Rencontre avec trois membres de Neïmo, dans une salle de répétition de la capitale, pour un entretien. Ces jeunes gens, sûrs d'eux, de leurs choix musicaux, des directions à prendre ou pas, nous racontent leur histoire, dans une interview tronquée, par manque de temps, mais certainement pas de convictions.
Pourriez-vous nous raconter en deux mots la genèse du groupe ?
Mathieu : Alors, tout le monde se tourne vers moi, donc je vais commencer. On a commencé à jouer sur scène il y a trois, quatre ans environ. On avait très envie de faire de la scène à cause de notre histoire, on a fait un disque qui n'est jamais sorti et on était avec des gens qui nous ont jamais motivés pour faire de la scène. Bref, quand on a pu se libérer de tout ça, on a eu très envie de faire de nombreux concerts et un nouveau disque rapidement. Cela nous a permis de faire un petit tour de France, des salles les plus undergound, à Paris dans un premier temps, aux trucs plus importants, qui nous ont vraiment donné le virus de la scène. Depuis, on n'a pas arrêté de voyager.
Pour revenir sur la genèse, on est avant tout des potes de lycée, on a appris à jouer de la musique ensemble, Bruno nous a rejoints un peu après. Et puis assez vite, on a écrit de nouvelles chansons. Depuis trois ans, beaucoup de concerts, le plus possible à l'étranger, on a découvert ça il y a un an environ, cela a changé beaucoup de choses. On se demandait si on allait être écouté d'une oreille attentive, chantant en anglais et s'adressant à des anglophones, ce n'est pas très évident. Du coup, cela nous a motivés, on a pris confiance en nous. On s'est dit que finalement, que ce soit en Angleterre ou aux USA, on n'avait pas à rougir d'être français, contrairement à ce qu'on a pu nous faire comprendre ici, en France, des remarques sur la légitimité d'être français et chanter du rock en anglais.
Camille : Tu réponds à quatre questions là.
Mathieu : Oui, je m'emballe. Je sens que vous n'avez pas beaucoup envie de parler, du coup je me lance.
Camille : Si, si, moi j'ai envie de parler, mais on te laisse... c'est bien.
Mathieu : Bon, ça c'était pour la genèse du groupe et un peu plus.
Camille : Par rapport à la scène, l'idée du premier album, c'était de le réaliser pour la scène. Être capables de jouer les morceaux de la même manière en concert et en répète. Le groupe est né ensuite, par la scène, c'est vraiment là qu'il a existé. On voulait un batteur qui nous a rejoints, il y a deux ans. A partir de là, on a pu construire autre chose, et sur le nouvel album qui sort bientôt, là, on joue à quatre.
Vous êtes partis faire écouter votre album aux États-Unis. Comment êtes-vous tombés sur Jeff Ayeroff ?
Camille : Quelqu'un lui a apporté notre album, c'est un concours de circonstances. Une personne, devenue une copine depuis, est tombée sur notre site. Elle a écouté notre album, et l'a aimé. Étant réalisatrice de films, elle voulait mettre dans son film des groupes rock de la scène parisienne, et d'autres groupes comme les Stokes ou les Hives, ce qui était très bien pour nous, puisqu'on se classe dans la même mouvance. Un de ses amis a, lui aussi, aimé notre musique, il s'occupait des relations entre une marque de vêtements et les artistes rock. Il a pris notre disque et l'a fait écouter à Jeff Ayeroff que ça a intéressé pour son nouveau label, on a donc été contacté.
On était parti pour un mini-tournée à New York, c'est arrivé en même temps, et Jeff nous a payé le billet pour le rencontrer à Los Angeles. N'ayant pas beaucoup de temps disponible, il nous demande de jouer en plein après-midi. Quelqu'un nous dit que si Jeff nous propose de déjeuner dans les prochains jours, c'est bon signe, sinon, rien. On fait le concert, super stressés et Jeff s'en va. Durant le week-end, il nous recontacte pour déjeuner avec lui quelques jours plus tard. On était super content.
Bruno : On s'est retrouvé avec lui dans une cantine mexicaine super bruyante. C'était vraiment l'ambiance cantine, elle aurait pu être dans un film de Tarantino, on n'entendait rien de ce qu'on se disait.
Comment avez-vous eu les moyens d'organiser une mini-tournée new-yorkaise ?
Bruno : C'est surtout grâce à notre manageuse qui a donné plein de coups de fil, a cherché les lieux les plus appropriés pour nous. On a décroché environ six dates.
Mathieu : C'est l'avantage d'être français.
C'est grâce aux missions culturelles ?
Camille : Oui, ils nous ont aidés.
Bruno : De toutes les façons, c'est une aide à hauteur de cinquante pour cent de tes frais, plafonnés bien sûr. Mais ensuite, on se débrouille, on connait des gens à New-York, on a été logés chez des habitants. Puis c'est une organisation, mais ça ne nous a pas coûté tant que ça, en fait.
Mathieu : C'est drôle, parce que ça a couté moins cher qu'en Angleterre, par exemple. On réussissait à se débrouiller chez des amis.
Bruno : A la fin, c'est plus une question de prendre son courage à deux mains et de ne pas faire les choses de façon stupide, mais faire comme l'a fait notre manageuse, un tri des salles les plus opportunes, de savoir qu'il faut jouer là ou là. Ensuite, on a fait notre petite promo sur internet, pour attirer les gens. Mine de rien, on commence à avoir notre petit public là-bas.
Camille : Quand ça s'est confirmé avec le label, ils nous ont fait revenir, on y a passé un mois entier.
Bruno : Ils nous ont loués un appart, avec vue sur l'East River, c'était juste sublime.
Comment ont été perçus vos premiers concerts là-bas ?
Camille : Très bien, le tout premier concert, c'était à la Alan's Grocery et c'est une salle assez mythique parce que beaucoup de groupes ont joué là-bas. En même temps, c'est l'usine parce que les groupes viennent jouer une demi-heure et tu en as sept dans la soirée.
Mathieu : C'est un peu le côté négatif de la scène à New-York, tu as huit groupes par soir, c'est assez dur. Ce n'est pas la scène la plus facile.
Camille : Le tout premier concert, on était en plein décalage horaire. On monte sur scène, Bruno hésite un peu sur une phrase et dit : "I like...", et un type dans la salle réponds : "Cheese !", et il a fait ça toute la soirée. Donc là, tu n'as plus aucune crédibilité. On s'est dit, ça commence bien, mais c'était une exception.
Bruno : On n'a jamais eu de mauvais concerts, à New-York.
Mathieu : Pour te dire, quand on est resté un mois, les gens, les journalistes commençaient à parler du groupe dans la ville. On a senti une sorte d'émulation, quelque chose qui se mettait à vibrer.
Et si vous deviez faire une comparaison entre le public parisien et new-yorkais, qui aurait l'oreille la plus attentive ?
Mathieu : Le new-yorkais va être plus ouvert et va moins se fier à l'avis de son voisin, que le public parisien, pour qui il va lui falloir une autorisation signée, pour apprécier un groupe.
Camille : Un peu moins, c'est vrai.
Mathieu : On a fait un concert au Midway, où le public était venu voir leurs copains, ils sont restés et ont fini par bouger sur notre musique.
A Paris, les gens viennent voir leurs copains et dès que c'est fini, tout le monde sort de la salle pour aller boire des verres ailleurs, ils ne restent pas dans la salle écouter la suite.
Mathieu : Ça arrive aussi à New-York, mais tu peux avoir plus de bonnes surprises là-bas.
Camille : Il y a une différence que j'ai remarquée. En France, on fait plus attention au côté théâtral des musiciens, ce que le chanteur va offrir en terme de gestuelles. Aux États-Unis, ils écoutent plus la musique, la performance, la justesse. Cela nous a obligés à revoir l'ordre des morceaux, à se baser plus sur la musique. Je pense que c'est à cause de leur culture de "show".
Comment avez-vous rencontré les gens de Village Vert ?
Mathieu : Ce sont les seuls qui nous ont donné envie de bosser avec eux, en France.
Bruno : Le chemin classique, notre manageuse les a rencontrés. En même temps, on rencontrait les américains de Shangri La. On ne savait pas trop quoi faire, et on a fini par trouver un compromis. Pour la France, on a réussi à pousser le label américain à travailler avec Village Vert parce que pour la France, c'était les plus indiqués.
Camille : Avant ça, comme on les a connus, cela a bien duré trois ans pour moi. C'est notre éditeur chez Sony qui nous en avait parlé, il disait que ce label était bien, mais ne travaillait qu'avec des groupes qui chantent en français. On s'est tourné autour, ils sont venus nous voir puis on s'est rencontré.
Bruno : Oui, puis il y a eu, je pense, un gros coup de pouce de Serguei de la Flèche d'Or.
Mathieu : Pendant un temps, la Flèche d'Or, c'était un peu notre maison.
Bruno : Dès qu'un directeur artistique passait dans le bureau de Serguei, il leur parlait de nous et je pense que Village Vert en a beaucoup fait les frais. Je crois qu'on lui est redevable.
Quand est-ce que vous avez senti que le groupe commençait à avoir une dimension plus sérieuse, à avoir ses chances d'aller plus loin ?
Mathieu : Pour moi, je dirais quand on a gagné le premier centime avec la musique. Je me suis dit : "si, en plus, on peut gagner de l'argent..."
Camille : Cela a toujours été très progressif.
Bruno : Quand on a commencé à avoir des contrats en anglais, à lire les montants, sans être exorbitants, là je me suis dit que ça ne rigolait plus. En même temps, cela devient très important au moment où tu vends des disques, on est parti de chez Warner, pour monter notre petit label et sortir notre premier disque. On en a pressé 5000 exemplaires et on en a vendu 4700. Sur un an, attention ! Quand les magasins de disques te demandent s'ils peuvent être réapprovisionnés et que tu n'as plus rien, c'est surprenant. Là, on espère faire mieux.
Comme disait Camille, on passe des paliers, on arrive à un moment où c'est bien. Un autre palier, c'est Rock en Seine, il y a deux ans. Jouer devant tant de monde, wow ! En plus, les Dirty Pretty Things avaient aimé le concert et voulaient nous rencontrer, on avait la loge à côté de Morrisey... Là, tu te dis que ça pourrait être pire.
Camille : J'ai fait pipi à côté de Jack White. (rires)
Mathieu : Il en garde un souvenir terrorisé.
Bruno : On a un peu plus galéré que des groupes comme les Arctic Monkeys, mais c'est comme ça et c'est très bien. Tout vient à point à qui sait attendre.
Mathieu : On croit en la musique et dans ce qu'on fait.
Bruno : On a eu des opportunités d'écrire pour d'autres gens, on a refusé même si ça aurait pu nous rapporter de l'argent, mais on a fermé ces portes parce que ce n'était pas des gens pour qui on avait forcément envie de travailler, et je pense qu'aucun de nous ne le regrette.
Le seul intérêt de la musique, c'est de faire ce que tu as envie et d'aller au bout. Par exemple, l'anglais c'est un choix, on nous a dit de faire autrement, on a toujours refusé. La musique qu'on fait et telle qu'on la conçoit, c'est la musique anglo-saxonne. Si on chante en français, c'est du rock français et ça fait une grosse différence.
Ce qui est génial maintenant, c'est de tourner aux États-Unis, en Angleterre ou en Allemagne. Si on avait chanté en français, on aurait peut-être joué à New-York, mais moins et ça aurait été plus pour l'exotisme. Quand tu grandis en écoutant New Order, les Smiths, Blondie et Iggy Pop, ça a du sens de chanter en anglais. Chez les anglo-saxons, ce que j'aime, c'est que la voix est considérée comme un instrument, si tu veux écouter les paroles, tu tends l'oreille. Si je chantais en français, ma voix aurait été deux fois plus forte, en studio on te rajoute deux décibels sur la voix. En France, on fait de la poésie avec une orchestration.
Mathieu : Les artistes français les plus mythiques ont poussé cet esthétisme de la poésie sur la musique au paroxysme et c'est le gens les plus connus qui ont fait ça, c'est là que ça prend du sens. Pour moi, la variété française, mise à part de rares occasions...
Bruno : Avec l'anglais, tu peux aussi faire des paroles super débiles, tu peux faire tout un refrain avec des "yeah, yeah, yeah". Ce qui compte, c'est la spontanéité, c'est ça le rock n' roll, de l'énergie pure. Tu peux aussi avoir les textes les plus ciselés, c'est permis. En français, tu ne peux pas être léger, t'es obligé de jouer les acrobates, sinon tu as les paroles de Lorie.
Mathieu : Tu es jugé en France.
Bruno : En anglais aussi tu es jugé, ils écoutent les textes aussi. Au début, on nous disait qu'on ne ressemblait pas à des français, ce qui fait plaisir. Un type nous a dit qu'il trouvait les paroles très bien, qu'on devait monter le son de la voix sur scène. Il m'a dit : "il faut que les américains entendent tes paroles, ça va les surprendre qu'un français sache aussi bien écrire en anglais". Ça fait plaisir.
Camille : On nous dit, en général, que ça se sent qu'on est français, parce qu'on ne fait pas du rock comme des anglo-saxons.
Comment aborde-t-on la sortie d'un disque dans cette "crise" du disque ?
Bruno : On s'en fout, ce sont des problèmes de majors. C'est ça qu'il y a de bien avec Village Vert, c'est qu'ils ne prennent pas ça comme une crise, mais comme une révolution du disque, un changement de façon de travailler. C'est sûr qu'il faut se remettre en question, mais ça c'est leur travail, pas le nôtre. Les contrats des artistes changent. Par exemple, on a un contrat qui n'a jamais été fait en France et qui commence à être proposé. Vu qu'il se vend moins de disques, l'idée est de tout rassembler, c'est-à-dire, pour la maison de disque, maitriser la vente de disques, mais aussi le merchandising, les concerts et récupérer de l'argent sur tout ça. La crise du disque en soi, c'est un problème compliqué. Si tu aimes un disque et le travail de l'artiste, même si tu l'as téléchargé, tu l'achètes pour l'objet. Je fais de la musique pour m'exprimer, plus les gens vont l'écouter, mieux c'est pour nous. C'est, je pense, une mutation. Si les gens téléchargent l'album d'un artiste qu'ils aiment, ils iront au concert, achèterons un disque le soir même, ou un T-Shirt. Ça se transforme en une autre source de profit.
Camille : Il y a une chose passionnante pour nous, ça nous oblige à proposer autre chose. Par exemple, on fait plus de sessions acoustiques comme ce soir, des vidéos, des petites exclusivités. On a des titres qui ne sont pas encore sortis, qu'on va proposer pour des occasions spéciales ou pour internet. On va faire plus de blogs pour raconter les tournées, je prends des photos que je partage avec les fans. On se rend compte que de plus en plus, l'artiste est un point central de rencontres, de différentes choses, une manière de vivre. Ce n'est plus seulement un disque. Le disque, c'est un prétexte, en fait.
Mathieu : Le disque est très important, il te permet de créer un événement, de faire parler, de faire venir des artistes, de faire des sessions acoustiques, etc. Après, s'il se vend moins de disque, tant pis, le disque, l'événement sont toujours là.
Bruno : Je trouve qu'il y a toujours une bonne chose qui sort du chaos. Si cela oblige les maisons de disque à être plus créatives, à sortir des sentiers battus, à arrêter d'appliquer des recettes, c'est bien.
Camille : Aujourd'hui, l'auditeur a beaucoup plus d'intéractivité qu'auparavant. Par exemple, j'ai de bons souvenirs de Keziah Jones en concert. Sur internet, tu tapes "concert à Paris" et tu vois une vidéo du concert tout de suite. On a filmé quelques une de nos dates en Angleterre, on va en faire un montage et j'espère qu'on va pouvoir le proposer. Plus il y aura de gens pour suivre ça, plus les gens vont s'intéresser à nous, ça va créer des richesses.
Bruno : Encore une fois, depuis vingt ans, les majors ont creusé leur propre tombe, en focalisant toute l'attention des auditeurs sur les singles, au détriment des albums. Quand le MP3 est arrivé et a donné la possibilité de n'avoir que le tube, sans l'album, ce n'est que le résultat de ce que les majors nous ont inculqué depuis la fin des années 70.
Et en plus, ils ont même pas vu arriver la vague. Quand les gens se sont mis à télécharger à fond, les éditeurs étaient tellement à coté de la plaque, qu'ils se battaient encore contre les sites qui mettaient en ligne les paroles des chansons. Aller jusqu'à mettre en procès leurs propres clients, faire un procès à des gamins de quatorze ans, c'est n'importe quoi !
Quand j'étais au collège, on avait des lecteurs double cassette pour s'enregistrer les albums, ça ne nous a jamais empêchés d'acheter des disques.
Bruno : A l'époque où est sortie la cassette audio, il se disait que c'était la fin de la création musicale, qu'on allait pourvoir copier tout. Le CD est arrivé, le graveur, puis le MP3, on nous a sorti le même discours. Et pourtant, malgré tout, j'ai l'impression qu'on parle toujours de musique, qu'on en écoute toujours et que finalement, ça ne se porte pas si mal que ça. Peut-être que maintenant, l'argent n'est plus dans les mêmes poches qu'au début. La redistribution est différente à mon avis. C'est un vrai chaos, tu vois les majors s'embourber dans les mêmes schémas et, si tu réfléchis un peu, le Village Vert, la petite boite qui ne paie pas de mine avec leurs moyens artisanaux, ils font mieux que les majors sur le même genre d'artistes.
Mathieu : Parce que comme par hasard, ils ont misé sur des artistes auxquels ils croyaient, qu'ils ont pris le temps de développer.
Finalement, les majors aussi font du "taping", ils reproduisent les artistes, les schémas, appliquent des recettes.
Mathieu : C'est le grand truc en France, d'appliquer la recette venue d'ailleurs, de la franciser et de la remettre pour le public français. C'est un truc qu'on a subi pendant longtemps.
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