Toujours pas. Il faudra encore l'attendre, le chef d'œuvre d'Archive, celui que les perles disséminées tout le long de leur discographie laisse espérer. Ce n'est pourtant pas faute d'ambition de la part de Griffiths et Keeler, les deux têtes pensantes de la formation, ni de capacité à se renouveler. Pourtant non, non, non, quoi qu'en puissent dire les quelques enthousiastes, jamais les mêmes, qui savent saisir la moindre occasion pour célébrer "l'album de la maturité" d'Archive, non, non, ce huitième album studio, Controlling Crowds, n'accomplit pas encore la prophétie.
Il regorge pourtant de bonnes choses. À commencer par le titre éponyme, qui ouvre l'album de ses dix minutes – sans que l'on nous refasse le coup de "Lights", titre éponyme de l'album précédent qui n'était, au mieux, qu'un très ennuyeux auto-pastiche de l'indépassable "Again". Et "Bullets", deuxième titre de l'album et premier single, le prolonge à merveille. A eux deux, ces titres introduisent à un univers musical électro-rock progressif tout en répétitions et lentes évolutions, un peu dans l'esprit de plusieurs titres de l'album précédent comme "Sane" ou "Sit back down", une certaine profondeur en plus.
A en rester là, pas de doute, Archive tiendrait la formule d'un grand album. Mais les choses se dégradent malheureusement au fur et à mesure que l'on avance dans l'écoute. On commencera à grincer des dents sur des titres comme "Word on signs", un rien sirupeux. On s'indignera franchement à l'écoute de titres tout à fait ratés comme "Chaos", qui parvient même à rappeler l'Alan Parsons Project des mauvais jours. Et l'on désespérera finalement d'entendre ainsi gâcher de bons titres par la prétention un peu vaine de certaines orchestrations synthétiques ; ainsi pour "Funeral" ou "Clone" ; ainsi même pour "Quiet Times", où la déception éclipsera presque le plaisir de retrouver le rappeur Rosko John.
Ce dernier avait disparu des rangs d'Archive après Londinium, album-référence de l'histoire du trip-hop. Les retrouvailles sont en soi une excellente surprise, tant on aime son flow et le timbre mat de sa voix, qui sait donner vie à d'excellents titres comme "Bastardised Ink". Il faut cependant reconnaître que les trois titres qui lui sont confiés briseraient plutôt l'unité de l'album. On en dira d'ailleurs autant de "Whore" ou "Collapse/Collide", chantés par Maria Q qui, malgré sa jolie voix, a le dont de tirer tout ce qu'elle chante vers le sous-Morcheeba.
Ne serait-ce pas alors le plus grand défaut de cet album que d'avoir voulu donner de la tête partout ? En effet, Archive y multiplie les voix (Pollard Berrier, voix officielle ; Maria Q et David Penney, comme chez eux ; Rosko John, revenu d'outre-tombe) et les directions (l'album est découpé en trois parties ; on y explore, en vrac, l'électro, l'électro-rock, le trip-hop).
Résultat : l'album est aussi long qu'il se peut (80 minutes – on remarquera encore que la quatrième partie, initialement prévue, n'a pas pu être intégrée et doit faire l'objet d'un album à part entière) et souffre, peut-être, du défaut de beaucoup d'albums longs : la difficulté à s'exprimer dans la durée sans jamais retomber. On peut certes encore ajouter quelques tites à la liste des excellents moments de l'album : "Kings of speed", qu'on dirait tout droit sorti d'Ok Computer, et le très délicat et entêtant "Dangervisit". Mais tout cela peine à donner un ensemble véritablement cohérent – et de qualité constante.
Malgré toute l'ambition du projet (dénoncer l'aliénation de masse en 80 minutes – ce qui a d'ailleurs déjà en soi quelque chose de candide), malgré aussi le soin apporté à la production et aux enchaînements de titres, on aura peut-être du mal à écouter l'album en tant que tel, du mal à accepter de courir le risque de laisser les bons titres se noyer dans la masse des compositions plus secondaires et l'on fera comme on a toujours fait avec Archive : le tri. |