Millenium ou l’effet Da Vinci code.
L'effet Dan Brown a encore frappé ! Et l'effet Dan Brown est un effet Kiss Cool dont le succès est garanti.
En effet, premier assaut, un affichage tous azimuts, en l'espèce des judicieuses couvertures noire et rouge, annonces tonitruantes de la trilogie du siècle et buzz médiatique qui a contaminé toutes les couches du lectorat français, et mondial semble-t-il, plus vite qu'une guerre bactériologique. Et de surcroît, circonstances, malheureuses pour l'intéressé, mais terriblement efficaces en termes de promotion, circonstances que même un chargé de communication spécialisé dans l'événementiel complètement amoral n'aurait osé imaginer, l'auteur est mort quelque temps après avoir porté les manuscrits à son éditrice.
Des manuscrits qui étaient les premiers d'une saga projetée dont il affirmait qu'elle lui assurerait ses vieux jours !
Voilà bien de quoi forger un mythe et auréoler son grand œuvre inachevé d'une gloire posthume. On doit bien ça à celui qui s'est tué à la tâche pour écrire ces 1 800 pages format 14,5 x 24, et puis la reconnaissance des lecteurs, et leur tribut pécuniaire, consolera les héritiers de ce talent fauché en pleine maturité. Des héritiers qui ont d'ailleurs su surmonter leur peine pour s'engager dans une bataille judiciaire pour diminuer le nombre de parts à faire dans ce juteux gâteau.
Résultat, tout le monde, enfin les moins circonspects dont je fais hélas partie, même si je décide d'arguer d'une démarche de pure curiosité intellectuelle sur les goûts de mes semblables, achète le roman et même pour certains directement la trilogie vendue en coffret cadeau, avec en bonus l’échange d’e-mails entre Stieg Larsson et son éditrice, pour ne pas rater cette révélation littéraire.
Pour ma part, et pour le moment, je n'ai cédé que pour le premier tome qui m'a dissuadé d'investir dans l'acquisition des deux suivants, ce qui ne signifie pas pour autant que je renonce au masochisme de les lire … si on me les prête ou dans un an quand ils seront enfin disponibles dans ma bibliothèque de quartier. Car il ne faut même pas mourir idiot en renonçant à lire ce que des millions de nos concitoyens planétaires ont lu.
Le second effet Da Vinci code est plus insidieux, totalement inexplicable, du moins, consciemment, par moi à ce jour, réside dans le charme, au sens magique du terme, qui agit dès les premières pages, peut-être même lignes, et qui opère une dichotomie cérébrale : d'un côté, la raison qui constate le peu d'intérêt littéraire, tant en la forme qu'au fond, de l'objet et, de l'autre, une attraction fatale et irrésistible qui incite inéluctablement, inexorablement et compulsivement, le lecteur à tourner les pages et poursuivre, haletant, sa lecture jusqu'au dénouement salvateur de cette inexplicable addiction.
Après ces longs préliminaires qui, même s'ils sont nettement indicatifs, peuvent ne pas être éclairants pour ceux qui n'ont pas été victimisés par Dan Brown, venons au cœur du sujet.
"Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" se classe dans le rayon roman policier et son titre, au demeurant doux euphémisme quand on découvre le sort qu'il leur réserve, oriente, pour ne pas dire dévoile, nettement le lecteur sur la personnalité de l'assassin, tueur en série de surcroît.
Le héros, homme mature menant une vie saine et méticuleux journaliste d'investigation à la Bayard bêtement piégé et injustement condamné pour diffamation, se met au vert en devenant, pour des émoluments plus que confortables gagnés même en cas d'insuccès, qu'il accepte presque à contrecoeur, un enquêteur privé pour le compte d'un riche industriel, pour qui son père avait travaillé, qui lui demande d'élucider la disparition énigmatique d'une petite nièce survenue il y a 40 ans. Enquête qu'il va mener avec une jeune fille sociopathe sous tutelle au physique atypique dotée de deux armes redoutables : le syndrome d'Asperger qui lui donne une mémoire visuelle instantanée et un talent inné pour percer les secrets informatiques.
Cette enquête se déroule sur plus de six cent pages dont la première moitié ressortit à une interminable scène d'exposition, allant, j'exagère à peine, jusqu'à la biographie détaillée de l'arbre dans lequel a été taillé une lame du parquet, à croire que, comme les feuilletonistes du 19ème siècle, l'auteur est rémunéré à la ligne. D'aucuns vous diront que c'est pour mieux camper les personnages et installer l'atmosphère. Soit. Mais l'intérêt est quand même mineur quand on n'a pas la plume de Balzac ou de Proust. Car l'écriture est certes fluide mais totalement factuelle et impersonnelle.
Il faut donc passer ce cap "atmosphérique" pour que dans la deuxième partie, tout aussi descriptivo-disgressive, interviennent quelques brefs épisodes particulièrement violents et horribles avant le dénouement quasiment rocambolesque de l'intrigue initiale, la disparition mystérieuse parasitée par une enquête parallèle mais croisée (sic).
Sur le fond, point d'innovation mais un étonnant syncrétisme prosaïque qui utilise les lignes forces de ses homologues du polar suédois notamment leurs thématiques récurrentes, notamment la démythification du fameux modèle sociétal suédois et un passé historique mal digéré, et les panache avec des archétypes de la littérature enfantine, dont la mère de plume est également une compatriote, pour ce qui est des deux personnages principaux avec, au menu, compromissions politico-économiques, secrets de famille et assassinats de femmes sur fond d'ésotérisme biblique. La classique triade infernale, argent, sexe et pouvoir qui fait toujours marcher le monde. Et les lecteurs. CQFD.
Pour clôre cette bien longue chronique, il faut quand même citer le nom de l'auteur, puisque certains annoncent qu'il s'agit d'"une des oeuvres littéraires majeures de ce début de 21ème siècle, tous genres confondus… qui restera à jamais gravé dans notre mémoire" : il s'agit de Stieg Larsson. Paix à son âme. |