrumentale entre guitares, électroniques et nappe. Mais la prestation
live reste dans la lignée de disque, au lieu de s'allonger comme auparavant
dans un vacarme irrésistible et apocalyptique de fin de concert. La composition
reste là : c'est un titre très beau, serein et volontariste qui
va de l'avant jusqu'à s'y perdre.
Le dernier titre avant le rappel n'est autre que "New path to Helicon
- part 1", grand morceau de bravoure du groupe (sans rapport avec
la part 2), Mogwai y assume alors totalement son ambition bruitiste et sonique
dans un déluge confondant. Personnellement la version de ce soir là
n'était pas du niveau habituel, et c'est bien dommage car c'est un des
morceaux les plus réussis et osés du groupe. Je dis cela uniquement
pour faire la fine bouche (et puis pour donner le change), et il est évident
que quand le groupe fait mine de quitter la salle, le public exulte et ne cache
pas son ardeur.
Ils reviennent donc pour un premier rappel qui commence sur un assez moyen
"I know who you are but what am I ?" du dernier album aux
clusters de piano affectés qui ne mérite pas plus que cela d'être
interprété en live, mais le groupe se rattrape alors avec le seul
titre long du dernier album sur lequel ils peuvent développer une composition
qui prenne de l'ampleur : "Ratts of the Capital".
La progression du morceau est assez proche du disque (avec un gros son tout
de même et cela y fait indéniablement) mais le combat industriel
qui précède l'apparition progressive du dernier riff martial qui
écrase toute vanité et très réussie (et très
forte, les protections auditives se montrant ici d'un intérêt salutaire!).
Le groupe n'a donc pas perdu la main pour cultiver sa marque de fabrique de
terrorisme sonique, un nouveau classique sans aucun doute.
Reprise du petit manège convenu pour quitter la scène, le public
les rappelle de bon cœur pour finir sur une prestation totalement hallucinante
de "You don't know Jesus", extrêmement malsaine et
violente avec un son vraiment fabuleux de précision, de dureté
et d'ampleur étoffée par un habillage bruitiste saisissant! Par
deux fois cette vague irrésistible nous surprend et nous submerge, on
n’attendait pas une telle fausse surprise de leur part. A la différence
des morceaux de Gy!be, Mogwai préfère aller droit à
l'essentiel voire à l'efficacité et ne nous épargne rien,
on est véritablement chahuté, envoyé à dame d'une
émotion à une autre dans un élan dynamique et féroce.
La clôture du concert sur ce titre laisse groggy, en sortant de l'environnement
du morceau on a l'impression d'avoir vécu quelque chose d'extra-ordinaire
(comme disait un officier des colonies). Une très grande claque! Et une
expérience rare.
Une setlist assez parfaite concentrée autour des grandes fresques dans
lesquels le groupe excelle, on note qu'ils jouent la carte des titres assurés
de fonctionner au lieu d'essayer des compositions plus osées comme "Ithica",
ou des titres chantés (le groupe exècre assez cela apparemment)
ou encore la majesté dégénérée de l'hymne
"My Father, My King" sur lequel ils finissaient toujours
leurs concerts précédents (à ce sujet voir
l'interview dans laquelle Barry revient sur ce point).
Le nouveau disque est bien défendu sans être trop privilégié
(environ deux cinquièmes des titres mais beaucoup moins en durée).
Donc oui c'était génial, Mogwai fait partie de ces quelques groupes
pour lesquels on se damnerait pour les (re)croiser en concert. |