Texte d'Arrabal, mise
en scène de Claude Confortès, dit par Françoise
Fabian
Le public connaît Arrabal à travers son théatre
ludique et fou basé sur la dérision. Avec Lettre d'amour,
il nous entraîne dans un univers dramatique celui de ses jeunes
années marquées à jamais par l'absence du père
et l'horreur de la découverte que la mère tant chérie
était la délatrice à l'origine de la condamnation
à mort de son père au début de la guerre civile
espagnole
Dans ce long monologue, à la fois narration et plaidoyer,
entre douceurs et imprécations, la mère se rappelle
tous les instants de bonheur absolu où elle était
tout pour son enfant idolâtré, instants dont le souvenir
nourrit l'espoir du retour de ce fils qui, comme son père
qui a sombré dans le silence après s'être échappé
de prison, s'est détourné d'elle pendant toute sa
vie et dont elle espère une lettre, une visite, et l'ultime
réconciliation.
Elle se défend aussi, niant son acte puis l'avouant, le
justifiant comme un acte inéluctable induit par les circonstances
politiques qui a brisé leur vie et les a conduit à
vivre ce supplice chinois des êtres enchainés au fond
d'un puits qui finissent par s'entredévorer.
Et Arrabal nous livre là une tragédie antique à
une voix qui sera tour à tour l’enfant en état
d’amour fusionnel avec sa génitrice, la mère
oedipienne et les chœurs qui rappellent que l’histoire,
cette marâtre, qui remplace les diktats des dieux, impose
des choix de dupes car quel que soit le choix, le prix à
payer est douloureux.
Et qui mieux que Françoise Fabian pouvait interpréter
cette héroïne monstrueuse, lui prêter son visage
de beauté classique et sa voix chaude. Françoise Fabian,
comédienne d'exception, rappelez-vous "Ma nuit chez
Maud" d'Eric Rohmer, incarne à la perfection cette mère,
aimante et possessive, tant aimée et tant haïe et lui
prête son visage rayonnant de madone brune.
Quand les spectacteurs entrent, elle est déjà là
sur scène, enveloppée d'une longue robe-cape noire,
assise immobile, les yeux clos, les mains posées sur une
modeste petite table de bois peint en noir.
Hiératique et hypersensible, le feu sous la glace, sans
aucun mouvement, ou si peu, pour se concentrer sur le travail de
la voix et de l’émotion, pour restituer la densité,
en alternance dramatique ou poétique, du texte, la portée
des mots.
Sans effet de scène, elle nous livre ce texte dense et cependant
si simple, poême de l'amour maternel, ultime prière
adressé au fils pour qu'il éclaire une dernière
fois sa vie. Un grand moment, bouleversant, unique, au point où
les spectateurs, lorsque la lumière s'éteint, restent
pétrifiés.
"Je ne souhaite pas voir mon théatre
s'inscrire dans les Registres de l'Immortalité…je désire
seulement jouir chaque jour de quelques instants de bonheur"
(Arrabal) |