Comédie
de Molière, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig,
avec Claude Duparfait, Clément Bresson, Claire Wauthion, Pauline
Lorillard, Annie Mercier, Christophe Brault, Julie Lesgages,
Thomas Condemine, Jean-Pierre Bagot et Sébastien Pouderoux.
Si le Théâtre National de l’Odéon
ouvre sa saison 2008-2009 avec un classique cultissime, "Tartuffe"
de Molière, le spectacle concocté par Stéphane
Braunschweig est loin de céder au classicisme d’une
représentation en costumes pour public de scolaires.
Transpositions à plusieurs degrés, mélange
kaléidoscopique des registres et symbolisme pseudo-freudien
sont au menu pour un spectacle ébouriffant qui ne laisse
aucune prise à la tiédeur.
Grâce à une mise en scène rythmée
et une scénographie décoiffante, un atrium ascétique
qui se transforme en cul de basse fosse par un mécanisme
ascensionnel spectaculaire, il maintient entière l’attention
du spectateur, parvenant même à instaurer un suspense
inattendu pour une pièce à l’intrigue et
au dénouement connus.
Parachutée dans un monde en perte de repères
et cédant à la tentation libertaire, évoqué
dans un bref prologue additif, cette comédie vire à
la tragi-comédie extrêmement moderne sur les dérives
du matérialisme. Fils d’une mère
psychorigide et bigote, Orgon, sans toutefois totalement renoncer
à ses prérogatives de pater familias, aspire à
une sérénité extrême orientale proche
de la masturbation intellectuelle et croit avoir trouvé,
en la personne d’un gueux habile, le gourou qui, sous couvert
de préceptes moraux et religieux, l’amènera
au détachement ultime des choses et des êtres.
Et il se met à dos toute la maisonnée, pratiquant
elle aussi les faux semblants, qui voit d’un mauvais œil
la prééminence d’un vampire intrusif qui
veut épouser la fille, s’épancher avec la
femme et croquer le magot sous couvert de la restauration de
l’ordre moral, et qui sera la victime de sa propre stratégie.
Sur scène, Claire Wauthion,
Thomas Condemine et Sébastien
Pouderoux, respectivement dans les rôles de Mme
Pernelle, Valère et Damis, sont totalement justes dans
leur partition et Julie Lesgages,
T-shirt, bas résille et converse, qui semble sortie d’un
gang de riot girl ou du film de Susan Seidelman, "Recherche
Susan désespérément", incarne une
bien singulière Marianne bipolaire plongée alternativement
dans l'hébétude et la véhémence.
Annie Mercier incarne bien le bon
sens populaire, version commedia dell’arte, de Dorine,
même si sa respiration en apnée double ses répliques
d’un bruit de soufflet de forge pénible pour les
oreilles de ceux qui se trouvent aux premiers rangs, et Christophe
Brault, dans le rôle du frère d’Orgon,
paraît ne pas avoir tout à fait raccroché
son costume de Iago logorrhéique, qu’il interprétait
fort justement au demeurant dans le "Othello" monté
la saison passée par Gilles Bouillon au Théâtre
de la Tempête.
Quant au trio infernal, c’est un régal. Avec une
allure d'instit des années 60, col roulé, lunettes
et collier de barbe, Claude Duparfait
est un Orgon époustouflant "peine à jouir",
à la fois drôle et pathétique en face de
Clément Bresson, excellent
Tartuffe, et à Elmire, Pauline Lorillard
mesurée et convaincante, jouant admirablement le feu
sous la glace, tenue chaste et collier de perles mais escarpins
de drag queen, symbole de la morale bourgeoise dont le fondement
est l’hypocrisie, justement synthétisée
par ce dernier dans sa proposition d’amour sans scandale
et de plaisir sans peur. |