Comédie
darmatique de Lukas Bärfuss, mise en scène de Hauke
Lanz, avec Frédéric Leidgens, Pierre Maillet,
Muriel Martinelli et Laure Wolf.
"Les névroses sexuelles
de nos parents" de l'auteur helvétique germanophone
Lukas Bärfuss s'inscrit dans
le théâtre de dénonciation explicite et
de questionnement moral notamment, en l'occurrence, de la pratique
de l'eugénisme de proximité au sein de sa propre
famille.
L'approche politique de la société contemporaine,
une société de consommation du corps, à
travers l'oppression qu'elle exerce sur l'individu dans ce qu'il
a de plus intime et de plus précieux, son corps et sa
liberté, qu'il s'agisse des règles contraignantes
ou, au contraire, de comportements conjoncturels permissifs,
tous deux générateurs de normes sociétales
intervient à travers l'histoire de Dora, une jeune fille
pas comme les autres.
Mélangeant naturalisme et horreur, Lukas Bärfuss
dénonce le rôle destructeur, dans une société
traumatique pour l'individu, de la cellule microcosmique qu'est
la famille, rouage qui en a si bien intégré les
normes au point d'anticiper tous les dérèglements
potentiels qui pourraient conduire à la réflexion
critique.
De même que Dora enfant agitée la dérangeait,
la jeune fille plongée dans l'hébétude
marquée du sceau social de l'handicapée la gêne,
sa mère, la mère bien sûr, décide
de supprimer la camisole chimique qui la maintenait dans une
non existence. Rendue à la vie, Dora découvre
le monde, et principalement la sexualité, avec les yeux
de l'innocence primitive, à l'image de l'Agnès
de "L'école des femmes" de Voltaire et du huron
de "L'ingénu" de Voltaire.
Mais elle n'a ni les facultés intactes de la première
ni la raison éloquente du second et il n'y aura pas de
happy end pour Dora même si Hauke Lanz montre son assomption
qui, à la fois, magnifie et stigmatise sa différence
parmi des boites cercueils métaphores des hommes formatés.
Après lui avoir broyé l'esprit, les hommes de
bonne volonté vont mutiler le corps de Dora, et le déroulement
inéluctable de cette mort annoncée prend aux tripes
grâce au jeu très fluide et évident des
comédiens.
La mise en scène de Hauke Lanz, dépouillée
à l'extrême, presque clinique, avec une scénographie
métonymique de Sarah de Battice, qui ne s'appuie ni sur
le pathos ni sur l'affect, est essentiellement politique et
ne laisse pas d'échappatoire au spectateur qui est pris
au piège d'un rouleau compresseur qui montre la violence
morale dans tous ses états qui débouche sur la
domination, la persécution et la dépossession
de soi.
Interchangeables dans une pluralité de rôles métamorphiques,
Frédéric Leidgens, Pierre
Maillet et Murielle Martinelli
constituent une belle galerie de justes à la bonne conscience
autour de Laure Wolf, physique translucide
d'enfant montée en graine, qui donne, par un jeu clair
qui relève de l'évidence, une vraie corporéité
à la jeune fille scandaleuse qui n'a rien d'une Lolita.
Pour ceux que ce salutaire "théâtre coup
de poing" met en face d'une réalité qui révulse,
l'interactivité peut se poursuivre avec les comédiens
sous la direction de Hauke Lanz dans un jeu dramaturgique proposé
sur le web (www.lesnevrosessexuellesdenosparents-etvous.fr). |