Alors que les deux groupes stéphanois Angil et Deschannel se lançaient dans l'enregistrement, en une semaine de leur nouveau projet commun : Jerri, nous avons proposé à Mickaël, de Angil, de nous livrer ses impressions en direct dans un journal relatant l'enregistrement.
Voici ci-dessous ce journal de 5 jours d'enregistrements au studio la Fabrique à Andrézieux Bouthéon, dans la Loire.
Résumé des épisodes précédents
Le projet commun de B R OAD WAY et Angil (The John Venture) touchant à sa fin, il fut brièvement question de se lancer dans un deuxième volet discographique, en intégrant cette fois nos amis du duo stéphanois Deschannel.
Le VJ de B R OAD WAY, Éric, proposa une alternative : pourquoi ne pas constituer un triptyque, avec d’abord un "épisode 2" composé de Deschannel + Angil ? Dans un avenir plus lointain, B R OAD WAY et Deschannel boucleraient la trilogie. L’idée du collectif mouvant était née.
Parallèlement aux premières journées de travail avec Deschannel, le problème du nom s’est posé. Il y avait deux écoles : soit nous conservions The John Venture, adoptant (au risque de brouiller les pistes) un seul patronyme pour toutes nos collaborations, soit nous changions (à nouveau projet, nouveau titre).
Je défendais férocement la première option, qui fut abandonnée car le droit de véto prévaut dans ce collectif, mais je dois avouer que cette remise en question patronymique fut décisive pour ce nouveau projet : en adoptant un nouveau nom, nous officialisions, en quelque sorte, l’existence du groupe. Un vrai groupe, certes constitué des 2 membres de Deschannel et de 2 Angil & the Hiddentracks, mais désormais identifié.
Épisode 1
Gilles Deles, qui a produit mes deux albums sortis sur We are Unique, nous a fait l’amitié de passer le premier jour à la Fabrique pour nous prêter son matériel et nous apporter ses conseils : disposition des micros, installation des pré-amplis idoines, etc.
Nous enregistrons l’album dans une ancienne fabrique de lacets à Andrézieux. Je garde un excellent souvenir de l’enregistrement d’Oulipo Saliva là-bas ; l’électricité est un peu merdique, le Furan nous envoie ses odeurs nauséabondes et on ne peut pas dire que ce soit l’antre de l’hygiène, mais c’est un lieu vivant, des ondes positives y flottent…
Le deuxième jour, nous commençons par la dernière chanson de l’album. Un morceau rapide, assez tendu, un peu à la "10 Feet High" de Blonde Redhead – j’adore l’idée de finir avec ça. Lors de nos sessions de travail (2 fois 3 journées, qui ont donné 10 compositions), nous avons eu le temps de déterminer un ordre, en fonction des enchaînements entre les morceaux et de leurs durées (nous prévoyons de sortir Jerri en vinyle).
Le lendemain, Laetitia "Raymonde Howard" vient poser sa voix sur cette chanson. Ce sera l’une des invitées vocales de l’album. Elle apporte un ton un peu ludique, presque moqueur, qui dénote et donne un bon coup de frais à mon interprétation, plutôt obstinée, presque froide.
Nous avons pris le parti d’enregistrer les voix à travers un ampli guitare (en l’occurrence, un Orange récemment acquis…). J’aime bien le grain qu’on obtient. La voix sera donc traitée comme un instrument dans Jerri, comme une matière sonore pas nécessairement douce ou chaude. De manière générale, Jerri sera tout sauf sexy.
Épisode 2
10 morceaux, 4 compositeurs. À l’exception des textes (et donc du chant), chacun à mis la main à la pâte pour tous les aspects musicaux : nous jouons tous les 4 de la batterie, de la guitare, des claviers – et nous alternons, parfois même au milieu d’un morceau.
Évidemment, c’est un problème potentiel pour l’enregistrement : 4 batteurs, c’est 4 ‘touchers’ différents : on ne pourrait pas décider d’un réglage fixe, enregistrer toutes les batteries de l’album d’un seul coup et passer à l’instrument suivant. Mais nous préférons enregistrer chanson par chanson, alors la question ne se pose pas : nous ferons toute cette semaine au coup par coup. Rationnel et raisonnable !
J’aime beaucoup l’ambiance de cet enregistrement : c’est peut-être dû au fait que nous sommes autonomes (Laurent et Anthony ont suffisamment de connaissances pour enfiler aussi la casquette de producteurs et d’ingénieurs du son) ; tout se fait très sereinement, avec humour et décontraction, même quand on se trouve face à des obstacles.
Épisode 3
Laurent et Anthony ont le même état d’esprit que Flavien et moi à propos des prises : la première réussie est bien souvent la bonne. On pourrait hâtivement appeler ça de la fainéantise… mais l’interprétation n’est jamais aussi bonne, pour des musiciens autodidactes et donc piètres techniciens comme nous, que lorsqu’on sent l’excitation, le flux de la première prise.
En s’obstinant, on se rapproche probablement d’une partie techniquement au point, mais on s’éloigne d’une sorte de vérité, même bancale, obtenue à vif lors des premières prises.
Épisode 4
Dimitri "Souljah’Zz" deuxième invité sur l’album, est venu poser sa voix sans égale sur une chanson qui devrait s’intituler "I don’t need your fucking record to love you". Décidément, chacune de ses apparitions vocales m’impressionne et me surprend. Tout en étant complètement dans le thème, avec son texte labyrinthique sur un personnage amateur de musique qui essaie de tenir le coup face au flot illimité d’informations disponibles, il arrive à emmener la chanson ailleurs.
Notre rythme est sensiblement le même chaque jour : on commence aux alentours de 11h, enregistrant les éléments manquants d’un titre commencé la veille, puis on enchaîne sur un nouveau. On ajoute très peu de choses qu’on ne saura pas refaire en live : l’idée directrice est clairement celle-ci (d’ailleurs il nous tarde déjà de jouer ces morceaux en concert) : rien qui déborde, rien qui bave. Peu d’arrangements en plus ou qui pourraient sentir le luxe : une petite percussion par-ci, des claps par-là.
En terme d’interprétation, même chose : une prise doit sonner « comme en vrai », quitte à ne pas être aussi efficace et bien calée que si on voulait sortir un album carré. ‘Carré’ est souvent synonyme de ‘désincarné’, quand on manque de compétences techniques. Alors on cherche le vivant, en permanence.
Épisode 5
Les 10 morceaux sont dans la boîte… Mixage à la fin de l’année (par JC, membre de B R OAD WAY) et sortie courant 2009, sans doute en avril-mai… j’ai hâte d’entendre les mises à plat.
Je suis très fier de ce qu’on a fait : le côté bancal, les irrégularités ici et là n’entachent pas la vérité des morceaux, me semble-t-il (au contraire : les quelques fois où l’ampli grésille, parce que je scande un peu trop fort l’un des textes, m’évoquent ce qui me parle le plus dans les vieux disques de soul enregistrés à l’arrache, en mono : Nina Simone, par exemple, ou Otis Redding). Nous avons été exigeants sur ce qui compte vraiment à mes yeux. Dans le texte d’une des chansons, "The M.I.A. thing" , je me pose la question : "What is the use of playing more music?". C’est une question rhétorique, quand on crée un projet comme celui-ci je sais exactement à quoi ça sert, je me sens à ma place.
Dans le texte de John Venture, Jerri était le fils de John. C’est marrant, on pourra presque adopter un angle psychanalytique pour analyser les deux albums. Par de nombreux aspects, Jerri est l’antithèse du John Venture. Ce fils-là se démarque en prenant le père comme anti-modèle ; il s’envole en s’émancipant.
C’est une bonne chose qu’il se passe 9 mois entre maintenant et la sortie de l’album. Pas seulement du point de vue du travail que vont maintenant fournir les deux structures qui co-sortent l’album, 6am et We are Unique ; c’est bien pour nous aussi, on va voir si le disque vieillit bien pour nous, si l’envie de le jouer nous démange toujours autant dans 9 mois. J’ai ma petite idée sur la question.
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