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Entretien d'avril 2009  (Paris)  1er avril 2009

Le rythme de vie et de travail de Jean-Laurent Cochet s'annonce toujours aussi trépidant pour cette année 2009 et deux mois se sont déjà écoulés depuis notre dernier entretien.

Après un indispensable tour d'horizon passé-présent-avenir, celui-ci se déroule autour d'un des fondamentaux de l'enseignement dispensé par Jean-Laurent Cochet, principe qu'il tient de ses maîtres dont il poursuit la tranmission, qui tient à l'art du comédien et qu'il s'exprime sous une sentence qui paraît iconoclaste pour le néophyte : "Au feu la brochure !".

 

Les nouvelles du spectacle vivant et du cinéma

Nous ne nous sommes pas entretenus depuis quelque temps maintenant, donc avez-vous de nouveaux projets qui viennent se greffer sur ceux dont vous nous avez déjà parlé et comment va Philaminte ?

Jean-Laurent Cochet : Il s'est passé beaucoup de choses et s'en passera encore beaucoup d'autres mais je ne peux pas toutes les détailler tant elles sont nombreuses comme les Master Classes, mes "Carte blanche" où je raconte mes histoires, les conférences que je suis amené à faire à droite et à gauche en particulier sur le sujet de l'affaire Molière-Corneille et les invitations passionnantes qui me sont adressées. Il y a eu la tournée avec des trous d'air mais qui ne s'est arrêté qu'avec les derniers jours de mars de la pièce de Sacha Guitry "Aux deux colombes" qui a été très accaparante et, d'autre part, merveilleux car nous avons eu, sauf dans une banlieue que je nommerai pas car il n'y a pas lieu d'en faire la publicité où les gens étaient assez snobs, même si apparemment ils étaient très contents à la fin, mais cela on s'en fout du moment que pendant le spectacle ils ont l'air de comprendre la moitié des choses.

Cela a été extraordinaire partout, même quand on descendait un peu dans le Sud où ce ne sont pas les meilleurs. Ils sont tellement joyeux, tellement bons pour nous, tellement contents que, presque à chaque représentation, j'ajoutai 20-25 minutes de mes petites histoires et de mots d'auteur qui les enthousiasmaient. Et puis étant donné le succès de cette tournée, pendant qu'à Paris les spectacles mail choisis s'écrabouillaient et que le public n'honorait pas de sa présence, nous allons reprendre "Aux deux colombes" à la Pépinière-Théâtre, dans le nid de sa naissance, à partir du 19 mai 2009 pour toute la saison d'été et cela donc jusqu'au 15 août 2009.

Cela me laissera le temps de respirer un peu avant de présenter à Paris "Les femmes savantes" montées par Arnaud Denis en septembre-octobre au Théâtre 14, t dans lequel je jouerai le rôle de Philaminte, et que nous aurons présenté une fois en juin au Festival d'Anjou.

Vous serez donc simultanément sur scène et en répétition.

Jean-Laurent Cochet : Oui car les répétitions des femmes savantes commenceront début mai.

Comme vous évoquiez les spectacles qui n'ont pas marché, je suis tenté de vous demander, même si je sais que vous n'aimez pas indiquer vos conseils éventuels en matière théâtrale, si vous en avez vu des recommandables.

Jean-Laurent Cochet : Effectivement, je ne le fais pas mais il est vrai aussi que j'ai vu récemment un spectacle avec des faiblesses mais avec des choses merveilleuses. Il s'agit de "Baby doll" au Théâtre de l'Atelier avec une de mes anciennes élèves Mélanie Thierry. Enfin je ne sais pas pourquoi je dis une ancienne élève parce qu'elle n'est pas restée très longtemps chez moi mais j'ai néanmoins essayé de lui apprendre le maximum de choses. Mélanie Thierry y est absolument merveilleuse dans un rôle difficile, très délicat et très à facettes.

Une communication téléphonique interrompt cet entretien Il s'agit de Pierre Delavène qui vient aux nouvelles du cours du matin.

Jean-Laurent Cochet : J'adore Tennessee Williams mais ce sont des pièces, et en l'occurrence pas très bien adaptée, dont certaines se démodent surtout quand elles sont adaptées en français. Ce sont des pièces qui sont ce qu'en font les comédiens. Mélanie Thierry est merveilleuse et il y a également Xavier Gallais que je n'avais jamais vu sur scène personnellement, en chair et en os comme on dit, et qui est également un comédien très exceptionnel.

Je ne vous en demanderai pas plus même si je sais qu'au cours d'une Master Classe vous aviez recommandé "La framboise frivole" …

Jean-Laurent Cochet : … Ah oui ! C'est quelque chose qu'il faut absolument voir car il s'agit d'un spectacle exceptionnel. A voir, il y aussi "Cochon d’Inde", avec Patrick Chesnais et Josiane Stoleru.

Au rang des trois étoiles, il y a sans doute quelques films qui sont à l'affiche qui vous ont enthousiasmé.

Jean-Laurent Cochet : Effectivement et j'ai eu de la chance car tout ce que j'ai vu depuis deux mois est remarquable. Mais pas de films français. Enfin si, un, "La journée de la jupe" avec Isabelle Adjani, et c'est drôle - car c'est en fait un téléfilm produit par Arte - de constater que le film français intéressant à l'affiche a été tourné pour la télévision. Isabelle Adjani est absolument sublime comme les gens autour d'elle et le groupe de jeunes y est remarquable. Le film est très bien réalisé avec un beau sujet dans un style très différent, mais comme il y a une classe et un professeur ça se rejoint, du merveilleux film allemand "La vague" qui est également très impressionnant. Hier est sorti "Les trois royaumes" de John Woo qui est un film certes un peu long - 2 heures et demi c'est toujours un peu long même quand on ne s'ennuie pas - qui est d'une grande beauté avec des acteurs chinois merveilleux. Je signalerai également le film anglais "Doubt" avec Meryl Streep et Philip Seymour-Hoffman qui est une merveille mais qui, à mon avis, volait certainement un peu haut pour la tête du spectateur moyen.

Le film que j'aurais aimé voir, et que je n'ai hélas pas vu, c'est le film "Le premier cercle" dans lequel a tourné Jean Reno dont on dit beaucoup de choses, et quelquefois pis que pendre, que j'aime beaucoup, pas parce qu'il a été mon élève. En réalité, il a assisté à mes cours pendant un an sans jamais y avoir rien passé. Mais il a quand même eu la gentillesse de dire qu'il avait appris beaucoup de choses et ça je veux bien le croire. Il y a également un autre film que j'aurai aimé voir pour me réconcilier avec Sean Penn, dont on ne peut pas dire qu'il soit un mauvais comédien, mais qui me déplait au plus haut point, et dont il paraît que dans "Harvey Milk" il est mieux. Voilà ce sont des choses qui m'attendent au tournant.

Ah j'oubliais - mais là aussi je pense que cela va passer au-dessus du chignon de pas mal de gens - le film italien "Le déjeuner du 15 août" de Gianni Di Gregorio qui est vraiment un bijou comme savaient en faire les Dino Risi et tous les réalisateurs de cette génération. C'est à la fois - comment pourrait-on dire ? - cruel et, en même temps cela baigne dans la joie. Le film est très intelligemment réalisé, tout en gros plans, mais on sent quand même toute l'Italie autour, le soleil et l'angoisse de vieillir, tout à fait les comédies italiennes drôles et âpres. Et puis il faut signaler la reprise à compter du 8 avril 2009 au Théâtre Tristan Bernard de "L'ingénu" monté par mon metteur en scène Arnaud Denis.

En parlant de Jean Reno vous indiquiez qu'il n'avait jamais présenté de scènes. Cela arrive-t-il souvent dans vos cours ?

Jean-Laurent Cochet : Pour Jean Reno, il s'agit d'un cas exceptionnel. Quand il est venu à mon cours dans les années 80, j'étais alors à Hébertot, il ne faisait pas ce métier et, un soir, Richard Berry m'a amené un drôle d'énergumène mal coiffé en baskets : il s'agissait de Luc Besson qui commençait à faire parler de lui dans le cinéma qui allait réaliser "Le grand bleu" avec Jean Reno et qui avait parlé avec Richard Berry de l'utilité de faire connaître à Jean Reno le métier de comédien. Et donc l'admirable Richard Berry m'a demandé si je pouvais le prendre à mon cours. Jean Reno a donc assisté à mon cours pendant un an avec une régularité extraordinaire et effectivement sans passer de scènes.

Quand les élèves ne demandent pas à passer de scènes, je ne les y force pas car on peut apprendre autant en écoutant selon qui on est. Il est vrai qu'il ne s'est pas manifesté. Et c'est drôle car au même moment Jeane Manson, qui a l'époque était avec Richard Berry, assistait également à mes cours et elle, elle voulait passer à chaque cours. Jena Reno écoutait et, apparemment, il a bien écouté même si je ne l'ai pas beaucoup vu au cinéma. Mais je suis tenté d'aller le voir dans le film que je vous ai cité en raison du sujet également. Si on excepte les auditeurs, il y a des élèves qui mettent longtemps avant d'avoir le courage de monter sur scène. Je laisse parce qu'on peut apprendre de différentes manières. Naturellement s'ils restaient deux ans sans passer je leur dirai sans doute. Oh quoique je ne leur dirai peut être rien car s'ils paient ils paient pour ceux qui ne peuvent pas payer. Cela étant, on ne vient pas pour rester derrière la vitrine. En principe cela reste exceptionnel.

Je rebondis encore sur vos paroles entendues lors de cette communication téléphonique en ce qui concerne les élèves très tôt appelés à jouer dans des films ou des publicités et ce qui peut les perturber en leur "montant à la tête" et qui disparaissent de votre cours

Jean-Laurent Cochet : La situation est un peu plus complexe que cela. Il y a ceux qui n'attendent même pas d'être appelés à participer à un casting et à ce qu'on s'intéresse à eux. Ils vont au devant en faisant le siège des studios et des maisons de production alors qu'ils ne sont même pas capables de dire une fable de La Fontaine ! Ce n'est pas de leur faute puisqu'on leur fait croire qu'il s'agit d'un métier que n'importe qui peut faire ! Pour ceux-là, grand bien leur fasse. Et puis, il y a ceux, parce qu'ils le mériteront, à l'issue d'une rencontre à mon cours ou ailleurs avec des gens de la profession, qui ont l'occasion de faire leurs premières armes mais ce qui ne les empêche pas de continuer de venir à mon cours et de travailler. C'est une question de caractère qui se dévoile à ce moment-là. Mais ce phénomène se produit rarement à mon cours car tous savent que je n'aime pas qu'on anticipe et qu'on se présente pour des choses professionnelles alors que je ne les considère pas encore prêts. Donc, dans ce cas, ils ne se présenteraient pas de ma part. En général, les gens du métier me contactent et je leur adresse les gens dont je pense qu'ils ont les qualités pour postuler efficacement. C'est très difficile. Cela a toujours été très difficile et cela le sera davantage à cause de l'amateurisme et de la politique qui s'empare de tout cela. Ce qu’il y a de bien c'est que ce sera plus difficile, ce qui sera la chance de ceux qui travailleront davantage.

Au feu la brochure !

Revenons aux Master Classe qui constituent toujours le fil rouge de ces entretiens. Reviens souvent dans vos remarques et directives et enseignement tout court, une phrase très imagée. Il s'agit de " Au feu la brochure !".

Jean-Laurent Cochet : La brochure, ce sont les mots écrits dans la brochure, la ponctuation qui apprend quel sens il faut donner à la phrase écrite comme on lit un roman, même si une pièce de théâtre quand elle est très bonne peut être lue, mais elle quand même faite avant tout pour être re-pré-sentée comme le mot l'indique. Et trop de gens sont tendance à s'imaginer qu'on apprend un texte, qu'on apprend des mots, qu'on fait semblant de les jouer, qu'on fait de l'humeur, du ton, des sentiments, vrais ou faux, on fait du bruit sur le plateau, on se montre "Regardez comme je suis bien, regardez comme je fais pleurer". Non ! La brochure c'est un code, c'est le pays de l'auteur. L'auteur, s'il a en plus un génie théâtral tant mieux, est celui qui raconte une histoire. C'est un peu différent du roman bien sûr et du cinéma mais le principe est le même.

La brochure c'est l'auteur et on ne récite pas un auteur, on n'apprend pas les mots de l'auteur, on ne se demande pas comment je vais dire ça, comment je vais jouer ça. Car à ce moment-là, on a le nez devant les mots et les mots ce n'est jamais qu'un dictionnaire éclaté. Le comédien doit se demander pourquoi l'auteur a écrit ça dans son style à lui et derrière la chose écrite, puisque je vais mettre le texte debout en le parlant, quelles sont - c'est écrit, en musique, mais pas dans le théâtre - les inflexions, les intentions que je vais devoir faire comprendre en dépit de ce qui est écrit qui est une limite. Une phrase veut dire les mots qu'elle dit mais dans quel sentiment est-ce que le personnage les dit ?. C'est la raison pour laquelle parmi les phrases définitives et toutes simples qui ont été dites au gré du temps par certains interprètes, je cite toujours presque en premier la phrase de Daniel Lecourtois, ce merveilleux comédien, qui disait - c'est tout simple et ça parait très compliqué si le gens ne savent pas ce que cela veut dire - "Jouer la comédie c'est penser des mots et en dire d'autres".

On ne joue pas les mots qui sont écrits parce qu'alors, soit on les récite, soit on les malmène. C'est donc un code. On part de ce que nous raconte l'auteur à travers son style personnel. Derrière la manière dont Claudel a de faire dire à quelqu'un "Je t'aime", derrière la manière dont Feydeau ou un autre à l'air de faire dire à quelqu'un "J'ai faim" ou "Tu m'ennuies", il faut comprendre dans quel sentiment le personnage le dit, pourquoi il a envie de le dire à ce moment là. La situation théâtrale qu'on doit cerner à chaque fois qu'on aborde un rôle : qui je suis, où je suis et à qui je parle. Car on peut dire la même phrase écrite dans le texte à un personnage qu'on déteste et qui nous indigne qu'à un personnage qu'on aime et qui nous attendrit.

C'est donc, non pas la relecture comme disaient les metteurs en scène impuissants des dernières semaines, mais à quoi je pense quand je vais devoir respirer pour raconter le sentiment qui m'envahit. Et cela on le fait d'abord avec ses propres mots. On fait son texte. Et c'est ce que les gens faisaient le plus naturellement bien sûr, et ils comprenaient davantage les textes écrits donc il n'y avait pas une si grande différence entre leurs mots à eux et ceux de l'auteur même s'ils dataient du 17ème.Aujourd'hui il faut tout recommencer. Donc ce fameux "qui je suis, où je suis et à qui je parle", pourquoi je vais penser un sentiment et c'est pourquoi on ne trouve jamais ni mieux que - et cela fait un petit moment que ça existe, je n'ai rien inventé et c'est ce que j'ai re-découvert - ce que disait Jouvet, ce que disait Monsieur Meyer et surtout Madame Simone mieux que personne : faire son texte pour trouver le langage de l'inflexion.

Alors cela est difficile pour ceux qui vont lire ce que je viens de dire et que je dis aussi dans mes livres car ça s'entend indiqué. Il faut dire la phrase même si elle n'est pas fausse telle que l'a dite un acteur qui n'a fait que d'apprendre les mots de la brochure et celui qui dit les mêmes mots mais avec l'inflexion précise du personnage qui les dit dans ce sentiment-là. Sinon que dit-on d'un manuscrit, c'est lettre morte. Les mots, les ponctuations sont presque des ennemis. Cela n'a rien à voir avec notre métier et donc on ne peut pas se référer à la brochure. Ceux qui apprennent la brochure ont des trous de texte parce que, au moment où ils ont une hésitation, rien ne leur vient car ne leur revient que la pauvre phrase morte de la brochure Garnier ou Flammarion. C'est antédiluvien comme méthode et ce n'est d'ailleurs pas une méthode, c'est une erreur, c'est un manque, une pauvreté. Oui, il faut faire disparaître la brochure, cet esprit de brochure, dans lequel sont écrites des choses qui sont belles mais qui n'ont aucun intérêt quand elles sont dites sur un plateau si on n'a pas trouvé le langage de l'inflexion. Tout texte devient pauvre s'il n'est que justement dit. Ce n'est pas la justesse qu'il faut c'est l'exactitude.

C'est le cas de la scène de Louis XII dans Marion Delorme qui est très révélatrice de l'élève qui la passait mais qui pouvait aussi être jouée de manière très différente. Comment les élèves font-ils ce travail ?

Jean-Laurent Cochet : Ce n'est pas très différent, et je vous reprends tout de suite, car les gens pourraient croire qu'on malmène le texte quand on revient au texte de l'auteur ou qu'on finit par jouer le contraire du personnage. Ce qu'on peut appeler différent en musique, c'est lorsque qu'un Beethoven est joué par un Julius Katchen ou par Bruno Gelber. C'est exactement la même œuvre mais leur émotion face à l'œuvre font que, tout en leur étant fidèles, ils imposent un tempo un petit peu différent ou trouvent à certains endroits une pause, une respiration, un demi-soupir ou un silence qui ajoutent une part d'émotion qui leur est propre. Mais ce n'est pas différent, c'est la même œuvre à l'intérieur de laquelle ils se sont glissés pour essayer de la connaître mieux. C'est une plus grande fidélité encore à l'auteur.

Reprenons l'exemple de Louis XIII : l'élève comédien qui introduit en lui le personnage de Louis XIII, puisque ce personnage n'existe pas, c'est pour mieux nous raconter qui est cet homme-là mais bien sur avec ses viscères à lui, sa respiration et son passé personnel, sa culture, ce qui enrichira – ou émasculera peut être quelquefois, le personnage dans son intégralité. Ce qui est intéressant ce sont des scènes qui permettent, disons, des variations comme il existe des variations en musique. Mais c'est exactement la même œuvre. Avec des appogiatures des accaciatures. Ce qui est amusant c'est de pouvoir, à partir d'une même scène, donner une coloration qui, tout en étant fidèle au personnage, aux sentiments qui lui font dire ce qu'il dit, passe par des chemins différents à l'intérieur de l'interprète.

Ce travail doit être particulièrement difficile pour un jeune élève par rapport à vous qui avez déjà tout un acquis et un savoir.

Jean-Laurent Cochet : J'ai déjà répondu dans mes deux précédentes réponses. Ce qu'on gagne avec le temps, c'est une expérience, qui n'est pas toujours très bonne d'ailleurs car le temps peut parfois être dangereux selon sur qui il fait son œuvre. Le temps, "ce grand sculpteur" comme dit Madame Yourcenar, qui dépend un peu de la matière dont on est fait, si on est en caoutchouc ou en marbre. Le temps, c'est la vie qui passe, c'est une imagination qui de temps en temps devient presque une expérience personnelle. Mais, à la base, il y a l'être humain, le corps et la pensée qui circule dans ce corps. Donc à n'importe quel âge, même à 17 ans, il y a des différences considérables. Pour certains, on dirait qu'ils ont déjà une expérience d'avant d'être né et d'autres dont on dit : "Pour 17 ans il est bien en retard !" Ce n'est donc pas une question d'âge mais de moyens, d'individu, d'état d'esprit donc. Cela veut dire qualité et manière dont on a été élevé, bien sur plus encore qu'éduqué. Qui ont est quand à 20-22 ans on n'a pas su faire de choix ou qu'on est quelqu'un qui déjà se projette dans l'avenir. Et donc une question d'intelligence avant tout.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, parce que quand on parle d'émotion et de sensibilité, on verra que ce n'est pas le plus important pour un comédien, pour qu'il puisse évoluer et durer sur toute une carrière. La durée, et pas seulement le feu de paille ! Les années apportent leur poids de connaissances supplémentaires, d'approfondissement, de ce qu'on a une première fois abordé, approché à 17 ans, filles ou garçons comme j'en ai de plus en plus en ce moment, que ce soit comme Depardieu qui a commencé à 16 ans et demie ou Luchini ou Dussollier ou les meilleurs d'entre eux, et les filles comme Huppert, parce qu'il y a d'abord une question de personnalité de base ce qui ne suffit pas à faire ce métier car il faut apprendre un métier. Sinon on peut avoir une personnalité et taper avec ses poings sur un piano et ce n'est pas pour cela qu'on sera un pianiste. Il faut, en dépit de cette personnalité qui peut être envahissante, apprendre un métier et pour cela il y a des moyens.

Ne peuvent pas faire ceux qui ne savent pas faire et je parle là des professeurs parce qu'ils ne sont pas comédiens ou qu'ils sont de mauvais comédiens ou parce qu'ils ne sont rien du tout et qu'ils ne savent pas enseigner et parlent dans le vide. Ces moyens je les ai toujours appliqués très naturellement parce que c'était ceux qu'on m'avait enseignés sans que cela paraisse extraordinaire parce que c'était à une époque où les choses avaient été moins faussées. On n'en était pas arrivé à tout ce qui se passe depuis 50 ans. Les choses restaient plus saines, plus fidèles plus fraîches, plus humaines, plus intelligentes justement, plus simples. On comprenait bien, on nous l'indiquait avec des mots choisis ou simplement en nous disant fais ce que je te dis. Beaucoup de mes professeurs étaient moins patients que moi quelquefois.

A mon époque quand on n’était pas bien c'est que vraiment on n'était mauvais. Et les gens moyens étaient parfois meilleurs que ceux qui sont biens maintenant car nous avions de plus grandes ouvertures, un plus large panorama devant nous dans lequel se reflétaient ceux qui nous avaient précédés. Nous n'étions pas seulement branchés sur Internet ou sur un portable. Nous étions les générations qui se succédaient après toutes ces grandes lumières au point d'en être éclairé avant même d'approfondir tout cela.

Chez les jeunes d'aujourd'hui, personnalité intelligence, envie de travail, curiosité, tout ce qui fait qu'un individu est supérieur à un autre, et à l'écoute, ce qui devient de plus en plus rare. Dire qu'ils sont jeunes ne veut rien dire. Que ce soit les rois ou les bourgeois dans les siècles précédents, indépendamment de ce qui se faisait dans le monde dans tous les domaines, on n'attendait pas d'avoir 30 ans ou 40 ans pour quitter ses parents et envisager un métier. Il y avait un niveau d'humanité absolument extraordinaire. Ca nous parait maintenant plus encroûté, paradoxe ahurissant, parce qu'il y a eu petit à petit des progrès techniques mais qui ont avili l'homme, qui lui ont fait faire des progrès mais aucun progrès en tant qu'individu. L'homme dans les siècles précédents, c'était le vrai humanisme, la vraie culture; la vraie connaissance aussi bien charnelle que spirituelle. Les choses sont allées fatalement, avec le nombre, en se dégradant ce qui est logique ; ce n'est pas du tout une vision pessimiste mais une lucidité et tous l'on dit de Ionesco à bien d'autres.

On a la chance qu'il reste au milieu de tout ce qui détériore des gens vraiment appelés vers ce métier, ce que j'appelle moi des élus et j'en ai encore beaucoup en ce moment. Je ne parle pas des gens doués, cela n'a rien à voir avec des gens doués pour raconter une histoire à la fin d'un comité d'entreprise ou d'un repas entre copains, mais pour être prêt sur un plateau quand on leur demande. Donc des gens qui sont nés, et c'est à moi de le sentir, pour être un jour sur un plateau et devenir vingt ans après, au besoin, un des meilleurs. On me demande si je l'ai tout de suite vu pour Depardieu. Bien sûr oui ! Je n'ai pas vu tout de suite quel film il allait tourner mais c'était fatal qu'il fit cette carrière-là ! On arrive à un certain moment de son âge, à un certain moment de son siècle, et il y a une rencontre. On n'aurait jamais autant parlé de Gérard Philipe s'il n'était pas arrivé après la guerre en tant que jeune premier féerique idéal, etc…

Et puis, un certain métier s'est ajouté à ses qualités de base et il est devenu le premier de cet emploi. Et puis, il y a eu tous les autres, les bons seconds, les bons troisièmes, comme nous en avions tellement en France. Nous n'avions pas besoin d'aller chercher ailleurs des gens pour jouer des camionneurs ou des sergents de ville. Tout cela pour en revenir à un enseignement qui, de ma part, a toujours été le même et qui est ce que m'avaient appris avec mes maîtres mais, petit à petit, les choses étant plus difficiles, parce que les jeunes sont de plus en plus, sans aller jusqu'à dire les victimes, les reflets de cette ère de matérialisme, de faux scientisme, de langue de bois, tout ce par quoi on est entouré et à cause de la télé, de la presse et de la proximité des échanges, je t'appelle dans la seconde, bref, je me suis rendu compte, depuis quelques années, que mes jeunes faisaient encore beaucoup plus de progrès qu'ils n'en avaient jamais fait parce qu'au lieu de leur laisser comprendre la manière, je commençais par ça : "Vous voulez jouer la comédie, et bien il n'y a qu'une chose à faire : faites votre texte !"

Jouer la comédie c'est prendre à son compte de sentiments qu'on n'a jamais éprouvé quelquefois et qu'on ne partage pas au besoin. Alors qu'est-ce que le comédien ? C'est quelqu'un qui raconte qui il est. Et bien, à propos d'un film que tu as vu, raconte-moi ce que tu penses de ce film, en partant du sentiment qui fait que tu l'as aimé ou non - donc situation théâtrale, sentiment –si tu as envie que j'y ailles ou pas et donc tu vas me le raconter de manière différente, raconte-moi ce film avec tes mots - tu ne l'as pas appris par cœur - et tu vas faire un texte qui peut venir de loin et me parler pendant des heures avant d'en arriver au film. Raconte-moi une histoire, raconte ce que tu penses de certaines choses !

C'est tout simplement une méthode, une technique, et c'est la raison pour laquelle les gens sont absolument presque effrayés, parce qu'angoissés, depuis 2 ans en particulier, parce que j'ai des éléments exceptionnels : on leur demande une chose ils le font tout de suite. Pourquoi ? Parce que immédiatement ils adhèrent. Cette technique est infaillible ! Au lieu de se demander comment on va jouer la pièce, et éventuellement la défigurer pour avoir l'air de réinventer Shakespeare, mais laissons cela de côté. Comment tu vas jouer Alceste ? Comme c'est écrit ! Et pour en arriver à ce qui est écrit, pour raconter ce qui est écrit sans que cela soit un texte étranger, je le prends d'abord à mon compte, avant que ce soit une pièce en vers, je me dis si j'étais, comme si c'était vrai, cette fameuse phrase de Stanislavski, la seule chose qu'il a dit de vraiment intéressant. Comme si j'étais à la place de ce personnage, relativement à ses qualités et à ses défauts, sachant que moi j'ai cela qui lui ressemble ou pas, que je m'en servirai ou pas, simplement pour savoir qui je suis et quel est mon sentiment quand j'entre en scène pour dire une chose que j'ai envie de dire.

L'auteur nous signale simplement qu tu as envie de parler d'une certaine chose. Et bien prends le à ton compte comme si c'était toi, comme si ce n'était pas sur un plateau ; fais ton texte et tu verras que tu nous diras des choses telles que : "Je vous en prie, ce n'est pas la peine de me suivre. Laissez moi tranquille, je n'ai pas envie de vous parler". Et qu'est ce que cela devient "Laissez moi je vous prie" et c'est la première scène d'Alceste. Et on ne va pas se demander s'il faut gueuler ou chuchoter! Seule l'inflexion ! Il n'y a qu'une seule chose qui fait comprendre aux gens les sentiments qu'on partage ou qu'on a envie de leur faire partager, l'amour, la haine, dans la vie avant même que ce soit sur un plateau c'est l'inflexion. Les mots, c'est l'intonation écrite. Alors on parle juste en parlant faux, on récite. Mais pourquoi je dis cela ? Parce que je pense cela.

Je ne me sers pas des mots "Comment" mais des mots "Pourquoi". Parce que.C'est ce que je faisais dans les classes primaires où je ne leur faisais pas apprendre les fables de La Fontaine mais je les leur faisais lire et leur demandais ensuite de me raconter pourquoi. Ils avaient fatalement la situation unique et la note unique, et ils ne savaient même pas que c'était cela qu'ils appliquaient. Ils mélangeaient leurs mots et les mots de l'auteur, puis on en revenait aux mots de l'auteur qui étaient devenus les leurs. Et on parle aussi vrai, aussi simple, Eschyle, Feydeau, La Fontaine Molière et Corneille. Quand je pense qu'il y a des gens en ce moment qui disent : "On ne joue pas Molière comme on joue Corneille;". Mais c'est n'importe quoi ! Il y a encore des gens qui en sont à dire, je crois que je le rappelai au dernier cours, les morales de la Fontaine. Il n'y a aucune morale ! La Fontaine n'a jamais été moralisateur. Mais il y a des mots comme ça. Il y a un vent de fronde un matin qui gronde contre Mazarin et Mazarin est un mauvais ministre pendant trois siècles avant qu'un homme intelligent nous raconte qui était effectivement Mazarin. Comme disait Pierre Gaxotte : "L'Histoire c'est la science de l'avenir".

C'est pareil pour tout. Il faut attendre d'être sûr qu'on a compris, d'être sûr d'être assez cultivé pour parler de quelque chose. Tous le gens qui parlent en ce moment de théâtre, et je ne vise pas les critiques ce n'est pas leur métier, ne savent pas ce dont ils parlent, même ceux qui en font, même s'ils sont sociétaires au Français ou ailleurs, et je n'attaque pas ces derniers particulièrement. Ils ne savent pas ! Cézanne savait ce que c'était que peindre même s'il n'avait envie de peindre que d'une certaine manière. Il y a des snobs qui aiment parce qu'il y a un trait bleu d'un coté et un trait rouge de l'autre mais ils ne savent pas. Ou alors n'appelons pas ça peinture.

N'appelons pas théâtre ce que font des gens qui ne savent pas jouer la comédie. Comme dit Pirandello : "La scène est un endroit où on joue à jouer pour de vrai". Ca c'est autrement singulier que j'entre sur un plateau et je fais rire, que je vais mettre en scène un vaudeville et je vais faire dire des blagues aux personnages et ça devient "Le fil à la patte" à la télévision. C'est n'importe quoi ! C'est l'hérésie, l'abomination, du vandalisme, et après on vient vous parler du patrimoine avec des ministres qui ne savent pas ce qu'est la culture et qui en sont les représentants. Il vaudrait mieux comme disait Voltaire "cultiver son jardin" et puis, de temps en temps, il y aurait des gens qui passent devant et qui, le trouvant tellement bien, vont faire le leur pareil avec leur personnalité. Suivre le même enseignement n'empêche pas Luchini d'être unique comme Depardieu est unique. Et pourtant ils font exactement le même métier. Ils le réussissent quelquefois mieux, ils le ratent quelquefois, ce sont les impératifs et les impondérables de la carrière mais ce métier s'apprend.

En ce moment, c'est extraordinaire : l'élève le plus démuni qui arrive à mon cours en ayant appris une fable, puisque c'est à travers une fable que je le découvre, je lui demande de me raconter une histoire et, selon qu'il est plus ou moins libéré cela prend un temps différend, au bout de six minutes maximum il raconte un événement. Je lui dis que ce qu'il vient de faire, c'est jouer la comédie comme plus personne ne sait la jouer. En me racontant avec tes mots à toi une histoire qui n'est pas de toi et que tu m'as racontée, à une certaine heure, à ma demande, comme étant une histoire. Et ensuite les mots de l'auteur se substitueront à tes mots sans te demander comment on dit "quand la bise fut venue" car c'est le style d'une époque, c'est le style de l'auteur, c'est son métier, sa respiration, en tant qu'écrivain. Mais nous, ce sont des personnages que nous devons faire respirer. Sinon tous les valets, toutes les soubrettes, tous les maîtres de Marivaux joueraient de la même manière sous prétexte qu'ils disent tous du Marivaux. Et bien, oui, ils s'expriment tous avec cette grâce-là mais avec des sentiments différents.

Qu'est ce qu'un comédien ? C'est quelqu'un qui traduit un caractère, une situation donnée, quand on lui demande. C'est pourquoi dans notre métier il y a effectivement des règles. On sait très bien qu'une gamme ce n'est pas "ré sol la si do dièse" mais "do ré mi fa sol la si do" et, après, on ajoute des dièses, de bémols et des barres, des mesures, des temps et les croches, et ainsi de suite. Il y a la réalité et la musique. Et, pour nous, il y a la pensée théâtrale et la pensée c'est la respiration. Je pense quelque chose, j'ai envie de le dire, je respire et je le dis. Je l'ai pensé, je m'en fais l'écho en le disant. Je pense mon propre texte et après, je m'en fais l'écho en gardant l'inflexion et en gardant le texte de l'auteur. C'est une évidence ! Alors, il y a ceux pour qui ça paraît trop simple parce qu'ils n'ont plus rien à découvrir eux-mêmes, à inventer, à trahir, à être le premier à avoir pensé à le dire. Non ! Nous sommes des interprètes, nous ne sommes pas des créateurs ! Il faut justement s'effacer derrière le personnage que l'on représente. Il suffit que ce soit nous qui le jouions et pas un autre.

Voici la méthode. Cela faisait déjà du temps que l'on m'avait appris à jouer la comédie et que je la jouais, je crois pas mal du tout même si je me souviens maintenant que je faisais ce que je n'aurais pas fait dix ans après - et c'est pour cela qu'il y a dix ans après - et mon dernier professeur officiel a été Madame Simone qui est venue ajouter à tout ce que je savais déjà cette notion : "Faites vos mots, mon petit". Monsieur Rollan aussi disait cela. Trouver, en dépit du texte platement écrit par un homme de génie, l'inflexion sur laquelle accrocher la phrase de l'auteur dans le même ordre mais avec ce mouvement-là. Car lamer n'est pas toujours étale. Or, la brochure, c'est le calme plat en permanence. Si on veut que ça bouge, ce n'est pas parce qu'on va se rouler par terre et pousser des hurlements que cela va nous animer et, surtout, animer le spectateur qui, lui, a besoin de vivre çà. Quant on revient aux notions premières cela parait effectivement l'enfance de l'art mais, comme toute chose liée à l'enfance de l'art, il n'y a rien de plus dur.

Comment ce travail s'articule avec celui du metteur en scène qui a sa propre vision du texte ?

Jean-Laurent Cochet : Il n'y a pas de vision !!!!!!!!! Il y a l'auteur. Si on n'est pas un con, il n'y a pas de vision, ni de conception. Non ! Que nous raconte l'auteur ? Il nous dit tout. Ensuite, pour que ce ne soit pas simplement le récit qui est un texte écrit, il y a le travail du comédien qui anime - animus animae - un texte qui sans cela serait mort. Il y a UN misanthrope. L'auteur nous raconte et nous dit tout. Après il faut le vivre alors qu'on ment et c'est ça surtout qui est amusant. Quand on vous fait dire "je vais le tuer" il ne faut pas trouver quelqu'un pour le tuer, quand je dis je meurs je ne meurs pas. Tout cela, c'est le mensonge sacré. Le metteur en scène, ça n'existe pas ! Quand on utilisait ce terme devant Jean Vilar il disait : "Ah le metteur en scène ! Dites régisseur au besoin parce que c'est quelqu'un qui coordonne".

Qu'est-ce qu'un metteur en scène ? C'est un comédien qui est capable de jouer tous les rôles et qui les indique aux autres. C'est tout. Il n'y a donc pas de vision. Il y a après des années, et c'est pour cela qu'il y a parmi tous ceux qui viennent d'émasculer le théâtre, après des années de trop grande passivité où on jouait, alors que tout cela ne repartait pas d'une âme, avec des comédiens qui se contentaient de refaire, plus ou moins bien, ce qui avait été fait avant. Il ne faut pas retomber dans cette convention-là et faire de la reconstitution. Il faut le reprendre à son compte. Quand on joue Napoléon, on n'a pas de vision pour dire que Napoléon n'est pas né en Corse, qu'il n'est pas le fils de Laetitia, et pourtant c'est ce qui se fait quand on va à ce qui s'appelle encore l'Odéon, qui est un ancien magasin de décors, voir "Phèdre" : c'est la honte, c'est la trahison, c'est la guerre, l'avilissement d'un pays avec la bénédiction de ceux qui se croient à leur place, comme les ministres de la culture.

Le metteur en scène est un chef d'orchestre et il n'a pas de vision de Beethoven, ni de Mozart. C'est toujours la même œuvre avec, je le répète, un tempo plus ou moins lent si c'est Karajan ou Celibidache. Le metteur en scène, le scénographe, tout cela n'existait pas. J e ne sais pas de quand cela date. Et ne vient même pas de l'étranger justement parce qu'en Allemagne comme en Angleterre on parle de régisseur. Je ne sais pas qui a eu l'idée de ces termes de mise en scène en n'imaginant certainement pas que cela prendrait cette importance pour dénaturer les oeuvres. Ca m'ennuie de dire ça parce que c'est une partie de mon métier, mais non !

Régisseur artistique, directeur d'acteurs, mais pas metteur en scène, ce démiurge qui arrive en disant moi je le vois comme ça ! C'est quand même culotté ! Autrement dit, je veux bien monter la pièce de Molière parce que les gens viennent voir Molière - ce sera tout acquis pour moi - mais telle que je la vois parce que cette pièce sans moi serait mauvaise… C'est ahurissant ! Ce serait amusant de s'attarder là-dessus. Mais qui s'y attardera car ce serait dire le roi est nu ! Qui osera dire le roi est nu comme dans le conte d'Andersen ? Moi je me suis amusé à le dire au nom de mes maîtres parce que je savais que ce je disais, je l'avais appris et que ça m'avait réussi. Si je n'avais pas fait ma carrière, et de telle manière, je ne dirais pas untel avait raison donc moi maintenant j'avais raison, et ceux à qui j'ai enseigné ça ont raison puisqu'ils sont devenus les meilleurs. Il y a quand même des critères.

C'est " l'effacement éclatant de l'interprète devant l'intelligence de l'œuvre ".

Jean-Laurent Cochet : Oui. La phrase est de moi, mais les mots "effacement éclatant" sont de Colette, termes que j'ai dû trouver dans un de ses volumes de"La jumelle noire" quand elle était critique dramatique. Il faut s'effacer derrière l'œuvre mais pas au point de la ternir, s'effacer pour mieux la mettre en valeur, pour mieux l'éclairer du dedans. C'est une expression admirable. Mais ce n'est pas facile parce que cela demande énormément de délicatesse, de mesure, d'humilité, de finesse, de compréhension intime… mais c'est tellement plus amusant que de faire un numéro !

C'est Montherlant qui dans "Port Royal", à propos des religieuses, qui a écrit, mais on peut naturellement l'appliquer aux comédiens : "Comme vous emmêlez ce qui vous sert et ce que vous prétendez servir". Vous prétendez servir le théâtre et vous le défigurez en faisant le clown. C'est dommage que je m'interdise de plus en plus de citer des noms car il y en a là des gloires dans lesquelles je me plairai à tirer à boulets rouges ! Qui avilissent le goût du public qui, quelquefois, ne demande que ça. Il est déjà tellement médiocrisé par d'autres choses qui l'entourent. Il croit parce qu'il a ri que la chose a touché son but mais comme disait Guitry à certains de ses comédiens : "Si on vous amenait les gens que vous avez fait rire vous ne seriez pas très fiers". Et à cette époque il n'y avait pas encore la télé ! Voilà madame.

Je suis content d'avoir abordé ce sujet, pour tous les gens qui comprendront, parce qu'en définitive, ce sont des choses que je n'ai pas tellement vulgarisées. Comme il y a sept notes en musique, il y a sept choses qu'il faut absolument connaître dans ce métier, et posséder : respiration, réaccentuation, préfinale …mais pour approche, comme passage de soi au personnage, pour comprendre justement qu'il n'y a pas de passage. Le personnage n'existe pas et, quand je vais vouloir raconter comment il était quand moi je l'ai connu, avant que l'auteur l'écrive, je vais vous parler de moi qui me met à sa place. Ca c'est la non-transposition parce que tout d'un coup on est sur un plateau Il est suffisant d'être sur un plateau devant trente personnes qui sont toutes ouie ou deux mille dont certaines somnolent. Cela se passe sur un plateau et cela est suffisant pour que ce soit singulier comme situation. Et, au contraire, il faut faire comme si c'était normal, cette grande banalité pour laquelle plaident tellement les comédiens anglais. La merveilleuse banalité d'une représentation théâtrale. Je suis très content d'avoir abordé ce sujet. Il y a la technique, les exercices, mais à part ça quoi ? On veut toujours du concret et bien voilà !

 

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L'entretien de janvier 2009 avec Jean-Laurent Cochet

En savoir plus :

Le site officiel de Jean-Laurent Cochet

Crédits photos : Laurent Hini (Plus de photos sur Taste of Indie)


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