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Interview  (Paris)  février 2004

Brigitte Fossey et Marie Adam sont actuellement à l'affiche de la maison de la Poésie avec le spectacle "Cocteau, l'invisible vivant", montages de textes auquel a grandement participé Brigitte Fossey et dont elle a réalisé la mise en scène, "tissé" comme elle dit avec sa fille. Elles ont accepté le principe de cette interview à deux voix ce dont je les remercie encore très vivement.

Une interview, éclairée et éclairante, qui révèle le dur labeur qui a précédé l'enfantement de ce petit chef d'oeuvre de grâce et d'intelligence, en harmonie avec le style de Cocteau car il est léger à la fois au sens de non-pesant, invisible, terme cher à Cocteau, et aussi fin, élégant, aérien comme l’était Cocteau.

Et puis, quel bonheur de rencontrer des comédiennes, des femmes lumineuses !

Quels sont les critères qui ont présidé au choix des textes ou extraits de textes que vous avez retenus pour le spectacle ?

Brigitte Fossey : Monique Bourdin a fait un montage de textes qu’elle m’a fait parvenir au mois de mai 2003 parce que le 13 juin elle voulait fêter le 40ème anniversaire de la mort de Cocteau à Vendôme avec son association Les amis du pays natal de Ronsard . Et comme Jean Cocteau, sur les conseils de Radiguet avait revisité Ronsard et écrit beaucoup de poèmes inspirés par Ronsard, ils entendaient honorer Cocteau.
Par ailleurs, elle est la grande spécialiste de Cocteau. Elle s’est occupée de la publication des poèmes de Cocteau à La Pléiade et elle a fait sa thèse sur Cocteau le poète de l’invisibilité. Elle a voué sa vie à l’enseignement littéraire à Vendôme et elle a enseigné également le théâtre et la poésie à ses élèves et les emmenait voir Jean Marais au théâtre qui lui parlait de Jean Cocteau.
Ce montage comportait énormément de poèmes et elle m’a dit : "Je voudrais que vous les jouiez" …

Marie Adam :..." Que vous les lisiez" au départ. Elle voulait une lecture au départ….

Brigitte Fossey : …que vous les jouiez à Vendôme dans une salle du 16ème siècle en face de l’église qui est une ancienne grange, un endroit somptueux de concerts, de lectures où se déroulent de nombreux évènements culturels.
Je commence à lire ce montage de textes et je me dis que lire cela toute seule va ennuyer les gens et puis Cocteau pour moi c’est vivant, ça ne peut pas être un monologue, une lecture poétique entre guillemets. Ça doit être vivant.
Alors je lui fais part de mes scrupules en lui disant que c’est très ennuyeux de lire cela toute seule, de passer d’un poème à un autre, d’une oeuvre à l’autre, d’une couleur poétique à une couleur de prose, une couleur de théâtre sans qu’il y ait 2 personnes. Il faut absolument que cela soit de la dramaturgie. Je veux bien faire cela mais avec une autre comédienne ou un autre comédien. Laissez-moi réfléchir.
Pendant un mois, je réfléchis : Cocteau c’est le thème du double, je vais demander à ma fille de jouer le deuxième personnage et j’ai rajouté énormément de textes avec l’accord de Monique :"Les enfants terribles", "La machine infernale" (Œdipe et le sphinx), "Orphée et Eurydice" (la scène de ménage) à propos de l’écriture ou de la non-écriture et "La Belle et la Bête" parce que je rêvais de jouer cette pièce avec Marie. Parce que Marie est la Belle par excellence et moi j’aime les masques, j’aime me cacher, j’aime les compositions, donc c’était l’occasion rêvée.
Et puis j’ai participé à la dramaturgie du montage des textes de Monique en répartissant de façon dramaturgique et théâtrale les poèmes à deux voix. Nous avons collaboré et j’ai tout fait avec elle. Elle a apporté une matière somptueuse, 50-55 minutes, et nous en sommes à 1 h 15 et j’ai déplacé certains textes. Par exemple, le texte sur le théâtre, je l’ai mis au début parce que je trouvais qu’il ouvrait bien le spectacle, puis j’ai rajouté le prologue, avec sa permission parce que je trouvais que la difficulté d’être permettait de présenter le personnage Cocteau avant de faire un spectacle proprement dit. Comme j’aime beaucoup les lectures, la première partie est une lecture, la deuxième partie un spectacle.
Mais il y a toute une histoire dans tout cela. Marie avait raison de dire qu’au départ je voulais que ce soit une lecture. En fait, j’avais une idée derrière la tête. Je lui ai dis que c’était une lecture mais je voulais lui faire la surprise que ce soit un spectacle. Donc je lui ai demandé son accord sur la lecture et la suite c’est Marie qui va la raconter.

Marie Adam : En fait, j’ai commencé à lire les textes avec maman et je me disais Ah, c’est vachement difficile ! Comment faire pour rendre vivants ces textes-là. On commençait à lire, je ne comprenais pas la moitié de ce que je lisais au départ. Pour certains textes je ne comprenais pas de quoi il s’agissait. Notamment pour les textes poétiques. C’était très très difficile pour moi. Je les trouvais jolis, il y avait une jolie musique …

Brigitte Fossey : Tu exagères…

Marie Adam : Non, c’est la vérité. Il y avait des choses que je ne comprenais pas. Maman me disait de ne pas m’inquiéter. Elle disait Tiens, on va essayer, tu lis cela et moi cela. Nous lisions phrase par phrase. Puis, tiens non finalement on va changer. Nous intervertissions les phrases et elle est parvenue, et c’est son travail, à découper les textes de manière à ce que les phrases se répondent comme s’il s’agissait de Cocteau et son double.

Brigitte Fossey : Et paradoxalement cela a rendu les choses plus lisibles, plus compréhensibles et plus théâtrales.

Marie Adam : Alors qu’au départ si vous lisez ces textes sur papier…

Brigitte Fossey : Pas tous, il y en a de très accessibles…

Marie Adam : Pas tous...

Brigitte Fossey : " Le menteur" par exemple...

Marie Adam : Oui mais certains sont plus difficiles

Brigitte Fossey : Beaucoup sont très faciles d’accès, très populaires et très dramaturgiques comme "La Belle et la Bête", "Œdipe et le Sphinx"…

Marie Adam : Je parle de la première mouture…

Brigitte Fossey : Au départ, il y avait aussi des textes très accessibles comme celui où Cocteau parle de sa mère qui va au théâtre…

Marie Adam : Bien sûr

Brigitte Fossey : Le texte du menteur…Il y avait 3-4 passages un peu plus ésotériques…

Marie Adam : Très obscurs pour moi

Brigitte Fossey : …comme "l’ange Heurtebise" et puis tous les poèmes de la fin sur le passage entre le poète et son âme, le poète et son œuvre, le poète et sa présence telle qu’elle sera lorsqu’il ne sera plus là.
Car Cocteau était obsédé par l’image et l’œuvre qui resteraient une fois qu’il serait parti. On a l’impression qu’il a mis toute sa vie au service de ce testament. Et sa vie est le testament de son testament. C’est extraordinaire à ce point là. Et cela me rappelle beaucoup le film de François Truffaut qui aimait beaucoup Cocteau et qui a fait un film sur un homme qui collectionnait les morts, ses amis morts et construit une chapelle ardente et de cette façon-là les fait survivre. La chambre verte avec Nathalie Baye.
D’une certaine façon, on a l’impression que Cocteau a vécu toute sa vie pour que la chandelle de son existence continue à brûler aujourd’hui à travers son œuvre. Et à la lumière de cette compréhension, il devient très facile de pénétrer son œuvre poétique.
Il y a une métaphysique de l’enfance. L’enfant de cinq ans est obsédé par la mort : "Qu’est-ce qu’il y a eu avant moi ?" "Qu’est-ce qu’il y aura après moi ?" Mais c’est une métaphysique joyeuse car au moment de mourir à son fils adoptif Edouard Dermit au lieu de dire : "Ah mon Dieu c’est affreux, je pars !" Il a dit : "Je reste avec vous". Et "Ah ! Je vais enfin savoir ce qu’il y a de l’autre côté du miroir !" . Pour lui, la mort c’est un miroir que l’on traverse comme Alice au pays des merveilles.

Au cours des répétitions, avez-vous procédé à des restructurations du spectacle en termes de nombre de textes et de coordination des textes ?

Brigitte Fossey : Oui. Nous avons ôté un ou deux textes, nous avons déplacé des phrases de manière à créer un fil cohérent et dramaturgique. Il y a quand même une action, un fil tendu comme une espèce de cheminement de Cocteau à travers la logique des rêves. C’est Robert Fortune qui m’a appris cela. C’est ainsi qu’il avait tissé le montage de Jacques Prévert avec Catherine Arditi et moi-même. Il y avait des enchaînements qui correspondaient à un fil logique mais logique comme dans les rêves. Beaucoup de gens me disent sortir du spectacle comme s’ils sortaient d’un rêve. Or, au sortir d’un rêve, on n’interroge pas la cohérence des choses, tout est normal bien qu’il y ait des choses un peu bizarres.

Le cadrage est-il intervenu très rapidement ou au terme d’un long travail de répétitions et de modulation ?

Brigitte Fossey : C’était un très long travail. Jour et nuit je reprenais le travail que Marie m’apportait. Je me disais : "Elle sera plus à l’aise je ne le sens pas trop bien qu’elle dise cela. Je vais lui donner une autre phrase". On essayait l’autre phrase et puis finalement j’entendais soit que cela n’allait pas et nous reprenions avec la phrase originelle ou au contraire j’entendais qu’elle avait raison et que cette autre phrase lui convenait mieux.
Et très curieusement les textes qui nous ont paru les plus difficiles au début sont ceux qui nous sont le plus simple aujourd’hui. Quelquefois les textes nous ont paru très obscurs et maintenant que nous les avons mis en scène et joués ensemble ça nous paraît parfaitement logique. Ainsi, au début, "l’ange Heurtebise" je ne savais pas par quel bout le prendre. Maintenant que nous sommes partagées le texte, que nous avons chacune notre rôle, nous jouons une chose extrêmement précise dont nous ne nous sommes jamais vraiment parlé mais qui est très précise et très claire pour nous, uniquement de façon allusive mais d’une précision extraordinaire chaque soir. Alors que nous n’en avons pas parlé.
Mais le fait d’avoir distribué les deux textes, ça a rendu nos deux rôles possibles. Cela Robert Fortune me l’a appris et je tiens vraiment à lui rendre hommage. En tant que metteur en scène, il m’a appris beaucoup de choses. Il m’a appris qu’il n’était pas toujours nécessaire d’exprimer les choses sur lesquelles on travaille, de les formuler ou de les définir. A partir du moment où l’on sent qu’il y a quelque chose à l’œuvre, ce n’est pas la peine d’en parler. Il ne faut parler que des choses qui sont absentes, pour les faire venir. Il ne faut pas déflorer.

Avez-vous songé immédiatement à votre fille ?

Brigitte Fossey : Immédiatement.

Il n’était donc pas envisageable de jouer Cocteau avec quelqu’un d’autre ?

Brigitte Fossey : J’ai d’abord envisagé de jouer à nouveau avec Catherine Arditi avec qui j’ai l’habitude de travailler. Et puis, je me suis dit que ce n’était pas son univers. Cocteau ne correspondait pas tellement à ce qui se dégageait d’elle car elle est beaucoup plus concrète et plus incarnée et puis en même temps je voulais quelqu’un qui avait de l’humour et le sens des ruptures, qui était très incarnée et simultanément très aérienne.
Et parmi les comédiennes que je connais il n’y a guère que Marie qui ait cette faculté d’être à la fois par moment très incarnée et très aérienne. Elle a les deux. Elle a le côté très femme, très charnelle et le côté aérien d’Ariel dans la tempête de Shakespeare.

Blanc (NDLR : après ces mots témoignages d’amour et d’admiration pour Marie, un ange passe.)

Brigitte Fossey : Elle a le côté des femmes de Rembrandt, de Saskia la femme de Rembrandt, mais elle a aussi le côté fine gravure de Durer ou de Cranach. Elle a les deux. Elle est comme ça.

C’est atavique alors ?

Brigitte Fossey : Je ne suis pas sûre que ce soit atavique. Je pense qu’il y a eu aussi un enrichissement personnel, une réflexion sur la vie qui lui est propre et c’est le complément de sa nature par rapport à un reçu.

Etait-il envisageable de refuser cette proposition ?

Marie Adam : Oh non ! C’est un trop beau cadeau !

Brigitte Fossey : Elle l’a envisagé à un moment donné. Au départ, elle n’était pas emballée du tout par une lecture de textes poétiques avec maman.

Marie Adam : Je pensais que cela ne durerait que 3 jours au départ.

Brigitte Fossey : Ce n’est pas seulement cela. Tu as lu les poèmes et tu t’es dit que ce n’était qu’une lecture de poèmes point-barre. Mais moi tout de suite j’ai vu le spectacle derrière tout cela. Je l’ai vu et je me suis dit avec cela on peut faire un spectacle aussi dramaturgique que les "Paroles" de Prévert. Cela m’est apparu. Clair. Qu’il fallait construire une dramaturgie et que Cocteau le permettait parce que justement c’est un auteur de théâtre. Et ce n’est pas un hasard s’il en a été de même avec Jacques Prévert car il a écrit des scénarii, des pièces de théâtre et des choses avec son frère Pierre.

Marie Adam : Je dois avouer qu’elle m’a bluffé parce que j’ai beaucoup joué au théâtre, des pièces, et quand je lisais les poèmes, je n’arrivais pas à imaginer comment on pouvait le transposer au théâtre.

Brigitte Fossey : Mais c’est du théâtre, non ?

Marie Adam : Tout le travail réside dans le découpage, le travail de fourmi qu’elle faisait jour et nuit. Moi je devenais folle aussi…

Brigitte Fossey : Très dur...

Marie Adam : …parce que chaque jour je jouais des choses différentes. Je commençais à travailler quelque chose et le lendemain tout changeait. Et cela a duré pratiquement jusqu’à quinze jours avant la première. Nous connaissons donc chacune le texte de l’autre. Mais j’ai cru que je n’y arriverais jamais. Que nous n’y arriverions pas. Et c’était dur pour elle parce que je lui disais Mais maman arrête de changer…

Brigitte Fossey : Je savais que nous y arriverions…

Marie Adam : Elle savait mais moi j’avais l’impression du contraire.

Brigitte Fossey : Elle pensait que je cherchais à l’aveugle. En fait, je ne cherchais pas à l’aveugle en lisant la nuit les textes de Cocteau, d’autres poèmes qui m’éclairaient sur ceux là.
Mon professeur d’art dramatique Andréas Voutsinas dit toujours si vous voulez comprendre votre personnage dans une pièce, lisez tous les autres car ils parlent de votre personnage. Pour un auteur, il en va de même. Si vous voulez comprendre le texte d’un auteur, lisez tous ses autres textes car ils éclairent celui sur lequel vous travaillez. Donc toutes les nuits je lisais Cocteau. Et j’avais la solution le lendemain au réveil. Cela venait tout seul. La nuit, je me réveillais vers 3 heures du matin, je lisais jusqu’à 4-5 heures, je me rendormais. Au réveil j’avais la solution et je disais à Marie "Tu avais raison dans ce que tu m’as dit".
Et puis tout d’un coup je me suis demandé : "Cocteau c’est quoi ? C’est quoi pour moi ? Mon Cocteau d’enfance à moi, c’est quoi ?" Mon Cocteau d’enfance c’est la Belle et la Bête que j’ai entendu projeté à Tourcoing, derrière une fente, debout. Parce que moi aussi j’écoutais debout derrière la porte quand j’étais petite, je ne te l’avais jamais dit. Toutes les nuits Marie écoutait debout derrière la porte les conversations. Mais moi aussi et son fils fait la même chose. Et j’ai entendu la Belle et la Bête dans un trou de serrure, la voix de Jean Marais, la voix de la Bête que je fais tous les soirs et que j’avais entendu à cinq ans, avant même d’aller au cinéma. C’est mon Cocteau à moi.
Mon deuxième Cocteau à moi, c’est que la première fois que j’ai vu "La Belle et la Bête" à la cinémathèque, j’avais seize ans. J’ai dû y aller avec ma classe de français. Et bien je me souviens que d’une seule chose c’est la scène dans les draps. Les draps qui pendent avec le vent, le cache-cache dans les draps. Je me suis dit Nous n’avons pas d’argent. Nous sommes dans de beaux draps. Si on a des draps on a tout Cocteau. Et à partir des draps, tout le spectacle m’est venu : l’apparition de l’ange, l’apparition de la mère. Je me suis dit : on va mettre des draps partout et on va s’habiller avec des draps. Nous n’avions pas de costumes.
.Ensuite, a posteriori, j’ai lu que Cocteau avait fait la même chose dans des pièces, dans des spectacles où il n’y avait pas d’argent, il avait donné des draps comme costumes pour les acteurs. Donc j’étais heureuse car je vérifiais que mes intuitions étaient justes. Ça s’est fait ainsi comme s’il m’avait guidé avec son étoile. Je ne vous raconte pas d’histoire, c’est vrai.

Donc un très long travail de mise au point et de répétitions ?

Brigitte Fossey : Oui, un mois et demi, tous les matins. Marie venait vers 9 heures et demie jusqu’à 14 heures…

Marie Adam : Même plus que ça, parce que l’on a retravaillé encore ensuite…

Brigitte Fossey : Oui, nous avons retravaillé encore un mois et demi avant de recréer ici à la Maison de la Poésie pour faire un spectacle d’une heure dix une heure et quart et, si Dieu veut, si nous le reprenons, on rajoutera encore des Clowneries. Cocteau aimait beaucoup le cirque. Comme j’ai la chance de recevoir les bulletins réguliers des Amis de Jean Cocteau, j’ai reçu celui sur le cirque, sur son amour des clowns et j’ai appris qu’il avait monté "Le bœuf sur le toit" un numéro de clown avec Annie Fratellini et avec un autre clown sur la musique de Milhaud qui durait 45 minutes. Donc moi je trouve que si on fait 5 minutes de clownerie ce n’est pas beaucoup. Puisque Cocteau lui-même a consacré tout un spectacle aux clowneries sur la musique de Milhaud, celle sur laquelle on danse à la fin du spectacle l’Invisible vivant.
Donc je voudrais rajouter des clowneries parce que j’ai des points communs avec Jean Cocteau. J’aime les clowns, j’aime Charlie Chaplin, j’aime Picasso et je suis fan des autres. Donc comme nous sommes de la même époque, parce que je suis né en 1946 et qu’en 1951 Cocteau était à son apogée. En 1946, l’année de ma naissance, il réalisait la Belle et la Bête. C’est formidable non ?
Je suis née l’année de la Belle et la Bête et des Temps modernes de Chaplin. Je voudrais que cela se voit dans le spectacle. Je voudrais rajouter un peu de tauromachie aussi. Un peu de tango, il adorait Django Reinhardt. Un peu de Django Reinhardt, cette musique qui boxe l’âme comme disait Cocteau.

Avez-vous l’intention de vous orienter vers la mise en scène ?

Brigitte Fossey : Comment dirais-je ? Ce n’est pas moi qui choisit. C’est la vie qui me choisit. On est venu me chercher et j’ai dit oui. On est venu me chercher à plusieurs reprises pour des montages de textes poétiques un peu mis en scène. Cela fait la 7ème fois que je dis oui, où je me mêle de la mis en scène à chaque fois. Donc je me suis un peu entraînée déjà. Mais moi je crois beaucoup que l’on doit venir me chercher. Mais pendant que j’attends, je dois me préparer. Donc je me prépare parce que je dois être prête quand on vient me chercher. Je travaille comme une étudiante, chaque jour, sur des textes. J’ai une valise pleine de projets.

Justement quels sont vos projets ?

Brigitte Fossey :J’ai beaucoup de projets. Beaucoup. J’ai des choses en friche, j’ai des chantiers à l’œuvre, des idées de spectacles. 5-6 c’est pas mal. Que je garde secrets. Qui attendent qu’on vienne me chercher. Parce que quand nous avons fait Vendôme avec Marie, nous devions jouer une fois. Quelques jours après je suis à Ramatuelle, Jean Claude Brialy débarque pour préparer sa saison et me demande : "Tu n’aurais pas un petit spectacle pour Angers ? Bernard Giraudeau vient de se désister. C’est 5 jours à Saumur". J’ai dit : "Oui. On vient de créer un Cocteau avec Marie".
Nous avons joué au théâtre Bouvet-Ladubay de Patrice Monmousseau et Jean-Maurice Bellaïche. C’est un petit théâtre qui a été crée au 19ème siècle pour son personnel par le propriétaire des vins Bouvet-Ladubay qui est en ordre de marche pour le festival d’Angers. Comme il n’y avait pas de décor, Jean-Maurice Bellaïche étant venu à Vendôme voir la création, il a été chercher tous les draps de l’hôtel Le Prieuré à Florent Saint Hilaire, 450 draps pour recréer les pendrillons blancs. Il a fait construire un petit balcon, des paravents.
Comme on reprenait le spectacle, nous avons allongé le spectacle une première fois. Nous avons rajouté le prologue qui est la difficulté d’être qui durait 20 minutes. Actuellement, on l’a réduit à 10. Et lors de la reprise à la Maison de la Poésie, nous avons rajouté 20 minutes. J’espère rajouter encore 5 à 10 minutes si on le reprend.

Alors à ce propos, y a-t-il des reprises prévues à Paris ou en province ?

Brigitte Fossey : Il y a quelques graines de sollicitations pour le moment dont on ne peut parler mais qui vont se concrétiser dans les 15 jours à venir.

Et vous désirez prolonger ce spectacle ? Vous oui, puisque vous avez déjà des idées pour le compléter. Mais vous Marie ?

Marie Adam : Oui, bien sûr. C’est une belle aventure.

Brigitte Fossey : C’est formidable de vivre un spectacle avec Marie parce que nous l’avons tissé ensemble, nous avons eu des idées ensemble. Elle a grandement participé à la construction du spectacle et elle a un instinct très sûr. Elle sent quand cela ne va pas. Donc quand cela ne va pas, je n’insiste pas. Très souvent, elle suggérait des solutions. Quand j’étais en panne je lui demandais si elle avait une idée. Et elle m’aidait mais avec beaucoup de discrétion.
Mais ce qui est passionnant, c’est maintenant que le spectacle commence à vivre, à prendre sa respiration propre. Il nous échappe quelque part et ça c’est bien.

Je voudrais un peu revenir sur la difficulté d’assurer la mise en scène tout en étant sur scène.

Brigitte Fossey : Oui. Marie doit répondre car elle a été héroïque. Marie, tu peux dire très sincèrement combien c’était dur.

Marie Adam : C’est vrai que c’est dur de jouer sans assistant. J’aurais aimé avoir un regard extérieur, un assistant qui prenne sa place pour qu’elle puisse regarder de l’extérieur, que quand elle joue avec moi elle joue avec moi et que quand elle fait la mise en scène, elle fasse la mise en scène. Je ne sais pas comment elle y arrivait. Elle a un don d’ubiquité, elle peut se dédoubler et donc elle parvient à diriger tout en jouant. Mais pour moi, cela n’était pas toujours évident.

Vous ne connaissiez pas particulièrement l’œuvre de Cocteau ?

Marie Adam : J’ai joué les parents terribles de Cocteau il y a 8 ans avec Daniel Gélin et Danièle Delorme. Mais je ne connaissais que son théâtre hyper-académique et le personnage un peu fanfaron. Mais pas le côté difficulté d’être, tout cela que je trouve magnifique.

Brigitte Fossey : Son théâtre n’est pas académique.

Marie Adam : Je connaissais les parents terribles, l’aigle à deux têtes. La machine infernale je ne la connaissais pas.

Brigitte Fossey : En fait, tu connaissais les pièces les plus connues, son image la plus connue. Elle a voulu tout lire. Nous avons lu ensemble Claude Arnaud et là elle a découvert comme moi un personnage totalement méconnu, d’une intensité, d’un courage intellectuel et puis aussi un chercheur de textes, un chercheur de mots, c’est-à-dire quelqu’un qui attendait d’être véritablement inspiré mais qui travaillait : "Avez- vous déjà entendu ce travail du rossignol d’avril ? Il peine, il hésite, il racle, il s’étrangle, il s’élance, il retombe. Et soudain il trouve".
Pour arriver à ce soudain il trouve, Cocteau peine, hésite, racle ; ce n’est pas si simple d’accéder à la simplicité. Il faut avoir pris tous les détours avant. Pour moi, Cocteau est celui qui va dans le labyrinthe, qui s’y perd. A un moment donné, il tombe dans un trou et au fond du trou, il trouve le ciel. Il accepte tous les rets, toutes les complexités, toutes les souffrances physiques, physiologiques de l’angoisse de la création et au moment où il va renoncer, il tombe dans un trou qui n’est pas un trou mais le ciel. Il s’envole.

Une dernière question, je ne sais pas si vous accepterez d’y répondre…

Brigitte Fossey : Les questions ne sont jamais indiscrètes, seules les réponses le sont. Donc on n’est jamais obligé de répondre.

A la question du questionnaire de Proust "Qu’avez-vous réussi de mieux dans votre vie ?" vous avez répondu : A grandir, à évoluer. Le théâtre vous a-t-il aidé à grandir et à évoluer ?

Brigitte Fossey : 4 choses m’ont aidé à évoluer et à grandir. La première, c’est ma fille, le fait d’avoir eu un enfant et cet enfant-là. La deuxième, ce sont les rencontres. La troisième c’est le théâtre…

Le magnétophone s’interrompt à ce moment. Un signe. J’aime aussi les signes. La quatrième chose sera dite en aparté.

Cependant, alors que Marie Adam part se reposer et se préparer pour le représentation du soir, Brigitte Fossey m'accorde encore quelques instants. Nous parlons encore et encore de Cocteau. Cela amène d'autres questions, bien évidemment. Je vous livre ces quelques réponses enregistrées avec l'accord de Brigitte Fossey.

Cocteau est un de vos auteurs favoris ?

Brigitte Fossey : Je viens de faire sa connaissance. C’est-à-dire que je connaissais Les enfants terribles, Le grand écart, je connaissais quelques poèmes mais je ne connaissais pas Requiem, Crucifixion, le Potomak, Opium, toutes ces œuvres magnifiques. La machine infernale, je l’avais lue il y a très longtemps mais je l’ai relue et je trouve cela tout à fait admirable, une somme. Orphée, c’est superbe. Le testament d’Orphée également, le Sang d’un poète…C’est très varié. Au fur et à mesure de son existence, il a changé de veine, de préoccupation. La biographie de Claude Arnaud m’a passionnée, je n’en ai d’ailleurs pas encore achevé la lecture. C’est très exhaustif de toute cette exaltation qu’avait Cocteau, de ses recherches, de ses angoisses, de son côté caméléon et de toutes les écritures qu’il a explorées aux côtés des autres artistes.

Œdipe et le sphinx est un des excellents moments du spectacle. Quelle est la réaction du public ?

Brigitte Fossey : C’est grâce à ma fille car elle ne voulait pas que je joue Œdipe mais le sphinx car elle pensait que c’était bon pour moi d’avoir un très long monologue car je n’en avais encore jamais fait. Elle me disait : "Tu dois t’y confronter". Et vous voyez, quelquefois, le maître c’est elle. Je pense comme les boudhistes qu’on suit un enfant mais que c’est l’enfant qui est votre maître. Et c’est la même chose dans le théâtre. Andréas Voutsinas disait toujours : "Très important de côtoyer des gens qui n’ont pas la même expérience que vous. Des gens qui ont la même expérience, c’est bien mais aussi ceux qui ont moins d’expérience et ceux qui en ont plus parce que les points de vue varient et peuvent encourager de progresser".
En ce qui concerne le public, je n’ai pas une perception particulièrement définissable ou définissante du public. Pour moi le public n’existe pas c’est une série d’individus qui sont tous différents les uns des autres. Surtout à la Maison de la Poésie, nous avons des gens de toutes les générations, des étudiants, des enfants. Je ne comprends pas tellement bien pourquoi on généralise le mot public ; on devrait dire les gens qui sont là ce soir et qui réunis forment un public. Là on serait déjà plus précis.
Je sais que j’ai conçu ce spectacle pour rendre les gens heureux parce que j’avais le sentiment que c’était également le souci de Jean Cocteau. Et je l’ai conçu pour rendre hommage à Cocteau, donner envie de lire Cocteau, d’aller chercher plus loin et pour avoir la joie de jouer avec ma fille. Donc ce plaisir que j’ai de jouer avec elle doit se ressentir probablement parce que les gens m’en parlent. Ils sortent en général heureux et c’est mon but.
Car je pense que l’on peut parler de choses tragiques tout en étant par moments heureux car le tragique pour moi c’est la non-communication. Le tragique ce n’est pas la mort. Le tragique c’est de ne pas arriver à communiquer pendant sa vie. Evidemment, la mort c’est tragique, la mort des gens qui vous quittent c’est tragique, le fait que l’on doive mourir c’est tragique.
Mais le vrai tragique c’est ce que disait Kierkegaard : "la contradiction qui souffre". C’est la contradiction qui ne peut pas s’exprimer, c’est la contradiction qui ne peut pas devenir synthèse, c’est kafkaïen, c’est l’isolement, c’est le fait que la vie n’ait pas de sens. Je crois que l’une des raisons pour laquelle Cocteau communiquait tout le temps sa joie de vivre à ses amis, c’est justement parce qu’il savait que la vraie joie c’est l’amitié, c’est de partager, d’être fidèle, de recevoir, de transmettre, de donner. Donc pour moi le tragique de Cocteau inclut une cocasserie, un burlesque, une générosité chaplinesque, cocasse à la Picasso.
Il y a quelque chose de très sérieux chez Cocteau, une très grande rigueur intérieure, une quête spirituelle, mais il rend à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Il ne confond pas la prose et la poésie, il ne confond pas les romans et le théâtre. Il y a plusieurs degrés et ça c’est très intéressant. C’est un peu l’écrivain de l’échelle.

Pas de coupure d'enregistrement mais la courtoisie de laisser, à Brigitte Fossey le temps d'une pause avant la représentation du soir.

En espérant la revoir...

 

A lire sur Froggydelight :

La chronique du spectacle Cocteau, l'invisible vivant


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# 24 mars 2024 : Enfin le printemps !

Le printemps, les giboulées de mars, les balades au soleil ... la vie presque parfaite s'il n'y avait pas tant de méchants qui font la guerre. Pour se détendre, cultivons nous !. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.

Du côté de la musique:

"Dans ta direction" de Camille Benatre
"Elevator angels" de CocoRosie
"Belluaires" de Ecr.Linf
"Queenside Castle" de Iamverydumb
"Five to the floor" de Jean Marc Millière / Sonic Winter
"Invincible shield" de Judas Priest
"All is dust" de Karkara
"Jeu" de Louise Jallu
"Berg, Brahms, Schumann, Poulenc" de Michel Portal & Michel Dalberto
quelques clips avec Bad Juice, Watertank, Intrusive Thoughts, The Darts, Mélys

et toujours :
"Almost dead" de Chester Remington
"Nairi" de Claude Tchamitchian Trio
"Dragging bodies to the fall" de Junon
"Atmosphérique" de Les Diggers
quelques clips avec Nicolas Jules, Ravage Club, Nouriture, Les Tambours du Bronx, Heeka
"Motan" de Tangomotan
"Sekoya" de Tara
"Rita Graham partie 3, Notoriété", 24eme épisode de notre podcast Le Morceau Caché

Au théâtre

les nouveautés :

"Gosse de riche" au Théâtre Athénée Louis Jouvet
"L'abolition des privilèges" au Théâtre 13
"Lisbeth's" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses
"Music hall Colette" au Théâtre Tristan Bernard
"Pauline & Carton" au Théâtre La Scala
"Rebota rebota y en tu cara explota" au Théâtre de la Bastille

"Une vie" au Théâtre Le Guichet Montparnasse
"Le papier peint jaune" au Théâtre de La Reine Blanche

et toujours :
"Lichen" au Théâtre de Belleville
"Cavalières" au Théâtre de la Colline
"Painkiller" au Théâtre de la Colline
"Les bonnes" au théâtre 14

Du cinéma avec :

"L'innondation" de Igor Miniaev
"Laissez-moi" de Maxime Rappaz
"Le jeu de la Reine" de Karim Ainouz

"El Bola" de Achero Manas qui ressort en salle

"Blue giant" de Yuzuru Tachikawa
"Alice (1988)" de Jan Svankmajer
et toujours :
 "Universal Theory" de Timm Kroger
"Elaha" de Milena Aboyan

Lecture avec :

"Au nord de la frontière" de R.J. Ellory
"Anna 0" de Matthew Blake
"La sainte paix" de André Marois
"Récifs" de Romesh Gunesekera

et toujours :
"L'été d'avant" de Lisa Gardner
"Mirror bay" de Catriona Ward
"Le masque de Dimitrios" de Eric Ambler
"La vie précieuse" de Yrsa Daley-Ward
"Le bureau des prémonitions" de Sam Knight
"Histoire politique de l'antisémitsme en France" Sous la direction d'Alexandre Bande, Pierre-Jerome Biscarat et Rudy Reichstadt
"Disparue à cette adresse" de Linwood Barclay
"Metropolis" de Ben Wilson

Et toute la semaine des émissions en direct et en replay sur notre chaine TWITCH

Bonne lecture, bonne culture, et à la semaine prochaine.

           
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