Réalisé par David Cronenberg. USA, Canada. 1988. Avec : Jeremy Irons, Geneviève Bujold, Stephen Lack.
Actualité chargée pour David Cronenberg : un opéra adapté de La Mouche, au théâtre du Châtelet, la sortie en DVD des Promesses de l’Ombre, une participation au festival Paris Fait Son Cinéma, et pour finir une rétrospective partielle de son oeuvre à la Filmothèque du Quartier Latin.
L’occasion de revenir sur un des longs métrages du réalisateur : Faux Semblants, avec Jeremy Irons dans le double rôle principal.
Faux Semblants est un des films les moins gores du réalisateur, et un des plus marquants à la fois. Parce que tout y est intellectualisé, tout en étant profondément viscéral. Avec ce film, une facette du style de Cronenberg arrive à parfait aboutissement : déclencher chez le spectateur une réaction charnelle en passant par l’intellect.
Cronenberg a beaucoup montré la folie, les corps, et créé des images incarnant des idées, des sentiments, des pensées.
Depuis Spider et après Existenz, Cronenberg s’est éloigné de son cinéma viscéral, où il montrait les matières et mettait en scène l’âme humaine à travers des entités palpables, des choses ou des objets vivants. Cela pour se diriger vers des films bien plus dramatiques, déroulant le même discours mais sans véritable phantasme visuel. En témoigne Les Promesses de l’Ombre : un drame profond, peu loquace mais surtout réaliste stricto sensu.
A ce titre, Faux Semblants est un palier étrange entre La Mouche ou Chromosome 3. Rien – quasiment – n’est montré à l’écran. Une épure qui anticipait peut-être ce qu’est devenu le style du cinéaste.
Faux Semblants raconte l’histoire de la dérive psychologique de deux parfaits frères jumeaux. Au départ en parfaite symbiose (ils ont la même vie, partagent absolument tout), l’amour d’une femme (et l’absence d’amour pour l’un d’eux) va initier leur éloignement. Identiques au point de départ, leurs différences se marquent de plus en plus.
Pour se retrouver et se "reconnecter", tant psychologiquement que physiquement, les deux frères iront jusqu’au bout de leur propre autopsie.
Cronenberg parle ici de l’homme et des méandres de son âme, de ses limites, de ses choix, de ses réactions face à l’engrenage de l’addiction... Toutes les idées fondatrices de sa filmographie. Faux Semblants se détache par son épure, sa simplicité, et son ambiance froide, avec ces images peu contrastées. Peu de mouvements de caméra, peu de déplacements dans l’espace, l’essentiel du film est dans la communication quasi mentale des deux frères.
L’extraordinaire talent de Cronenberg est de faire suivre au spectateur le schéma psychologique de ses personnages. Sans s’identifier à leur condition très particulière (gynécologues), on les comprend, on est bien plus qu’un spectateur passif. C’est pour cela qu’on anticipe leurs actes, leurs pensées, et l’action du film. C’est pour cela que le ventre se tord à l’impulsion du geste, et pas à sa concrétisation à l’image.
Cronenberg, c’est tout un pan du cinéma d’avant, un cinéma palpable, où la magie tenait au talent du réalisateur, du chef opérateur, et des effets spéciaux directement exécutés en plateau. Aujourd’hui, le cinéma de genre, c’est Jumper et autres Hostel. Des coquilles vides en somme, des images gratuites.
Avec Faux Semblants, Cronenberg réalise un film bouleversant, qui va jusqu’au bout de son idée, de son thème, et de son style. Un travail remarquable. Une œuvre entière. |