Avec "Traces du sacré", le Centre Pompidou présente une exposition imposante en taille et en ambition qui, notamment par le nombre et la qualité des œuvres présentées, nécessite une grande disponibilité en terme de temps car il ne s'agit pas d'une exposition pour laquelle le mode déambulatoire décontracté est concevable tant l'esprit et les sens sont sollicités.
Sous le commissariat de Jean de Loisy, critique d'art, assisté de Angela Lampe, conservatrice des collections historiques au MNAM, elle se présente comme une exposition multidisciplinaire sur la relation de l'art avec le divin depuis la proclamation nietzchéeinne, pour histoire de l'art articulée autour de l'échec du projet d'homme nouveau.
Elle s'organise en un parcours chrono-thématique circonvolutionnaire avec le "coup de projecteur" comme mode opératoire privilégié à l'impossible exhaustivité.
Un parcours introduit par le néon de Bruce Nauman, "The True Artist Helps the World by Revealing Mystic Truths", qui célèbre l'artiste messianique et clos par celui de Jean-Michel Alberola, "L'espérance a un fil, l'espérance à un fil" celui de l'ombre de Dieu, du "Diamond dust shadow" de Andy Warhol au "Monochrome blanc" d'Yves Klein.
L'espérance en l'homme peut être dont l'empreinte suaire de la main, celle photographiée par en 1893 par Jakob von Narkiewicz-Jodka, a été" retenue comme visuel de l'exposition. Un voyage dans l'histoire de l'art qui commence avec la trace des dieux enfuis et dont l'ombre de Dieu constitue l'épilogue transitoire.
Le Forum du Centre Pompidou est placé sous le signe de cette manifestation avec une œuvre de Huang Yong Ping intitulée "Ehi ehi sina sina" représentant un moulin à prière, objet porté ordinairement au poignet, emblème de la spiritualité bouddhiste tibétaine, qui, par sa taille démultipliée évoque une massue géante.
Parcours labyrinthique donc mais parsemée de salles enclavées plus propices à la méditation, et curieusement moins fréquentées.
Telle celle intitulée "Absolu" avec en présentation triangulaire en triangle trinitaire du "Carré noir" de Malevitch, de la "Composition avec deux lignes" de Mondrian et "L'oiseau dans l'espace" de Brancusi
ou "Homo novus" avec l'homme biomécanique en marche de Umberto Boccioni, ("Formes uniques de la continuité dans l'espace") bronze puissant devant l"Esquisse pour Prométhée" de Jean Delville et l'"Hommage à Appollinaire" d'un Chagall moins exubérant célébrant la dualité de la matrice originelle.
Des chocs salutaires avec les deux "Apocalypse", "L'homme à terre" de Wilhem Lehmbruck soumis par "Les dieux obscurs" de Bruno Perramant ou la surprise de l'horreur avec un curieux petit orant vu de dos, "Him" de Maurizio Cattelan.
Et des résonances inattendues comme par exemple, à près d'un siècle d'intervalle, entre la "Proposition d'un nouveau modèle d'univers" d’Anish Kapoor et le "Devenir "de Giacometti.
Après la mort du dieu judéo-chrétien, proclamée par Nietzsche, qui plonge l'homme dans la stupeur et l'effroi, ne reste plus que l'homme face à son vain et inéluctable questionnement métaphysique. Toutes les pistes vont être explorées pour conjurer l'angoisse jusqu'à se résoudre à devenir son propre démiurge en suivant le seul schéma fondateur connu celui des origines et transmis par l'inconscient archaïque.
L'art face au néant
La mort de Dieu illustrée par "La croix vide" de Edvard Munch conduit à l'effarement ("Tête I" de Francis Bacon) à "La nostalgie de l'infini" selon Malevitch, au questionnement métaphysique (Giorgio De Chirico "Le grand métaphysicien") et à l'exploration cosmique (Hilma Af Klint).
Plus d'un siècle après les "Ruines au crépuscule" peint en 1831 de Caspar David Friedrich, Lucio Fontana peint encore "La fin de Dieu" et en 2006 le péché obsède encore la conscience de Damien Hirst "Forgive father I have sinned"
L'inextinguible quête
L'art devient médiumnique pour atteindre l'invisible et l'artiste l'élu, l'initié, contenant en lui de manière irrémédiable une parcelle divine, est investi d'une mission messianique pour le dévoilement ultime.
Les moyens sont pléthore de l'ascèse, par la quête de l'absolu chez Mondrian ("Evolution") et Barnett Newman ("The Gate"), à la pensée ésotérique et de la sagesse orientale à l’extase mystique procurée par l'exorcisme au sacrifice christique du body art.
La nouvelle Genèse
L'artiste démiurge ("Autoportrait en Mars" de Otto Dix) créé un surhomme, héros nietzschéen, Prométhée moderne, vivant en harmonie à un nouvel eden naturaliste et des villes utopiques.
Mais cet homme nouveau ne peut naître que d'une apocalypse quelle que soit sa forme et d'un reniement définitif pour en finir avec l'hagiographie religieuse soit par le sacrilège (Man Ray "La prière", "La Vierge corrigeant l’Enfant Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Eluard et le peintre" de Max Ernst, Gérard Garouste "Passage", Pierre Molinier "Sacrilège"), soit la désacralisation.
L'histoire ne s'arrête pas là et à chacun de se raconter sa propre histoire avec les centaines d'œuvres exposées. |