Pour
ce printemps, le Réunion des Musées
Nationaux présente au sein des Galeries
Nationales du Grand Palais une exposition originale au
titre en forme de boutade "Une
image peut en cacher une autre".
Le commissaire Jean-Hubert Martin,
conservateur général du Patrimoine, assisté
de Dario Gamboni, historien de l’art,
propose au visiteur "ordinaire", qui n'est pas un
historien d'art, une approche de l'œuvre d'art sinon différente
de celle première du moins complémentaire en prolongeant
l'émotion esthétique ou sensitive par une analyse
éclairante.
Une approche didactique et ludique, un jeu de piste érudit
et de résonances, qui s'effectue à partir d'oeuvres
qui se prêtent à des lectures plurielles, afin
de percer leur secret, de découvrir leur sens caché
et d'une certaine manière, par ce comportement "actif",
concrétiser l'interactivité voulue par l'artiste
et renouer le dialogue intime qu'il a initié nonobstant
l'écoulement du temps.
Avec un très grand nombre d'oeuvres, plusieurs centaines
de peintures, dessins, gravures, sculptures et films sans unité
ni de style, ni de thématique, qui embrassent toutes
les périodes et toutes les latitudes, l'exposition prend
la forme d'un vaste cabinet de curiosités qui transporte
le visiteur dans un véritable retour vers le futur de
l'histoire de l'art, de l'art du paléolithique à
l'art contemporain.
La scénographie de Véronique
Dollfus est particulièrement réussie avec
un vocabulaire esthétique cohérent avec le parcours
chronologique de l'exposition depuis les cimaises au tons chauds
des premières salles, avec le bel espace vitrine pour
la nature artiste et les miniatures mogholes, pour s'achever
avec le white cube de la salle consacrée aux aux images
doubles tridimensionnelles de Markus Raetz.
L'alignement
parallèle de cimaises centrales ménagent des espaces
privilégiés pour la monstration d'appariement
d'oeuvres, des ilots thématiques ou de résonance
qui créent des ruptures dans un parcours essentiellement
chronologique. Seul regret, peut être, la trop sage salle
panoramique réservée à Dali.
"Que ceux qui ont des yeux voient"*
Le double propos de l'exposition consiste, à partir
du caractère sinon équivoque du moins non univoque
de certaines oeuvres d'art, d'une part, à aiguiser le
regard pour en dévoiler le sens caché ou leur
propension à ouvrir le champ des points de vue et, d'autre
part, à nourrir une réflexion, aux incidentes
quasi politiques, sur la subjectivité incontournable
de leur perception et de leur analyse.
Le
postulat réside dans la perception de la réalité
qui est toujours transformée de manière plus ou
moins perceptible par le prisme de l'œil, une transformation
mécanique, puis par le cerveau de celui qui analyse l'image
à la lumière de son vécu qui modifie l'image
de la réalité en une vision au sens de perception
et la pré-interprète. Relativité qui n'est
pas réservée au vulgum pecus et donc qui suggère
de faire preuve de discernement face aux analyses des historiens
d'art.
Quels que soient la motivation de l'artiste, du jeu d'esprit
au message crypté, de la technique utilisée, de
l'image double aux anamorphoses, et du degré de visibilité,
de l'implicite au patent, le panorama est large et ne répond
pas à une logique spatio-temporelle.
Ces procédés sont intemporels et l'exposition
met en évidence des résonances troublantes à
travers les siècles tels les perspectives impossibles
d’Escher et les prisons imaginaires Piranese, les vases
aux profils en creux de Jaspers Johns et ceux de Raoul Marek,
"Le lit défait de Delacroix et "L'homme dans
les draps" de Alain Fleischer et les portraits-visage de
Josse de Momper et de Dali.
Toutefois,
ces œuvres s'inscrivent toujours dans le questionnement
métaphysique de l'homme et sa quête du divin.
Le 20ème siècle, avec l'avènement de l'inconscient,
constitue une charnière entre le symbolisme religieux
qui a présidé, illustré par exemple par
la figuration à double image de Durer, les images du
hasard de Mantegna et paysages de Heri met de Bles et la cosa
mentale, la projection de soi et l'introspection à travers
notamment l'onirisme surréaliste au rang desquels, entre
autres, Dali et sa paranoïa-critique, Man Ray, Magritte,
l'anatomie du désir vue par Hans Bellmer et les œuvres
à propositions multiples telles le "Cauldron"
de Tony Cregg.
L'exposition
permet de découvrir des œuvres étonnantes
comme la carte "Allégorie de genre" de Marcel
Duchamp, carte de l'Amérique avec le profil de Washington,
la "Tête de taureau" de Picasso fait d'une selle
et d'un guidon de vélo, "Le moine" de Elmar
Trenkwalder et sa nouvelle Trinité, Dieu, l'homme et
la femme, la sculpture d'animaux empaillés de Tim Noble
et Sue Webster dont l'ombre portée révèle
le profil des artistes ainsi que les dessins préparatoires
de l'emblématique tableau aux huit scènes de Dali,
"L’énigme sans fin".
A noter que l'exposition accorde un focus particulier sur les
portraits composites de Arcimboldo, les images à figurations
multiples de Dali avec des toiles majeures comme "Le grand
paranoïaque", "Les trois âges", "Transition"
et les illusions d'optique de Markus Raetz.
En raison de son abondance, de son intérêt et
de l'affluence qu'elle connaît, cette exposition se mérite
et implique non seulement de la patience, de la disponibilité
et de la sagacité mais également de prévoir
le temps nécessaire pour "jouer le jeu"- dans
la mesure où tous les sens cachés ne sont pas
dévoilés par un cartel - et à cet égard
la lecture du catalogue relatif à l'exposition n'est
pas superfétatoire.
* Herri met de Bles |