A l’occasion d’un de ses rares passages à Paris, nous rencontrons Gilles Servat, chanteur poète, barde breton en son pays.
La rencontre a lieu dans un café de la gare Montparnasse, au bout du quai, juste avant son retour en terre celte. Répondant sans far à toutes les questions, Gilles Servat est un artiste entier qui donne au public pour essayer de le remercier chaque fois un peu plus d’avoir changé sa vie.
Une véritable rencontre humaine, bien loin des superficialités des artistes formatés, et du carcan des journées promo.
Avec un peu de recul, quel ressenti avez-vous du concert d’hier soir ?
C’est très agréable de jouer dans cette salle là, avec un public assez proche, on a un très bon son sur la scène, ça restera un bon souvenir.
Pourquoi cette envie de théâtre, avec l’histoire du Cochon de Mc Dathó, alors qu’on vous connait en tant que chanteur ?
Parce que j’ai envie de faire pleins de choses différentes. J’ai pas envie de rester dans des pantoufles ! Ca fait du bien de faire d’autres trucs, dans le même domaine mais avec un rapport au public différent.
Pourquoi ce texte ?
Je me suis intéressé aux choses celtiques en général, à la Bretagne au début, et puis après j’ai développé. Je me suis intéressé à l’Irlande, j’y suis allé pour écrire, j’ai pratiqué l’irlandais ancien en auditeur libre à la fac de Rennes. Un jour, j’ai trouvé un bouquin, un livre pour étudiants, avec un texte utilisé dans une université américaine : c’était celui-là (Le Cochon de Mac Dathó). Je l’ai traduit, et il s’est trouvé peu de temps après que Jean-Claude Fournier, dessinateur de bandes dessinées, m’a demandé si je voulais faire un conte en bulles à Saint-Malo. Je lui ai proposé ce conte que je venais de traduire.
Au début pour moi, c’était comme un texte sacré, je n’arrivais pas à me dégager du texte. Il a fallu que je rencontre Jean-Marc Derouen, qui m’a accompagné et qui m’a aidé à me dégager du texte. J’ai pu en rajouter dans la folie et dans l’outrance un petit peu. J’ai conservé le texte tel qu’il était, en rajoutant des détails, adaptés au langage moderne, comme l’histoire "89 bouchers costauds ont levé la masse assez haut...".
Le fait de jouer ces représentations de ce conte, est-ce complémentaire de vos activités littéraires (Gilles Servat est auteur des Chroniques d’Arcturus) et musicales ?
Oui, ça a beaucoup de relations avec Les Chroniques d’Arcturus en fait. C’est une espèce d’exutoire scénique des solitudes passées à écrire des romans. Et un moyen de partager ce monde un peu délirant des celtes pré-chrétiens en Irlande.
Le public participait assez facilement hier, lors de la représentation.
Les gens sont très partants, j’ai un public très sympa, qui me suit. J’ai une relation avec le public qui n’est pas distante du tout. Quand j’ai commencé à chanter, je faisais la manche, j’aime bien le cabaret, la proximité des gens, leur parler...
La première chanson que vous avez chanté hier soir disait : "Je chant’rai comme je le voudrai, je chant’rai ce que je voudrai, comme je voudrai je chanterai, et dans la langue que je voudrai…". Ce refrain semble parfaitement résumer le chanteur que vous êtes ?
C’est ça, on met les choses tout de suite sur ce terrain là. On fait ce qu’on veut, on ne va pas se laisser embêter par les gens qui veulent nous dire fais ci, fais ça...
Vous avez toujours fait ce que vous vouliez ?
Eh bien chaque fois que je n’ai pas fait ce que je voulais et que j’ai accepté des contraintes, ça s’est mal terminé parce que j’étais pas à l’aise.
Le fait d’être un chanteur engagé, cela a eu des conséquences au long de votre carrière ?
On a des retours, évidemment. Quelque fois des gens sont gênés, mais c’est la vie. En général, on n’a que ce qu’on mérite. J’ai fait un genre de métier qui fait que je ne suis pas sous le regard des médias, je ne fais pas partie des people...
Est-ce que vous pensez qu’il est important de véhiculer un message lorsqu’on est un artiste ?
C’était peut être comme cela que je me posais la question il y a trente ans. Mais je ne me les pose plus ainsi. C’est sur l’idéologie que ça a changé. C’était beaucoup d’amertume de soutenir des luttes idéologiques, et de voir que ça tourne à des trucs horribles comme avec les Khmer Rouges. C’est l’amertume de... de s’être fait couillonner en fait.
On en parlait l’autre jour dans une radio : je ne suis le porte-parole de personne. Je ne suis le porte-parole que de moi-même. J’ai fait partie d’un parti politique qui s’appelle l’Union Démocratique Bretonne et c’était intenable pour eux comme pour moi ; parce que quand je chantais quelque chose dans la lignée du parti, j’étais le porte-parole du parti, et quand je chantais autre chose on me demandait ce que je foutais là ! Donc c’est intenable. Un artiste n’a pas à se forcer, il a juste à s’exprimer. Moi je chante sans me poser de questions sur le monde qui m’entoure.
Beaucoup de vos chansons donnent l’impression d’une grande subjectivité et d’un besoin de dévoilement personnel. "La maison d’Irlande", "Le moulin de Guérande", "Je vous emporte dans mon cœur" ; chansons relatives à des souvenirs chers. Est-ce ce lyrisme caractérise grandement votre œuvre ?
Ce que j’essaye de faire... Ca passe à travers moi, tout en parlant de moi j’essaie d’avoir quelque chose d’universel. Même en parlant de la Bretagne, on peut avoir quelque chose d’universel, en parlant du pont Mirabeau on peut être universel.
C’est vrai qu’en vous voyant en concert à Paris, on ne se dit pas "c’est un chanteur breton".
Non.
On se dit plus qu’on voit un poète sur scène.
Ca me plait bien. J’habite en Bretagne. Ce que je fais ça a une coloration. Ce que j’aimerais, c’est un parfum, je m’exprime comme tout le monde, et comme j’habite là, il s’en dégage un parfum celtique. Mais je ne me demande pas ce que je vais faire de celtique.
C’est pour cela que vous chantez en français, en anglais, en breton... Vous ne vous posez pas la question s’il faut chanter en breton ?
Et je ne veux surtout même pas savoir pourquoi je chante certains trucs en bretons et pas d’autres. Parce que si on commence à analyser ça... Ca vient comme ça.
Aujourd’hui, vous semblez privilégier daavantage vos créations littéraires.
Mon premier boulot, c’est de chanter. Mais j’aime écrire ces bouquins, là j’écris la suite. Je ne privilégie pas les livres, je continue d’écrire des chansons, j’en ai presque assez pour faire un nouveau disque. Je commence à les chanter, j’aime bien chanter les chansons avant de les enregistrer, pour tirer enseignement de l’expérience du spectacle. Les chansons se bonifient au contact du public.
Comment vous situez-vous par rapport à Alan Stivell, Tri Yann... ?
Stivell m’a ouvert beaucoup de portes musicales. Les Tri Yann, on a commencé pratiquement ensemble, je leur ai écrit des textes. Mais on fait des choses bien différentes les uns des autres.
Il y a une image que j’aime bien : Stivell c’est un saumon qui part de la source et qui part vers le large, moi je suis plutôt venu du large et qui remonte la source.
En assistant au concert d’hier soir, on peut se dire que vous auriez pu avoir une bien plus grande place dans la chanson française, aux côtés de chanteurs poètes comme Maxime Le Forestier. Sans être une critique, ma question est la suivante : est-ce que vous avez le sentiment d’être passé à côté de quelque chose ?
C’est ce que je disais tout à l’heure, on a que ce qu’on mérite. Je n’habite pas à Paris, je ne fréquente pas les journalistes. Je n’ai pas fait ce qu’il fallait pour ça. Mais j’ai la vie que j’aime. |