On
ne s’attardera pas autour des anecdotes qui entourent la sortie
de ce cinquième véritable album de Piano
Magic, que ce soient les changements incessants du line-up
pour épouser au plus près les ambitions musicales
de Glen Johnson, ou les changements de
label qui les font atterrir ici sur le très confidentiel
label espagnol Green Ufos d’où une distribution avec
peu de moyens (promotion bénévole en France par monopsone
pour illustration).
Au final le disque est relativement difficile à trouver
de ce côté des pyrénées (à ma
connaissance on ne peut commander à la fnac que l’import
japonais hors de prix… en même temps qui achète
ses disques à la fnac… en même temps qui achète
encore des disques, mais c’est un autre sujet beaucoup plus
glissant).
Pour se limiter à l’essentiel, la question que dès
lors le lecteur se pose légitimement revient à : compte
tenu de l’effort à fournir pour mettre la main sur
l’album, peut on pour une fois faire l’impasse sans
état d’âme? Malheureusement non, l’album
est véritablement excellent. On regrette de ne pas avoir
pu le trouver au moment de sa sortie officielle en décembre,
il aura fini sans un doute au pinacle du tradionnel classement de
fin d’année. Un des tout meilleurs de Piano Magic,
c’est dire !
Sur le dernier album Writers without homes,
un titre se démarquait très nettementt du lot, le
beau à pleurer "Music won’t
save you from anything but Silence". Le nouvel album
est ainsi plus passionnant dans son ensemble que le précédent
notamment parce que l’on s’y perd moins et que les titres
brûlants y sont plus nombreux. Vient en tête l’épique
"Speed the Road, Rush the Lights"
(que les fans ont déjà pu rencontrer sur un précédent
EP ou en concert) dans ce que fait de mieux le groupe quand tour
à tour il se confie et s’embrase. Une démonstration
monumentale.
Ensuite les titres fabuleux se bousculent au portillon comme sur
peu d’albums (même de Piano Magic) : "The
End of a Dark Tired Years" un des hymnes les plus violents
et noirs de la discographie du groupe, ou "Sainte
Marie", qui entame le disque, classique et magnifique
en toute simplicité, ou encore le spleen fragile du duo "The
Toolbooth Martyrs"…
Au final c’est creux à dire mais chaque titre à
sa vie propre et touche avec justesse. C’est même frappant
cette bizarrerie qui fait que le groupe est parmi les meilleurs
aussi bien dans son registre épique que dans ses morceaux
plus tourmentés mélancoliques et assagis voire dans
un format de chanson presque classique, et surtout que tout cela
forme un univers homogène et intime à la grâce
trouble. Un groupe unique, sans aucun doute.
Aux voix, Glen Johnson est sidérant de justesse, de retenue
et de mélancolie habitée. En ce qui concerne la voix
féminine je suis un peu moins convaincu par Angèle
David-Guillou (Klima) notamment sur "The
Unwritten Law" et "Comets"
(dans une moindre mesure), dont l’interprétation n’est
pas forcement ce qui s’associe le mieux à l’univers
de Piano Magic, un peu trop neutre peut être par rapport à
l’ambiguité et le trouble des morceaux. La vulnérabilité
passionnelle de Glen Johnson à la limite de la chute mais
sans emphase est arrivée quant à elle à une
parfaite adéquation avec ses compositions. C’est peut
être ceci qui fait qu’aussi peu de titres ici ne sont
pas sidérants, à la différence là encore
du précédent album un peu décevant à
cause de certains tunnels fumeux. Tout est à sa place, dans
un ordonnancement inédit mais naturel.
Certes il y a la tentation de croire que Piano Magic s’est
enfermé dans un recette, tant ce son saturé de delays
est reconnaissable en un instant, mais n’y croyez pas un seul
instant : chaque titre reste une expérimentation et le groupe
ne se reposera sans doute jamais sur son acquis (d’autant
plus si les rumeurs se confirment qu’il s’agirait du
dernier album du groupe) pour évoluer dans des contrées
abandonnées dont ils établissent seuls la cartographie
(cf. pochette).
Ainsi dans le cadre des expérimentations atypiques et réussies
on trouve "Luxembourg Gardens".
Une voix d’opéra annonce l’entrée d’une
basse vombrissante et d’un arpège cristallin (lui typiquement
"à la Piano Magic") sur laquelle un duo entre G.
J. et A. D.-G. sombre et hypnotique s’installe entouré
de nappes et tacheté d’explosions (mais celles-ci non
"à la piano magic" si vous me suivez encore), un
rendu opressant et possédé devant lequel on s’abandonne.
Dans le cadre plus large du renouvellement musical il faut aussi
noter les petites touches "électronique" qui enrichissent
les sons et font pétiller l’imagination sans dénaturer
le charme fragile de la musique du groupe. Sincèrement cela
en est étonnant ce que le disque est bon. Jamais égalé
mais jamais copié, le groupe renouvelle un genre, qu’on
s’ingénie à nous dire refermé sur lui
même et moribond, en nous livrant un nouvel opus indispensable
et rare.
Un album considérable d’un groupe qui mérite
le mythe qui l’entoure.
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