Rhino
a fait encore très fort : ils viennent de sortir d’un coup trois
cds de Television : les rééditions tant attendues
des deux premiers albums : Marquee Moon et Adventure
et la première édition officielle de l’un des meilleurs
pirates du groupe (et il y en a beaucoup…) Live at the Old
Waldorf San Francisco, 6/29/1978. Le tout est enrobé dans
de beaux digipacks avec photos inédites, excellents textes d’intro,
lyrics et outakes.
Television a existé de 1973 à 1978. Le line-up original était
Tom Verlaine (chant et guitare), Richard Lloyd
(guitare), Billy Ficca (batterie) et Richard Hell
(basse et chant). Le magnifique Richard Hell, inventeur du look punk, sera vite
viré par Verlaine qui ne voulait pas partager la vedette et qui souhaitait
un bassiste qui sache jouer… ce sera Fred Smith (rien
à voir avec le guitariste du MC5, mari de Patti Smith).
Richard Hell part former les Voidoids et enregistre l’hymne punk
"I belong to the Blank Generation" (que Television jouait
sur scène).
Tous les NewYorkais de l’époque vous le diront : ce sont eux qui
ont inventé le Punk et dès 1975 ! 77, Londres, Malcom McLaren,
les Pistols : tous ces gens-là avaient vu Television et les
Ramones au CBGB deux ans avant. Le look destroy de Johnny Rotten,
sa coiffure au pétard, tout est piqué à Richard Hell.
Mais même à New York, c’est Television qui invente tout :
ce sont eux qui dénichent le CBGB, bar cradingue de New York et eux qui
convainquent Hilly Kristal, le proprio, d’en faire une salle
rock. Les Ramones, Blondie, les Dead Boys, Wayne
County, Talking Heads (David Byrne : encore un qui, paraît-il,
a bien regardé le jeu de scène de Tom Verlaine avant de commencer
son groupe…) tous s’engouffrent dans la brêche. L’endroit
devient hyper-branché, même les anciens Velvet viennent
s’y montrer. On raconte qu’un soir Verlaine interdit à Lou
Reed d’enregistrer le show de Television. Patti Smith est
de la fête elle aussi. Elle devient un temps la petite amie de Verlaine,
elle l’invite sur son premier single (il joue de la guitare sur la légendaire
face B de "Piss Factory" , la reprise du "Hey Joe"
de Hendrix) et sur son premier album "Horses" (il
signe et joue sur "Break it up"). Patti recommande enfin
son ami le célèbre photographe Robert Mapplethorpe, pour
la pochette de leur premier album, Marquee Moon .
Il y a encore des tas de gens pour vous dire que le monde commence avec Marquee
Moon . Finies les affreuses années 70, les grands groupes des années
60 qui passent des années en studio, les triples albums live de Yes,
Peter Gabriel et ses masques de légumes, l’abonimable
transformation du groupe de blues Fleetwood Mac en combo de variété
qui cartonne, Peter Frampton qui fait chanter sa guitare, Clapton
qui croone… sans parler du disco et de la variété française
(au secours, je fais un flash-back sur "La Maladie d’Amour"
!).
Soudain, tout s’éclaire : "Horses" , le premier
Ramones, Marquee Moon : il se passait enfin quelque chose. En écoutant
Marquee Moon , on peut se demander ce qu’on pouvait bien leur trouver
de "punk" : ils sont tous musiciens accomplis et leur disque ne ressemble
en rien à "Never mind the Bollocks" (et encore moins
à du Green Day…). Tous ces groupes new yorkais de la fin
des années 70 avaient simplement en commun de dire tous "Non merci"
au rock pompeux et au disco qui monopolisaient les charts . (extrait du magnifique
coffret-compil punk de Rhino (encore eux) "No Thanks, the 70’s
Punk Rebellion" ).
Leurs fans appelaient Television « le Grateful Dead Punk »
parce que Verlaine et Lloyd échangeaient des solos qui pouvaient durer
des heures. Mais Verlaine se disait plus inspiré par Coltrane.
Ses solos délirants et imprévisibles doivent aussi beaucoup à
Richard Thompson de Fairport Convention (que TV ne connaisait
pas alors) et au Michael Bloomfield de East-West avec le Butterfield
Blues Band en 1966, là encore, un grand délire qui réinventait
le solo de guitare.
Car Television, c’est un groupe de guitare. Tout comme le Velvet. Dans
un son superbement dépouillé (les aventures de Television avec
leur producteur, racontées dans le livret de Marquee Moon valent leur
pesant de cacahuètes…), les deux guitares se croisent, se répondent
et créent des moments inouis: "Venus" ou "Elevation"
nous promènent dans un monde inconnu où tout peut arriver. Et
où tout arrive : Marquee Moon le titre, prend son temps pour explorer
des nouveaux territoires. La réédition nous offre en prime l’introuvable
et légendaire premier single "Little Johnny Jewel"
qui s’étalait à l’époque sur les deux faces
du 45 ! Très minimaliste sur le single, les versions live (celle de "Blow
Up" par exemple) pouvaient durer jusqu’à 20 minutes et
s’engager dans des voies qu’en effet, seul Coltrane avait oser explorer.
Sortit l’année suivante (1978) Adventure
parut plus (trop) calme aux fans et déçut. Avec le temps, c’est
en fait un album essentiel, pleins de clins d’œil aux Stones
de la belle époque ("Glory" ou "Foxhole"
), de solos de guitare parfaits ("The Fire") et de belles
ballades ("Days").
Quand
au Live at the Old Waldorf San Francisco, 6/29/1978,
il prouve aux fans qui n’auraient jamais vu le groupe en concert que Television
était aussi un incroyable groupe live : l’ouverture du concert
par "the Dream’s Dream" est d’une audace rare.
Le groupe s’est séparé en 1978, s’est reformé
en 92 et a sorti un troisième très bon disque, sobrement intitulé
Television pour splitter à nouveau. Reformé
en 2000, ils tournent maintenant régulièrement et sont toujours
au mieux de leur forme.
Ces rééditions, qui remplacent enfin les mauvais cds sortis à
l’économie dans les années 90, sont l’occasion rêvée
de découvrir ou re-découvrir ce groupe unique. |