Charles
Ardillon et Grégoire Bonnet,
ses complices des Monty Python, nous avaient prévenus : Garouel
est un fou. Un fou ? Oui un fou de théatre. Nous avions donc
hâte de le rencontrer et ce fut un vrai régal.
Yvan Garouel acteur et metteur en scène
est aussi un humaniste et un passionné indéfectible
du théatre vivant, celui qui se crée et se joue dans
l’ombre des grandes salles empourprées.
Tout pour que vive le théatre et qu’il nous rende
plus grand.
Yvan Garouel a déjà un joli CV : acteur,
metteur en scène. Pouvez-vous nous brosser le portrait d’Yvan
Garouel : sa formation, sa vie, son œuvre ?
Yvan Garouel a commencé très jeune.
Il ne s'est pas tourné tout de suite vers la comédie.
C'est un touche à tout ce qui pose parfois problème
parce que les gens ont du mal à le situer.
J'ai joué Racine en robe de bure dans des cryptes,
j’ai joué des comédies, je fais de l'impro,
du théatre de rue, et puis des courts métrages expérimentaux,
je joue dans des séries télé et dans des films
d’auteur…Donc parfois, et surtout, les institutionnels
qui ont besoin de nous mettre dans des cases, ont du mal à
me situer mais moi je revendique absolument toutes ces formes d’expression
artistiques, chacune ayant sa place. Je suis passé par des
cours, mais cela est tellement vieux car je suis plus vieux que
j'en ai l'air grâce à la nature, et non à la
chirurgie esthétique.
Vers 17 ans, j’ai fait le cours Simon, Studio
34, l’école Claude Mathieu et j'ai commencé
tout de suite à monter mes propres spectacles, 25 spectacles,
presque toujours d’auteurs contemporains même si ce
sont des classiques contemporains.
Et puis je me suis passionné pour les petites formes, j’aime
beaucoup le théatre d'identification, très proche
du public, dans de petites salles.
Artistiquement, je suis très en accord avec
cela mais financièrement c'est problématique. Mais
dans l’art on ne doit pas faire de concessions à la
finance. Donc je continue des formes de spectacle très vivantes,
miroir de l'homme dans lequel on peut se reconnaître. Le spectacle
qui utilise toutes les formes d’expression, aussi bien le
rire que la tragédie. Puis surtout grâce à la
Ligue d’improvisation que j’ai investi en 1986, je me
suis pas mal porté sur le comique, sur une forme d’humour
de l'absurde et j'étais fan des Monty Python depuis les années
70 et quand Thomas Le Douarec m’a proposé le spectacle
des Monty Python Flying Circus, j’ai beaucoup œuvré,
insisté pour avoir le rôle car j’avais tout vu
depuis 30 ans. J’étais fan de leur humour dans l’intelligence.
Je n’aime pas trop ce qui nivelle par le bas, je préfère
quand ça vole haut. Et les Monty Python ça vole haut.
Il n’y a pas qu’eux d’ailleurs. Je viens de regarder
la série Palace qui est géniale.
Vous aviez déjà travaillé avec
Thomas Le Douarec ?
Oui j'ai joué dans Vol au dessus d'un nid de
coucou. Je l'ai connu au théatre du nord ouest, dans lequel
j’avais déjà monté plusieurs spectacles,
à l’occasion de l'anniversaire du directeur du théatre.
J’ai fait une impro où je l’ai imité en
le caricaturant et Thomas a absolument voulu qu'on travaille ensemble.
Thomas fait partie des gens dont j’aime le travail et la pratique
car qui dit rire et populaire ne dit pas forcément concession
à l’intelligence. Il est très intelligent, c’est
un intellectuel, pas un intello, et a énormément le
sens du spectacle. J'espère que ce ne sera pas notre dernière
collaboration car je m’entends très bien avec lui.
Vous dites que vous avez beaucoup œuvré
pour avoir un rôle dans le spectacle des Monty Python. Jusqu’à
quelles turpitudes ?
Je ne devrais peut être pas dire cela parce
qu’il s’agit du privé mais il se trouve que Thomas
n'est pas homosexuel donc je n’ai pas pu coucher avec lui
…et je le regrette, moi non plus en fait…Jusqu’où
suis-je allé ? Dans ce métier il faut toujours être
sincère. Il n’est pas vrai qu’il faut être
opportuniste, faire de la lèche mais par contre quand vous
appréciez le travail de quelqu'un, il faut lui dire. Il ne
faut pas rentrer chez soi sans rien dire, ça s'appelle de
l'orgueil, et personne n’a jamais réussi à travailler
en étant orgueilleux. Les gens qui restent chez eux en se
disant Moi, j'ai du talent ils ont qu'à le savoir et à
m’appeler, ça ne marche pas. Donc moi j’essaie
de ne pas mentir, de garder mon âme, je reste poli. A Thomas,
j’ai dit simplement "Je Veux le faire" avec un grand
V. Je suis aussi metteur en scène et je sais que les metteurs
en scène ont aussi besoin d’être désirés.
Quand on est comédien, on croit que les comédiens
sont demandeurs. Mais non pas du tout, les metteurs en scène
ont besoin de nous.
Si vous dîtes : Toc, toc, bonjour, j’aimerais
beaucoup jouer avec vous, bein non j’ai pas besoin de vous.
Non ! Moi je suis une valeur ajoutée dans votre spectacle
et je le crois sincèrement. Vous avez besoin de moi. Et c’était
le cas. J’étais vraiment persuadé que j'étais
fait pour jouer les Monty Python et j'ai fait en sorte de le lui
faire comprendre. Car les metteurs en scène hésitent
souvent. Ils n’ont qu’une trouille, ils ont peur des
gens qui cachetonnent, d’autant qu’il est difficile
de trouver du boulot dans ce métier. Ils veulent des gens
enthousiastes, pas des gars qui courent après le cachet et
je me suis retrouvé avec Gregoire Bonnet avec qui j'avais
bossé, j'ai connu les autres. Et je crois que Thomas ne s'est
pas trompé, ni le producteur Rémy Renoux. C’est
une très très belle aventure.
Justement, pour vous comédien, quelles sont
les joies et déboires des Monty Python? Et y a-t-il un terme
à cette aventure ?
Très important (ndlr
: entre 2 olives). Cette aventure n’a pas connu, dans
le courant, de déboire, même si un soir ça se
passe mal mais on se rattrape le lendemain. Cette aventure a connu
un grand déboire qui est l’interruption brutale du
spectacle à l’Européen alors qu'on aurait voulu
continuer. Ça se passait bien, nous étions à
l’aise dans ce lieu, le public était ravi. Donc c’est
dommage.
Mais vous savez le théatre c'est une affaire
de fous, personne ne fait fortune avec le théatre. L’économie
du théatre est tellement à flux tendu, tout le théatre
est subventionné y compris le théatre privé,
il n’existe plus de petites compagnies indépendantes,
que à part réunir 2 grandes stars au Zenith, et encore...Moi
j'ai produit un spectacle qui a marché, Les acteurs sont
fatigués qui a fait 6 millions de chiffre d’affaires,
et bien il reste pas grand chose après le passage de monsieur
TVA, monsieur colonne morice, monsieur droits d’auteur, monsieur
l’URSSAF, les impôts, monsieur la salle, avec cependant
un prix de place assez élevé .... et il ne nous reste
même pas le minimum syndical.
Le théatre est une affaire de fou et pour
être un bon producteur, il ne faut pas être insomniaque.
L’aventure à Paris, pour le moment, est terminée.
Parce que des spectacles des Monty python, on peut en monter 5 il
y a plus de 1000 sketches. Actuellement,, nous attendons des réponses
pour jouer à Londres, Edimbourg, Avignon ...
Et l'actualité c'est le DVD que je trouve très bien
fait autant dans son contenu que dans sa forme pour naviguer. Je
conseille, et c’est un secret, la version commentée,
c'est de la folie. Nous étions enfermés dans une salle
pour commenter sans montage les quatre heures de spectacle. Au bout
d'un moment, ils ont fait venir des bouteilles de pinard et c'est
parti en vrille, car on n’a rien à dire, on connait
par coeur et en fait on est parti dans un délire surréaliste
qui n’a rien à voir avec le spectacle, ce qui est unique
à mon avis dans l’histoire des versions commentées
sur dvd.
Charles Ardillon et Grégoire Bonnet ont insisté
sur la folie de l'aventure dans la mesure où vous répétiez
le 2ème spectacle en jouant le premier.
Oui de la folie, parce que dans le théatre
privé les choses se font à toute vitesse, les décisions
se prennent très vite, donc le temps de choisir les sketches,
de les apprendre, il ne restait que 10 jours pour répéter.
Mais nous nous connaissions et nous avions répété
le 1er donc on s'est vite distribué les rôles. Nous
sommes des gens qui avons beaucoup de fantaisie, ce qui permet à
l’acteur pas simplement de dire la chose avec justesse mais
également d'apporter des petites nuances.
Je crois que la fantaisie il n’y a rien de mieux
pour jouer la tragédie, ça évite d'enfiler
des perles pendant un monologue de Racine. Dans le récit
de Théramène, vous pouvez parler très naturellement
mais c’est quand même chiant au bout d’un moment.
Si vous avez de la fantaisie que vous mettez au service de la situation,
tout à coup, tous les 2-3 vers, il y aura de minuscules traits
de comédie dont vous avez l’idée qui ne sont
pas des effets énormes, genre se lever, prendre un verre
ou quoi mais juste ce qu'il faut au service de la situation psychologique.
Il y a de l’invention.
Donc les Monty Python se sont montés très vite. Un
type comme Grégoire Bonnet, c'est pas pour lui lancer des
fleurs mais parfois il faut même l'arrêter car il a
une invention tous les 3 mots donc au bout d’un moment ça
deviendrait trop riche et quand on joue dans 3 jours, il faut que
ça se fixe.
Donc de la folie mais dans le bonheur, dans la fatigue
car il fallait jouer le soir, dormir un peu et apprendre son texte
le matin et répéter l’après-midi. Mais
dans le bonheur, car quand un metteur en scène vous dit qu’il
est enchanté et qu’on enchaîne sur un deuxième
spectacle, vous êtes ravi et vous dormez un peu moins pendant
3 semaines voilà. C’est très gratifiant et valorisant.
Vous avez évoqué la répartition
des rôles pour le 2 mais qu’en a-t-il été
pour le 1 ?
C'est Thomas qui avait le dernier mot. Il nous faisait
faire des lectures texte en main, en jouant un peu et prenait des
décisions selon des critères que nous ne connaissions
pas toujours. Chacun d’entre nous pouvait tout jouer, la preuve,
il y a Marie Parouty, alors qu’il n’y a jamais de rôle
féminin dans les Monty, qui joue merveilleusement des rôles
tenus par des hommes.
On peut tout jouer mais il y a des questions d’équilibre.
Thomas construisait en même temps car la construction générale
du spectacle n’existait pas. Il y avait des dizaines de sketches
et il fallait n’en garder que 25.
Donc nous jouions au gré de notre fantaisie
pendant que Thomas construisait avec le sens de la globalité
du spectacle. Par exemple, il était hors de question que
Marie ne joue que la potiche. Les Monty avaient des filles potiches,
enfin au second degré pas comme sur TF1 ou ce sont des vraies..
d’ailleurs elle l’a dit immédiatement qu’elle
refusait de jouer les potiches.
Ainsi moi, Yvan Garouel, je me suis retrouvé
à jouer les potiches habillé en femme et c'était
très drôle et beaucoup plus drôle de me la faire
jouer, moi qui n’ai pas le physique de l’emploi, plutôt
que de le faire faire par Marie qui est une fort belle jeune femme...(ndlr
: il se rapproche du micro, sur le ton de la confidence)
Donc pas de ressentiment, de déception ou
de compétition quand la liste des rôles a été
arrêtée ?
Non car cela n’est pas arrivé d’un
coup mais se faisait petit à petit et parfois on changeait
la distribution au dernier moment alors il y avait des discussions
"moi je la'vais bien travaillé ..." "oui mais
tant pis !" .
De toute façon, le metteur en scène a toujours raison
même quand il a tort car on peut monter un spectacle de mille
manières différentes. Ce qui compte c’est la
cohérence et c’est le spectacle de Thomas Le Douarec.
C’est sa patte. On aime ou on n’aime pas, cela est un
autre problème. Donc nous les acteurs nous discutions comme
dans la vie pour convaincre. Il y avait de la passion, de la gueulante
comme entre gens qui s'aiment. Et parfois, Thomas s’est laissé
convaincre.
Donc vous êtes partant pour la suite ?
HOULA OUI !! On nous propose des grands théatres
dans le west end londonien, je ne sais pas si cela va aboutir mais
c'est le rêve. Nous avons déjà joué à
Londres en surtitré. C’est à la fois une grande
leçon d’humilité et à pisser de rire.
Et c'est dans l'esprit Monty Python que des français, des
frogs, jouent leur sketches alors qu’aucun anglophone n’a
les droits. C’est fou cette histoire ! Ces français
dont ils se sont tellement moqués avec gentillesse qui viennent
braver les anglais sur leur propre territoire ! Et cela a très
bien marché à Londres et encore plus à Edimbourg
où nous avons joué sur une série. Il s’agissait
d’un galop d’essai pour voir si ça fonctionnait
et ça a fonctionné. La suite est une affaire de production
car c'est encore plus cher de monter les spectacles en Angleterre.
Les deux spectacles ont bien marché
à Paris même s’il n’ont pas eu un grand
le relais médiatique.
Oui, c’est exactement cela. Cette histoire de
médias est très compliquée.
Autrefois il y avait des journalistes qui étaient des érudits
de théatre, d'accord ou pas d'accord mais on pouvait s'y
fier. Maintenant, il n’en reste que 2 et le reste c’est
du n’importe quoi. Il y a un grand manque d’intelligences.
Les critiques étaient intelligents et constituaient un peu
l’élite des journalistes. J’ai vu une pigiste
qui était passé du sport à la culture, vous
vous imaginez…
Et puis, les critiques sont devenus des idéologues.
Vous avez par exemple, pour ne pas les citer, certains critiques
du Monde ou de Libération qui ne se rendront jamais dans
un certain théatre parce qu’ils ont décidé
que ce théatre faisait de la merde. Mais dans ce théatre,
comme dans tous les autres, il y a des bons spectacles, parfois
des spectacles moins bons et parfois des spectacles extraordinaires.
Ils ont décidé de ne pas y aller parce que ça
n’est pas snob, pas branchouille.
On est dans le règne de la branchouille au niveau critique
et c’est un peu dommage d’autant qu’il y a une
grande ignorance des formes de théatre vivant. Les gens ne
sont pas curieux et sont persuadés que ce qu'il se passe
dans les petites salles n'est pas de qualité.
Par ailleurs, la presse écrite a perdu beaucoup
d’impact. En 84 j'ai eu 2 colonnes dithyrambiques dans le
Monde et le théatre était bourré. Jusqu’à
la dernière, les gens venaient avec l’article découpé.
10 ans après, en 94, 2 colonnes dithyrambiques dans le Monde
et pas un spectateur de plus. Il y a donc un vrai problème.
On se rend compte que ce qui fait venir le public c’est la
télévision. J’ai connu un théatre où
les gens appelaient pour réserver le spectacle de Canal parce
que les acteurs avaient été interviewés sur
Canal plus. C’était bourré et les gens ne connaissaient
même pas le titre du spectacle. Il faut donc faire une télé
et réussir sa télé. Nous en avons fait une
mais nous ne l’avons pas vraiment réussi. Parce que
faire une télé ce n’est pas comme faire du théatre,
ce n’est pas investir un personnage , il faut être très
détendu. On aurait du être plus déconneur plus
détendu... dommage...
Et puis les gens se disaient les Monty Python existent
déjà... ils n’ont pas compris qu'on reprenait
un classique de l'humour sans essayer de les imiter, on y apportait
notre fantaisie. Les spectacles étaient réussis. Mais
nous n’avons pas réussi à transformer l’essai
pour en faire quelque chose dans l’air du temps.
Pensez-vous qu’un titre différent aurait
pû changer la donne ?
On n’avait pas le droit… sauf à
mettre un titre et ajouter en dessous en grosses lettres textes
des Monty Python.
Nous avons eu beaucoup de bon papiers dans la presse
écrite, c'est radio télé qui nous ont manqué.
D’ailleurs, ce ne sont plus des critiques. Autrefois, le critique
disait Tiens j’ai vu un bon spectacle et le rédacteur
en chef le suivait. Maintenant, une anecdote : un journaliste dit
"je voudrais aller voir le spectacle de Luc Bondy je peux ?"
son rédacteur lui répond : C’est qui ? Va plutôt
interviewer Galabru"
Moi j'aime pas trop Bondy – vous êtes
pas obligé de le couper dans l’interview – mais
il existe ce type et il fait plein de trucs dans les théatres
subventionnés et il faut en parler, il faut l'interviewer...d’autant
que ce sont souvent des gens qui parlent mieux qu’ils ne mettent
en scène.. donc autant les interviewer.
Maintenant les articles ou les émissions télé
ne sont pas au service du spectacle mais c'est pour faire vendre
le journal ou faire de la promo. Il n’y a pas d’émissions
consacrées au théatre à la télé.
Et encore même pas la promo du spectacle mais la promo de
la radio ou de la chaîne notamment en invitant des personnages
connus.
Quel est déjà ou sera l’impact
de ce spectacle sur votre carrière ?
D’un point de vue personnel, ça va être
un des grands moments que je n’oublierais pas. Ça a
duré 2 ans, et ce n’est pas fini j’espère,
et c’est un grand moment de ma vie. Il y a beaucoup de spectacles
que l’on ne joue que quelques mois. On s'est très bien
entendu avec les acteurs, c'étaient de grands moments d'humanité,
de rire, d’émotions partagés. Ça marquera
mon parcours c'est certain, ça m'aura beaucoup fait grandir.
Au niveau de ma carrière, rien n'est jamais
acquis. Je ne sais pas si je suis connu même si on me dit
beaucoup de bien de moi. Tout cela est très compliqué
car il faut rester des artistes, des artisans. Evidemment, on a
besoin d’une forme de notoriété ne serait ce
que pour pouvoir faire partager au plus grand nombre ce que l’on
fait, pour être "bankable" vis-à-vis d’un
producteur. Des producteurs peuvent me faire confiance parce que
depuis 5 ans je joue dans des spectacles à succès
dans les théatres privés, qu’il a de bons papiers
et que tout le monde dit que c’est un acteur remarquable.
Ça aide. Des fans de théatre disent quand même
"Garouel on l'aime beaucoup on va aller le voir ".
Mais faut faire attention car c'est un métier
dont il faut vivre et j'en vis, je ne suis pas un artiste maudit.
Il faut garder son âme, ne pas faire de concessions, faire
des choses qui ont du sens. Je fais ce métier pas simplement
pour passer le temps ou pour gagner ma vie mais pour changer la
face du monde...Je m’explique. Cela ne veut pas dire que je
suis d’une prétention démesurée. Je vais
la changer d'un micron bien sur, je ne suis pas Napoléon.
Moi je suis sorti de certains spectacles et je n’étais
plus le même homme après. J’avais grandi. J’ai
vu 89 de Mouchkine, le Mahabarata de Peter Brooks, Elvire Jouvet
40 et je ne serais pas le même homme maintenant si je n’avais
pas vu ces 3 spectacles. Les acteurs ne savaient pas que je deviendrais
plus grand. Or le monde doit devenir plus grand et je dois mettre
mon petit grain de sable. Et je pense que des gens qui ont vu mes
spectacles en ont été un peu changé et que
cela améliore l’état du monde. A partir de petits
microns, c’est l’histoire de l’univers qui change.
Et j'ai cette prétention d'être un artiste,
de vouloir changer la face du monde, et je dois faire des choses
qui ont du sens. Mais cela ne m’empêche pas de faire
sans scrupule des choses pour gagner ma vie. Il n’y a rien
de honteux à gagner sa vie dans un spectacle commercial.
On peut d’ailleurs faire des choses artistiques et commerciales.
Même dans un téléfilm où tout est assez
standardisé, je fais de mon mieux pour défendre mon
rôle. L’un n’empêche pas l’autre.
Donc dans ma carrière, on m’a vu dans
les Monty Python et j’ai quelques projets. Et moi je prends
de plus en plus confiance en moi, je sais ce que je vaux.
Vous jouez actuellement dans Le cercle des menteurs,
une fois par semaine en impro donc. C’est votre actualité
?
Le cercle des menteurs, je n’y suis pas tous
les lundis car nous sommes plus nombreux que les cinq acteurs sur
scène et on tourne. C'est formidable. C’est un spectacle
crée par les vieux de la Ligue d’improvisation et c’est
de très bonne qualité. Les gens ont du mal à
imaginer qu'on improvise, mais je vous assure que l’on improvise
tout à partir des mots écrits par le public. Ça
va durer car cela dure depuis longtemps, depuis 10 ans. J’ai
fait les matchs d’impro qui continuent à l’Elysée
Montmartre. J’adore l'impro, c’est aussi ma famille
et puis j'ai monté Tête d'or de Claudel au théatre
du nord ouest. Ça embête beaucoup de gens que je fasse
les Monty Python et Tête d’or mais j’adore Tête
d’or. Bien sûr, c’est un théatre un peu
plus austère mais je crois que c’est très intelligible.
Je l’ai monté de la manière la plus incarnée,
la plus vivante, j’ai coupé tout ce qu'on comprenait
pas. C’est une langue magnifique, un verbe coloré,
comme Shakespeare, et c’est une pièce épique
écrite d’une manière magistrale et j'ai essayé
de rendre cela très vivant. Ce sont des gens qui se parlent,
c'est un spectacle magnifique qui dure 2h50 , les gens sortent transcendés
et moi je suis ravi !
Vous ne jouez pas dans Tête d’or ?
Non et puis j’ai une autre actualité
à laquelle je tiens beaucoup. Avec 3 autres metteurs en scène
Mitchell Hooper, Anne Coutureau et Carlotta Clerici, on peut les
voir, enfin 2 d’entre eux, dans La mission à l’Aktéon
théatre en ce moment, on s'est découvert et on a trouvé
un tronc commun dans ce que l'on fait et que personne ne fait. Il
faut que l’on travaille et notre point commun est que les
institutions ne comprennent que ce que l’on fait est un vrai
travail et résulte d’une pensée. Parce que c’est
un travail où la mise en scène est subtile. Donc depuis
2 ans on travaille à expliciter ce que l'on fait. Nous avons
écrit un manifeste, nous avons créé "la
Lettre du théatre vivant" et un site www.theatrevivant.com.
où tout est expliqué qui va ouvrir mi février.
On peut ne pas aimer ce qu'on fait mais c'est un travail de recherche
sur le contenu et non pas sur la forme, contrairement au théatre
actuel qui est un théatre formel, de convention et nous faisons
un travail de recherche sur le contenu car il est très rare
de trouver de nouvelles formes.
C’est très important de formuler que
nous faisons un théatre artistique et non pas hasardeux.
Donc metteurs en scène très intelligents qui rebondissent
entre eux … Le but a long terme est d'ouvrir un théatre
et on a signé aujourd'hui au Vingtième théatre
une pièce de Carlotta Clerici qui s’appelle L’envol
qui se jouera à partir du 16 mars 2005 pour 40 représentations
et je pense qu’on en entendra parler car Carlotta Clerici
c'est du Tchékov moderne. C’est un grand auteur comme
il y en a peu qui écrit des pièces structurées,
pas linéaires avec un langage clair et courant qui soutient
des choses profondes derrière l’anecdote, de petits
dialogues très quotidiens, avec des tiroirs, les choses se
dénouant les unes après les autres.
Vous jouerez dans cette pièce ?
Oui, elle m'a écrit le rôle principal
et c'est un rôle en or. Je suis très très touché.
Quand j'ai commencé il y a 35 ans à faire du théatre,
c'était pour jouer ça. Voilà ce dont je rêvais
et cela m’est offert. Après ça tout peut m'arriver,
carrière pas carrière, cinéma pas cinéma…Et
ce n’est pas la première fois que cela m'arrive ! J’ai
une chance extraordinaire. Les Monty Python c'est aussi un cadeau
extraordinaire. Et puis quelques tournages…
Et le cinéma vous attire ?
Evidemment et ça prend beaucoup moins de temps,
je viens de tourner dans un court métrage de Jean Louis Milesi
"Y'a pas que le pire dans la vie" avec Georges Coraface
et Jean Jérôme Esposito. J’aime beaucoup Jeans
Louis Milesi ; il a écrit les films de Robert Guédiguian
et j'ai produit et interprété 8 de ses courts métrages.
J'aime beaucoup le cinéma et je m’y sens très
à l’aise grâce à ces courts métrages
avec des plan séquence de 10 minutes, des trucs de fou !
Après ça, on peut tout vous demander. J’ai tourné
avec Eric Assous dans Sexes très opposés, dans Extension
du domaine de la lutte de Philippe Harel, avec Lelouch qui m’avait
vu dans les matchs d’impro. Ce sont pour le moment des petits
rôles, mais j’attends. Je sais que j’ai un emploi
un peu tardif donc j’attends la cinquantaine. On m'a dit ce
matin "tu es de la race des Michel Bouquet" ... alors
après ça…
La vie est belle ?
La journée est belle. Mon agent, Michel Lambert
est très bien pour me faire travailler avec des gens que
j’apprécie ...Le plaisir n'est pas tout mais il faut
aussi que j'ai le sentiment de grandir, d’apporter quelque
chose...
C’est à triple détente
: pour vous grandir, apporter quelque chose aux autres et ne pas
négliger un des aspects du métier de comédien
...
Oui. Quand vous faite du cinéma vous
apportez quelque chose au spectateur aussi, même les machinots
sont le public et quand à la fin d’une scène,
ils opinent du chef ou applaudissent, je suis exactement comme au
théatre... les techniciens sont émus, rient, ce sont
des spectateurs. Dans un plan d’Assous, la scène était
ratée parce que le cameramen riait et la caméra tressautait
!
Voyez-vous le public quand vous jouez ?
Là il faut parler du fonctionnement de l'acteur,
et cela me passionne.
Pour moi, l’acteur doit être au centre de l’acte
théatral et tout le reste n’est qu’accessoire.
C’est le seul art qui met l’homme au centre et malheureusement
dans les grands théatres l'homme n'est qu'une marionnette
au service d'un code et d’une idée et je pense que
l'homme ne doit pas être le vecteur d’une idée
mais le vecteur de l'homme.
Il ne s’agit pas de faire de la morale, il est ni bon ni mauvais,
il est l’homme. Sur scène, on est dans une situation
de danger. La technique nous apprend à être à
l’aise, comme une éponge, de s’imbiber pour ne
pas être tendu. "Joue mou" comme disait Mastroianni,
mou pour les muscles. Mais le cerveau va à toute vitesse.
Bien sûr, j’ai un oeil sur mon partenaire car il faut
l’écouter, ne pas balancer sa réplique brutalement,
il faut aussi un œil sur son intériorité. Dirk
Bogarde disait : Le public ne voit que ce qui se passe à
l’intérieur. C’est pour cela qu’au théatre,
il ne faut rien faire. Comme disait Jean Davy Il ne faut pas faire
; il faut être. Donc j'ai un regard sur mes mécanismes
intérieurs pour les maîtriser car le public à
la fin d’une pièce il est incapable de citer une phrase
du texte mais il est capable de dire dans quel état tu étais.
Donc on ne peut pas tricher, pas faire semblant. Ce n’est
pas en mettant la tête de coté que l’on est triste.
Il ne faut pas être triste mais mettre en jeu les mêmes
mécanismes que la vraie tristesse au service du bonheur du
public. Et de votre bonheur en retour. Tout cela crée une
catharsis. Et vous avez aussi un œil sur le public. Tiens il
y en a un qui change de fesse sans bruit au fond de la salle. Il
doit commencer à s’ennuyer. On voit tout cela, ou plutôt
on sent tout. On les sent individuellement et globalement. Là
je les perds, pourquoi ? Le lendemain il faut changer un truc que
le public ne voit même pas , c'est rien du tout mais pour
nous ça change tout.
Il ne faut pas aller chercher les spectateurs car
vous devenez démonstratif et cabotin et il faut au contraire
aller vers la sobriété et c’est là que
vous ous rendez compte que le public se tend vers vous pour vous
atteindre. On découvre cela à force de jouez. Parfois
vous avez un trou de mémoire, vous voyez défiler des
pages de textes et vous pensez que cela a duré des minutes
entières et en fait votre partenaire vous dit "holà
ça a dû duré 3/4 de seconde". Parce que
vous êtes dans une situation de tension même si le but
est de faire croire au public que vous entrez sur scène comme
chez vous. Ça c’est le métier, le talent.
Est-il plus facile de faire rire que de faire pleurer
?
On dit plus souvent le contraire, c'est très
à la mode, mais je me méfie de la pensée unique
et des lieux communs, de dire c'est très difficile de faire
rire les gens... pas du tout c'est très difficile de bien
jouer ! Et des gens qui jouent correctement y'en a beaucoup mais
des gens qui jouent divinement, il y en a très peu. Des gens
qui parlent juste, qui font semblant d’être vrais, il
y en a beaucoup mais qui jouent leur vie, qui donnent l'impression
que c’est impossible qu’ils faisaient la même
chose hier…Niels Arestrup ne joue pas, il est. Anne Coutureau
également. Ce sont de grands acteurs.
Pour jouer correctement il ne faut pas être
intelligent , enfin il ne faut pas être complètement
idiot, mais pour aller comprendre les subtilités, les degrés,
les strates et le jouer sans le démontrer c'est difficile
et subtil. Faire rire et faire pleurer c’est très difficile
et ça ne dépend pas que de l’acteur mais aussi
de l'auteur. Dans Les acteurs sont fatigués, je jouais une
scène où j'apprenais que j'avais le sida et je ne
faisais rien et mes yeux s’embuaient, je ne jouais pas comique
et plus le temps était long et plus les gens riaient. Or
dans une autre situation, les gens auraient pleurer donc c'est bien
l'auteur qui fait tout, moi je jouais exactement de la même
façon, comme si j'apprenais que j'avais le sida. Il faut
être sobre, sincère, partir de l'intérieur de
soi, ne jamais aller chercher le personnage ailleurs qu’en
soi-même et si vous faites bien votre métier vous faites
rire, pleurer peu importe.
Mais il y a des gens qui ont une fantaisie naturelle,
ils rentrent sur scène, ils ne font rien et ils sont à
pisser de rire. Quelle chance ! C’est le cas de Michel Dietz,
pour moi c’est Michel Simon. Qu’il en profite, qu’il
fasse une carrière, Xavier Letourneur également. Ils
ont une présence comique mais si ces gens là commençaient
à cabotiner à faire rire ils ne seraient pas drôles.
Et puis créer de l’émotion c’est difficile
aussi. Il faut se mettre à poil, être très impudique
pour montrer ce que l’on a à l’intérieur
de soi et galvauder ses émotions pour la bonne cause... c'est
très difficile de bien jouer.. c'est un métier ingrat,
moins on en fait plus ça a l’air facile alors qu’un
pianiste ça se voit quand il joue bien ou pas..
I il y a pas beaucoup de très bons spectacles, de très
bons acteurs. Il y a beaucoup de bons petits acteurs mais peu de
grands artistes étonnants, époustouflants. Et parfois
vous êtes époustouflants dans un rôle et pas
dans un autre car il y eu une rencontre…
Et parfois il y a de vieux acteurs qui ont perdu
la foi et se reposent sur leurs techniques mais qui n’y croient
plus, pareil pour les metteurs en scène qui n'ont plus rien
à dire, mais la subvention tombe et elle est importante alors….mais
tout cela est un peu vide de sens
Cela veut-il dire que le jour où vous, vous
perdez la foi, vous arrêterez ?
Ah j'aimerais pouvoir vous dire oui mais…je
ne leur jette pas la pierre car la vie est dure. Mais moi je suis
un fou. Vous ne connaissez sans doute pas beaucoup de gens qui ont
monté 25 spectacles avec l’argent qu’ils gagnaient
alors qu’ils n’en gagnaient pas c’est-à-dire
avec 2 ans de subventions qu’on m’a retiré éhontément
sans venir voir mes spectacles…
En France, ça se compte sur les doigts d’une
main les cinglés de théatre donc j’ose croire
que cela ne m'arrivera pas. Moi je suis un cinglé et
d'ailleurs ma passion m’a porté préjudice car
vous n’avez jamais convaincu personne avec la passion...c’est
l’objectivité qui convainc. Moi je suis très
passionné mais la passion n’empêche pas le talent,
elle est même nécessaire dans l’art. Avec l'argent
que j'ai mis dans mes spectacles, j‘aurais pu m’acheter
un appartement mais dès que j'ai 3 francs 6 sous je monte
un spectacle. J'ai une revue de presse énorme, 10 books,
1 mètre de haut et pourtant institutionnellement je n’existe
pas dans le métier parce que…
Vous ne fréquentez peut-être pas les
bons cocktails…
Et pourtant j'essaie, je me soigne sur les bons conseils
de mon agent, j’essaie de fréquenter les bons cocktails
mais j'ai surtout consacré beaucoup de temps à travailler.
Je jouais 2 pièces, j’en montais une, je tournais,
je faisais 10 000 choses simultanément. Maintenant je vieillis
alors je ralentis un peu mais j’ai toujours travaillé
énormément, jour et nuit, c'est très difficile.
J'ai monté 25 spectacles qui ne sont pas des merdes, des
spectacles non institutionnels, de l'art pur, et j’ai une
bonne presse enfin quand elle vient parce que maintenant elle ne
vient plus. Personne n’est venu pour Tête d'or personne
est venu alors que c’est peut être un des plus beaux
spectacles que j’ai monté.
Et trouvez-vous le temps d’aller au théatre
?
Je crois que je suis la personne qui depuis 30 ans
a vu le plus de spectacles. Dès que je ne suis pas au théatre,
dès que j’ai un jour de libre je vais au théatre.
Tous les soirs je suis au théatre.
Quelques bons spectacles que vous recommandez ?
"Tête d'or" au Théatre du nord
ouest, "La missio"n de Carlotta Clerici, Christophe Guybet.
Je vois beacoup de choses pas bonnes mais il faut y aller quand
même car vous encouragez les comédiens quand ils sont
humbles et prêts à entendre sinon on ne dit rien. "Miracle
en Alabama" de Bénédicte Budan.
"J'aime beaucoup ce que vous faites" au Mélo d’Amélie
est très bien, c'est difficile d’écrire de la
bonne comédie méchante comme on aime les bonnes comédies
de café theatre... "Comme en 14" avec Valérie
Karsenty mais ça ne se joue plus
Un grand spectacle, j’en vois un tous les 2 ans : "La
bête sur la lune" au théatre de l’œuvre
de Simon Abkarian, chef d’œuvre absolu
Etes-vous tenté par l'écriture ?
Ah c’est ce que j'admire le plus au monde, mais
je n’arrive pas à sauter le pas. J'ai écrit
2 téléfilms mais c'était une écriture
standardisée pour une collection. Carlotta Clerici et Mitchell
Hooper écrivent formidablement bien. J’ai joué
une pièce de Hooper qui s’appelle L’amour existe
dans laquelle je jouais Marc Dutroux face à sa psychiatre,
c’était extraordinaire. Il vient d’écrire
Tumulte dans les nuages qui relate l’histoire du Shah d’Iran
en exil au Panama qui rencontre le futur tyran Noriéga. J’ai
la plus grande admiration pour les vrais auteurs. J'ai des trucs
qui ne sortiront jamais de mes tiroirs car je pense que ce n'est
pas bon. L'écrit reste donc je ne veux pas écrire
quelque chose qui ne soit pas génial. Ça me tente.
Mes amis auteurs me disent de ne pas attendre d'avoir tout construit
en tête avant d'écrire, tu ne l’écriras
jamais. Bien sûr, il faut se lancer, être humble, il
faut rayer...
Ça me tente mais je pense qu'il me manque encore
un grand tarabustage, un grand boum dans ma vie, je suis tellement
bien en tant que metteur en scène car cela me passionne,
je m’entends très bien avec les acteurs car la direction
d’acteurs me passionne, je crois que je le fait très
bien et cela me remplit tellement que l'auteur reste un fantasme...
Le problème est que je voudrais être
Céline, mais ce n'est pas possible ... alors si je fais du
Céline on va dire que ça existe déjà.
Je suis très prétentieux et je voudrais que les gens
disent comme quand Céline est arrivé ..." mais
qu'est ce que c'est que ça ??"
Inventer le style qui va avec ?
OUI ! mais pas l'inventer par coquetterie ou souci
mercantile mais que ça vienne tout seul, Céline ou
Duras, parlent comme ils écrivent ... vous écoutez
Duras devant Pivot elle le fait chialer rien qu'en existant devant
lui, il ne peut plus poser de questions…quand vous en arrivez
là vous êtes un grand être humain
Donc vous n'êtes ni Duras ni Céline
?
Non je suis Yvan Garouel |