Tous les ans pendant quatre jours, Saint-Brieuc donne l’illusion d’être une ville dynamique où il se passe des tas de choses passionnantes. Quatre jours durant, les briochins purs souches (dont je fais partie) se disent que leur ville n’a rien à envier à sa dynamique voisine Rennes.
Je peux vous assurer que le reste de l’année, la ville est méconnaissable : les rues désertes, et toute la jeunesse briochine qui se précipite au "Coyotte", bar de nuit improbable où les gens dansent sérieusement sur Emile & Images. Un des seuls endroits au monde (du moins je l’espère…) où la clameur monte lorsque les premières notes des "Lacs du Connemara" démarrent.
Vous imaginez bien, que ses quatre jours sont une bénédiction.
La soirée du vendredi à l’espace Poulain Corbion reste de loin la plus alléchante du festival et la plus résolument rock. Malgré toute ma bonne volonté (la vitesse limitée à 130 sur les autoroutes françaises, les radars…), je ne pourrais rallier Saint-Brieuc en trois heures. J’arrive donc trop tard pour le concert des Noisettes. Dommage, car l’unique morceau que j’ai pu entendre semblait prometteur.
Rapidement, la place Poulain Corbion prend une allure familière : jean slim "de rigueur", franges pour les filles, mèches rebelles pour les garçons, look de rockeurs/rockeuses étudiés comme on en croise aux concerts des Kooks à la sortie de l’Elysée Montmartre. Non, nous ne sommes pas du côté de République. La jeunesse briochine s’est mise sur son trente et un pour accueillir la sensation rock ado du moment, les BB Brunes. Les filles n’en peuvent plus, on est à deux doigts d’un lancer de soutien gorge comme à la bonne époque d’Europe (remember, "The Final Countdown"). Les BB Brunes jouent un rock honnête mais inoffensif. Ça sent trop le "DIOR HOMME" et l’assouplissant et pas assez la sueur et la douleur. Ça tombe bien, c’est l’heure de l’apéro et du dîner…
De Daniel Darc, je n’aurais vu que la démarche titubante dans une rue sur la route d’un troquet. Mais bon, quand je l’ai croisé au VIP à 19 heures, ça semblait déjà bien parti.
Le retour des Nada Surf quatre ans après un concert mémorable et gratuit sous les halles était très attendu. Matthew Caws et Daniel Lorca (qui arbore de magnifiques dreads à faire chialer un rasta man) assure honnêtement le service après vente de leur nouvel album, sans oublier de gratifier les briochins du classique "Popular" ou de l’efficace single "Always Love".
Je décide ensuite de ne pas assister au concert d’Editors pour me diriger vers le forum de la Passerelle. Je me laisse honteusement tenté par le buzz parisien Poni Hoax. Passé l’humour PMU totalement assumé du batteur, qui assène avant de lancer le concert "ça fait longtemps qu’on attend ça… Je déconne bien sûr", leur rock dansant fichtrement efficace prend rapidement le dessus et la folie du dance floor envahit le public massé au forum. La fatigue aura raison de ma furieuse envie de rester pour le concert de Metronomy. Je vais me coucher…
La journée du samedi commence au petit théâtre dès 17 heures. Malgré le retour du soleil et de la chaleur, il faut s’enfermer dans le cadre magique de ce théâtre italien où les places sont souvent chères (par manque de sièges justement). Les gens sont venus nombreux pour assister à l’un des premiers concerts de la journée, celui des Anglais de Tunng. Leur folk délicat parsemé de nappes électroniques discrètes, de percussions originales, d’arrangements féeriques crées à partir de jouets d’enfants subjuguent le public. On recense bon nombre de mines béates, d’yeux écarquillés par le spectacle offert par les Anglais.
A mon retour à l’espace Poulain Corbion, le concert des Dionysos bat son plein. L’énergie et au rendez-vous et il faut avouer que Matthias et sa clique sont habiles pour se mettre le public dans leur poche. Comme d’habitude, le petit chanteur bondit tel Zébulon, slamme dans le public et se lance dans une escalade périlleuse de la console son.
Je suis un moment tenté de rester pour regarder le concert de Keziah Jones. Je suis au bar avec un local briochin croisé dans la foule. J’ai essayé de décliner gentiment sa tournée, mais le refus de cette coutume locale serait pris comme une marque d’irrespect. Alors que nous sommes en train de casser du sucre sur le dos aux BB Brunes, une fille accoudée au bar me lance un excellent "il en faut pour tous les goûts". Je luis sors : "Ben voyons, à ce rythme-là dans cinq minutes, on défend Obispo". "J’aime bien", me rétorque-t-elle. "Il en faut pour tous les goûts". À ce moment, j’ai tout à coup une soudaine envie de vomir. Je vide mon godet d’un trait, prends congé de mon collègue, et me dirige vers l’espace du forum. J’ai besoin de rock qui sue des burnes. Je suis en manque de bruit.
Lorsque j’arrive, le concert des Two Gallants bat déjà son plein. Sur disque, j’avais trouvé leur musique honnête, mais là, je suis complètement conquis. Sur scène, le duo distille un hybride de folk râpeux comme de la Tequila artisanale et un punk rock efficace. Enfin on tient du rock, du vrai… Les visages dégoulinent de sueur, les riffs tranchants se succèdent. Le batteur débite ses rythmiques lourdes. À l’inter-concert, je profite pour jeter un œil à l’exposition sur le post punk français. Des portraits de la grande époque des Bains, des Stinky Toys, Bijou. On peut aussi croiser au détour de clichés noir et blanc de vieilles gloires locales : Daho, Marquis de Sade. Une manière instructive de tuer le temps entre deux concerts.
Il est l’heure de prendre LA claque du festival : Blood Red Shoes. Au début, une légère appréhension : un duo, un garçon, une fille souvent réunis dans le rock, pour le meilleur (The Kills) comme pour le pire (The White Stripes). Mes craintes sont rapidement dissipées. Les Blood Red Shoes jouent un rock lourd, bruyant à souhait. Mes potes restent convaincus que la jolie chanteuse enjolive mon sens de la critique, mais non. Si vous vouliez du rock, il fallait venir à Art Rock le samedi au forum.
Il est tard quand je pars. Je tente un raid au bar VIP, mais sans panache. L’ambiance y est encore tiède. Mister Jones débarque au VIP, décontracté, félin. Les filles n’en peuvent plus. Je prends le chemin de la maison. J’apprendrai dans la gazette locale que j’ai raté un concert privé de Monsieur Jones. Tant pis…
Dimanche, je quitte prématurément le barbecue familial pour me rendre Place du Chai. Je ne voudrais rater pour rien au monde le spectacle proposé : une démonstration de Tektonik. Lorsque j’arrive sur place, je dois me frayer un chemin dans la foule pour pouvoir profiter du spectacle : de la techno d’auto-tamponneuses, des coupes improbables (une nuque longue avec les côtés rasés), il n’en faut pas moins pour aider la digestion des briochins. Les "tektonikeurs" invitent le public à une initiation. Les gamins de douze ans se chamaillent pour aller sur la scène.
Mouais, je préfère aller voir les artistes de la RATP sur le chapiteau Place de la Poste. Ce soir, l’affiche est résolument familiale à Poulain Corbion ; Asa, Yael Naïm, Thomas Dutronc, et la régionale de l’étape et véritable fierté locale. Il y a un mois, je passe prendre un ami à Saint-Julien, village d’origine de Yelle. Vous savez quoi ? Il m’a fait le plan : "Tiens, regarde, Yelle habite là, juste en face du 8 à Huit". Pour faire plaisir à des copines, j’assiste à Yael Naïm et Thomas Dutronc. Pour citer un lieu commun préfectoral "il en faut pour tous les goûts", je me laisse tout de même prendre au jeu de Thomas Dutronc. Les filles n’en peuvent plus, mes copines remuent le couteau dans la plaie et ne cessent de répéter : "Il est mimi, hein ?" Croyez-vous que je sois jaloux ? |